La communication entre professionnels de santé doit rester une préoccupation constante en particulier en période de tension. Facteur incontournable de la performance du travail en équipe, il convient de déterminer les règles et bonnes pratiques collectivement, permettant de construire une organisation de travail pertinente pour des prises en charge de patient sécures.
Mme C., 48 ans, est hospitalisée en chirurgie pour la prise en charge d’une hystérectomie. Cette patiente est adressée par son médecin traitant à son gynécologue pour des ménorragies très abondantes, évoluant depuis 4 semaines. L’échographie abdomino-pelvienne a confirmé un volumineux utérus fibromateux détecté lors de l’examen clinique réalisé par le praticien.
La lettre d’adressage précise que cette patiente présente dans ses antécédents médicaux une obésité modérée (IMC à 31) et un déficit en facteur V Leiden, forme hétérozygote, compliqué de phlébites asymptomatiques à répétition, dépisté après une embolie pulmonaire survenue chez sa sœur.
Elle a fait au total 5 phlébites, dont une après une intervention sur la cheville (ligamentoplastie) et 4 autres sans facteur déclenchant particulier. Son traitement habituel comprend Xarelto® et oméprazole.
Lors de la consultation, le gynécologue confirme un gros utérus fibromateux, et trouve une patiente extrêmement fatiguée par ce saignement permanent. Il évoque avec la patiente la possibilité de réaliser une hystérectomie, d’autant que la dernière numération formule sanguine montre une anémie à 10,6 g/dl. La patiente accepte le traitement chirurgical puisqu’il lui est expliqué que cette hystérectomie sera subtotale avec conservation annexielle et par voie coelioscopique.
Une complémentation par fer est prescrite au vu du bilan biologique, l’intervention est programmée dans 3 semaines et le rendez-vous avec l’anesthésiste est pris.
Lors de la consultation préanesthésique, le relais du Xarelto® par du Lovenox® 4000 UI X 2 / 24 h est planifié. La patiente est classée ASA 2, le reste de la consultation n’amène pas de commentaire particulier. Le parcours ambulatoire n’est pas retenu du fait de l’éloignement géographique (45 mn de l’établissement de santé) et des antécédents de la patiente.
Le jour de l’intervention, le bilan montre une hémoglobine à 11,9 g/dl. Dans son compte rendu opératoire, le chirurgien précise que l’intervention s’est déroulée comme prévu, hormis quelques adhérences libérées en début d’intervention. Les pertes sanguines sont minimes, estimées à 75 centimètres cube. Le poids de la pièce opératoire sera mesuré à 860 g.
Le séjour en Salle de Surveillance Post-Interventionnelle (SSPI) objective l’absence de saignement post-opératoire, l’absence de nausées-vomissements et un contexte algique bien maîtrisé puisque la patiente cote sa douleur à 2/10.
Le transfert en secteur d’hospitalisation est réalisé par le brancardier et son installation en chambre est effectif.
Le chirurgien, puis le médecin anesthésiste (MAR) passent revoir la patiente en fin de journée. Lors du passage du MAR, l’infirmière d’après-midi lui précise que la patiente se plaint d’une douleur modérée de la base droite pulmonaire. L’examen clinique n’apporte pas d’élément contributif à expliquer le contexte algique. La patiente ne décrit pas de gêne respiratoire. Les constantes sont stables : tension artérielle à 125/75 mm de Hg, une fréquence cardiaque à 105 bpm, une fréquence respiratoire à 18 cpm, une saturation à 96 %.
Devant les antécédents de la patiente, le MAR contacte son collègue chirurgien pour le prévenir et lui précise qu’il demande un angioscanner et un test des D-dimères pour éliminer une possible embolie pulmonaire. Les examens prescrits sont réalisés en soirée…
En début de nuit, la patiente déclenche l’appel patient, et l’infirmière de nuit retrouve une patiente qui signale une douleur basithoracique plus intense, elle présente un tableau dyspnéique, avec une saturation en oxygène à 88 %...
Une oxygénothérapie est immédiatement débutée et le MAR est prévenu. En consultant le dossier patient informatisé, le praticien retrouve les résultats d’un angioscanner qui objective une embolie pulmonaire du lobe inférieur droit, et un taux de D-dimères élevé… Devant ces éléments paracliniques et le contexte clinique, il explique à la patiente la nécessité d’un transfert en secteur de soins intensifs pour la mise en œuvre d’un traitement curatif et une surveillance continue… le chirurgien est prévenu de la situation.
Le transfert est mis en œuvre rapidement car une place est disponible : une anticoagulation par héparine non fractionnée par voie intraveineuse est retenue par les médecins…
L’évolution est ensuite favorable, un retour à domicile est organisé après un relais par Héparine de Bas Poids Moléculaire… et les suites opératoires sont ensuite maîtrisées.
La patiente n’a pas manifesté de mécontentement particulier… mais devant l’absence de signalement des résultats non conformes au médecin prescripteur, une déclaration d’événement indésirable (EI) a été réalisée par le MAR pour en comprendre les raisons. Cet EI a été classé comme grave par la commission de coordination de la gestion des risques de l’établissement de santé. Une analyse est demandée au gestionnaire de risque de la structure…
Les données analysées proviennent des éléments recueillis au préalable auprès des professionnels de santé qui sont intervenus dans la prise en charge de cette patiente : recueil réalisé lors d’entretiens individuels, analyse de documents, lecture du dossier… La méthode ALARM est retenue.
C’est la patiente qui a signalé une douleur thoracique lors d’un tour de soins. La situation clinique s’étant aggravée, un deuxième appel de la patiente aura permis une prise en charge adaptée. L’étiologie trouvée est une embolie pulmonaire du lobe inférieur Droit.
Des conséquences modérées pour la patiente :
Les conséquences pour l’établissement :
Il est important de mettre en évidence les barrières de défenses qui ont été déficientes.
Lors des discussions lors de l’analyse collégiale de cet événement indésirable, les différents acteurs concernés ont retenu que la charge de travail du moment a eu une grosse influence sur leur niveau de vigilance, ainsi que certaines interruptions de tâches. De manière générale, la transmission du résultat non conforme reste une préoccupation constante des professionnels de santé. |
La thématique de la communication au sein des organisations et des équipes soignantes est identifiée comme incontournable dans la définition des barrières de prévention. Une sensibilisation doit amener à une prise de conscience des vulnérabilités générées, à partir des outils de la Haute Autorité de Santé : travail en équipe, CRM Santé, interruptions de tâches…
Cette thématique est inscrite dans les priorités en termes de formation institutionnelle.
Organiser des retours d’expérience à partir des événements indésirables analysés : il a été décidé de faire le ¼ heure de la sécurité tous les jeudis matin avec une affiche en relais pour les professionnels absents. Ce temps court permettra la diffusion de messages clés. Cette dynamique doit inciter les professionnels de santé à déclarer les EI.
L’analyse de cet événement indésirable montre que l’addition de plusieurs erreurs dans ce processus de prise en charge aurait pu engager le pronostic vital de la patiente.
Le "swiss cheese model" (ou modèle de fromage suisse) selon James Reason montre une fois encore que c’est l’accumulation de plusieurs défaillances qui a généré l’incident.
Ces défaillances sont ici d’origine humaine. Ce facteur humain, aussi appelé compétences non techniques, doit devenir une préoccupation constante des organisations de travail. La construction de barrières préventives doit prendre en compte ce facteur pour générer des process de prise en charge de patient sécure.