L’option pour une démarche de qualité et de sécurité des actes et de l’exercice, dans un domaine médical donné, fût-il vétérinaire, est intimement liée à l’acquisition d’une véritable culture de la qualité et de la sécurité.
Cette culture n’est pas forcément inscrite dans le génotype d’une profession. Elle nécessite des analyses et des remises en cause. C’est le cas en obstétrique vétérinaire et particulièrement en obstétrique bovine.
Cette question est d’autant plus pertinente qu’en matière de responsabilité civile, l’obstétrique bovine arrive en tête du nombre des mises en cause, dépassant pour nombre d’assureurs la moitié des dossiers traités. Mais la recherche des responsabilités, fondée majoritairement sur la recherche de la faute, avec tout ce qu’elle comporte de charge émotionnelle, est étrangère ici à notre propos.
Nous partons nécessairement des expériences vécues, c’est à dire des événements. Les situations idéales ne sont faites que d’événements désirables. Pourtant l’activité humaine est jalonnée d’erreurs et d’accidents qui sont autant de dysfonctionnements qu’en médecine, en médecine vétérinaire pour ce qui nous préoccupe, qu’il faut s’attacher à empêcher. On isole ainsi par l’analyse les erreurs évitables. L’erreur n’est pas forcément fautive. Dans une approche qualité-sécurité ayant pour objectif la prévention des événements indésirables, l’erreur doit être appréhendée comme un moyen de rebondir et d’apprendre dans une dynamique d’amélioration des soins vétérinaires.
Un événement indésirable associé à des actes obstétricaux en espèce bovine est un événement inattendu par l’éleveur au cours de la parturition et dû à un dysfonctionnement dans les actes. Nous ne nous intéresserons ici qu’aux événements indésirables graves (EIG), c’est-à-dire ceux qui entraînent sinon la mort de la vache et/ou du veau, au moins la mise en jeu du pronostic vital ou bien qui entraînent des conséquences économiques négatives et donc hautement indésirables.
Ainsi les EIG associés aux actes obstétricaux en pratique bovine sont assez fréquents. Trop fréquents sans doute dès lors que, dans une démarche d’amélioration de la qualité, on aimerait tendre vers leur annihilation. A noter qu’aujourd’hui ils sont, dans ce domaine de l’obstétrique bovine, très majoritairement associés à la réalisation d’une césarienne (70% des cas). Par ordre d’importance décroissante arrivent ensuite ceux associés à l’extraction forcée puis moins fréquemment ceux associés au prolapsus utérin.
Signalons que, contrairement à ce qui existe maintenant en médecine humaine, il n’est pas prévu en médecine vétérinaire d’obligation de déclaration des EIG, si l’on excepte la déclaration obligatoire des effets indésirables graves des médicaments vétérinaires.
La prévention des EIG en obstétrique bovine passe d’abord, pour une pédagogie très parlante à chacun, par l’analyse des accidents eux-mêmes (analyse a posteriori). Deux méthodes d’analyse sont utiles à connaître : la méthode des barrières et la méthode des tempos.
L’approche par les barrières consiste à imaginer trois catégories de barrières évitant, empêchant ou atténuant la réalisation de l’EIG : barrières de prévention en amont, barrières de récupération quand l’erreur est identifiée, barrières d’atténuation quand l’EIG s’est réalisé. Il convient donc pour l’analyse, quand l’EIG a eu lieu, de rechercher quelles sont les barrières de prévention qui auraient dû exister et fonctionner. Idem pour les barrières de récupération et celles d’atténuation.
Mais, pour rechercher de façon plus fouillée la cause de l’accident ou, le plus souvent, les causes (le faisceau de causes), il convient d’abord de distinguer entre erreurs par défaut de compétences techniques (médicales) et erreurs par défaut de compétences non techniques. Pour ces dernières, l’analyse peut être utilement complétée en utilisant la méthode dite des tempos. Les causes peuvent en effet être inhérentes, généralement de façon combinée, d’abord au cas de figure à traiter lui-même (la nature de la dystocie ou du cas pathologique, une évolution inhabituelle, non standard), à l’éleveur (son organisation, ses décisions), au praticien (son organisation, son comportement, sa communication), au système de garde (organisation du service d’urgences).
Nous renvoyons, à titre d’illustration, à un cas traité sur ce site en août 2017 : Mort d’une vache à l’issue d’une césarienne laborieuse et dantesque
Il convient en particulier de s’attarder sur l’approche méthodologique.
Le plus souvent la technique médicale et obstétricale est connue et habituellement maîtrisée par le praticien, les défauts de compétence à l’origine des dysfonctionnements apparaissant comme des défauts non techniques, tenant notamment à la gestion du temps, de l’environnement. La fatigue des uns et des autres (éleveurs et vétérinaires), leur surmenage est souvent la cause profonde (une cause racine), la cause des causes…
Quant à l’analyse du risque a priori, elle fait apparaître de façon majeure en obstétrique bovine les points de surveillance suivants :
• Un bon diagnostic pré-obstétrical est fondamental. Les critères de décision entre extraction forcée et césarienne sont aujourd’hui assez objectivement déterminés. L’influence parasite des facteurs subjectifs est toujours assez considérable. Il faut savoir compenser le différentiel possible par une information claire et surtout un consentement éclairé de l’éleveur qui ne prête plus à discussion a posteriori…notamment après réalisation de l’EIG.
• En extraction forcée, l’approche est différente selon que la présentation est antérieure ou postérieure.
• La banalisation anormale de la césarienne ne doit pas s’opposer, grâce à une communication et une pédagogie préventives adaptées, aux exigences minimales d’un environnement opératoire adapté et sécurisé (confort thermique et lumineux, espace suffisant, propreté parfaite, contention satisfaisante de la parturiente).
• Le respect des règles de la technique chirurgicale (césarienne) est impératif. Les publications ne manquent pas sur la question (confer bibliographie infra), il n’est pas nécessaire ici d’y revenir.
• Il faut adopter une sorte de culture ou de comportement réflexe du contrôle pré-interventionnel (vérification de l’absence de perforation utérine, d’hémorragie, vérification de la vitalité du fœtus… avant l’intervention du praticien).
• De la même manière il faut développer une culture des procédures de contrôle post-interventionnel systématique (vérifier l’efficacité et la sécurité des gestes, des sutures, des ligatures, des nœuds, etc… immédiatement après leur réalisation).
• Penser à l’adaptation du suivi post-opératoire.
Nous renvoyons le lecteur intéressé aux quelques éléments de bibliographie utiles reproduits ci-dessous. Nous nous réservons de revenir sur le détail de certains actes obstétricaux ultérieurement.
Enfin nous redisons que pour progresser en termes de diminution de fréquence des EIG, il convient aussi de savoir sortir de la seule logique de l’erreur fautive et de la responsabilité paralysante.
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