Syndrome coronarien aigu atypique : consultations aux urgences et renvoi à domicile sans diagnostic

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Syndrome coronarien aigu atypique : consultations aux urgences et renvoi à domicile sans diagnostic

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  • Un homme assis dans son canapé se tient la poitrine - MACSF

En cas de douleur atypique évoquant un possible syndrome coronarien aigu, le protocole standard préconisé par la société de cardiologie doit être appliqué systématiquement.

Auteur : le Dr Christian Sicot / MAJ : 17/03/2025

Cas clinique

Un samedi, un homme d’une quarantaine d’années ressent à son domicile une douleur thoracique. La douleur s’intensifiant, il se rend aux urgences de la clinique proche de chez lui, accompagné de sa compagne.

15 ans plus tôt, ce patient a subi, une greffe du rein pour insuffisance rénale sur glomérulonéphrite d’origine indéterminée. Par ailleurs, il est suivi pour obésité, HTA, hypertriglycéridémie. Récemment, son cardiologue traitant a conclu à un examen normal, y compris pour une tomoscintigraphie myocardique. 

Son traitement associait : Prograf® (immunosuppresseur), Myfortic® (immunosuppresseur), Atenolol®, énalapril, ... 

Le dimanche dans la nuit, admission aux urgences de la clinique et prise en charge par le Dr A., médecin généraliste : "Samedi soir à 20 h, douleur thoracique rétrosternale à type de névralgie selon le patient, irradiant dans la région dorsale et les deux bras jusqu’au pouce. Douleur EVA : 9. Pas de fièvre, pas de dyspnée. Épisode similaire il y a 15 jours. Épreuve d’effort récente normale. ATCD de greffe du rein. Poids : 94 kg. TA : 17/12, FC 61, Sat 98 %, T 36°C. Douleur palpation para dorsale. BDC réguliers, pas de souffle, pas d’OMI, mollets souples, indolores. Auscultation pulmonaire libre et symétrique, pas de dyspnée, pas de cyanose. Abdomen souple, dépressible, indolore. Pas de céphalées, pas de déficit sensitivo-moteur. Pas d’éruption.

ECG : rythme sinusal normal. BBD : bloc de branche droit complet. HBAG : hémibloc antérieur gauche.

Biologie (à 1 h 33) : hémoglobine : 15,1 g/dL. Hématocrite : 44,5 %. Leucocytes ; 12,4 Giga/L. Plaquettes : 279 000/mm3. Taux de Prothrombine : 89 %. Glycémie (non à jeun) : 10,70 mmol/L. Créatinine : 127 µmol/L. Débit de filtration glomérulaire : 58 ml/mn. Sodium : 136 mmol/L. Potassium : 3,8 mmol/L. Chlore : 98 mmol/L. CRP : négative. D-dimères : négatifs. Pro BNP : 199 ng/L (valeur de référence inférieure à 125). Troponine TnT : 38 ng/L (H0), 42 ng/L (à 4 h 25)."

Le Dr A. conclut à l’absence d’anomalies biologiques, notamment : "D-dimères négatifs. Pro BNP : 200. Troponine : normal". Diagnostic retenu : dorsalgie.

À noter que pour le laboratoire, la valeur de référence de la Troponine TnT est inférieure à 17ng/L (en cas de valeur supérieure à 30 ng/L : très forte probabilité d’un syndrome coronarien aigu).

Le dimanche matin, le patient quitte le service des urgences de la clinique et regagne son domicile. Traitement : Izalgi® 2 cp 3 fois par jour si douleur, Valium® 5 mg 1 cp le soir pendant 5 jours. Faire scanner en externe.

En soirée, devant la persistance de la douleur thoracique avec une sensation de dyspnée, le patient se rend dans le service d’accueil des urgences du CHU.

L’Infirmière d’Accueil et d’Orientation relève les paramètres suivants : poids : 92 kg, taille : 164 cm (IMC : 34,21). PA : 132/87 mmHg. Pouls : 92 bpm. Saturation en oxygène : 94 % à l'air ambiant. Température : 36°C. Douleur EVA : 10. Score Glasgow 15.

D’après la compagne du patient : "Nous sommes pris en charge par une infirmière qui, je pense, régule les entrées ; je lui décris les symptômes et notre première visite aux urgences à la clinique. Elle s'agace que nous ne soyons pas retournés à la clinique, je comprends qu'elle ne nous prend pas au sérieux. Mon compagnon se plaint d’avoir des difficultés à respirer. Elle lui répond que c’est normal quand on a mal et elle lui donne 2 cachets de tramadol 50 mg. Il lui indique que la douleur est de 10/10. L'infirmière s’oriente vers un médecin pour avis..., à son retour, il est orienté vers les consultations urgences circuit court…".

Dans la soirée, le patient est pris en charge par l’interne et l’urgentiste de garde. Motif d’entrée : difficultés respiratoires sur probable douleur dorsale. Statut vaccinal : 3 doses Covid.

Examen clinique : conscient, orienté, Glasgow 15, angoisse+++ (chronique), EVA 8/10. Cardio : douleur thoracique rétrosternale rythmée par la respiration, en ceinture, irradiant aux deux bras, BDC réguliers, sans souffle, pas d’OMI, pas d’IC. Pneumo : eupnéique en air ambiant, auscultation claire et symétrique, polypnéique, respiration superficielle. Abdomen : souple, dépressible, indolore, pas de trouble du transit. Neurologie : pas de déficit sensitivo-moteur, pupilles intermédiaires, symétriques. Rhumato : douleur palpation para vertébrale, névralgie dorso brachiale. Radiographie pulmonaire : pas d’anomalie radiologique pouvant expliquer la symptomatologie.

Conclusion dossier (interne) : douleur dorsale ; contracture musculaire diffuse.

Aux premières heures du matin, le lundi, le patient quitte le service des urgences du CHU et regagne son domicile. Prescription (urgentiste) : Izalgi® 500 mg/25 mg : 1 cp 4 fois par jour pendant 7 jours. Néfopam® 20 mg/2ml injectable : 1 ampoule toutes les 4 heures pendant 5 jours tous les jours. Valium® 5 mg : 1 cp tous les jours pendant 7 jours. Séances de rééducation pour antalgie et rééducation suite à des dorsalgies sur port de charge lourde.

Ce même jour, le lundi vers 8 h, à son domicile, le patient présente un malaise après la prise d’Izalgi®.

À 8 h 50, il est pris en charge par les pompiers pour le conduire au CHU. Pendant le transfert survient un arrêt cardio-respiratoire, immédiatement traité par massage cardiaque externe. Le médecin des pompiers, appelé, intube le patient et administre 2 mg d’adrénaline par voie intra-veineuse.

À l’arrivée au CHU, le malade est sédaté, avec absence de tout mouvement à la stimulation physique. Mydriase bilatérale aréactive.

Une ECMO (extracorporeal membrane oxygénation) est mise en place. Une coronarographie met en évidence une occlusion aiguë de l’ostium de l’artère interventriculaire antérieure traitée par implantation d’un stent actif. Un entrainement électro-systolique cardiaque est réalisé afin d’obtenir une simulation à 80 bpm. L’hémodynamique est maintenue grâce à de fortes doses d’amines. Une épuration extra-rénale par dialyse continue est également mise en place. 

Malgré, ces traitements, décès du patient.

Saisine de la Commission de Conciliation et d’Indemnisation (CCI) par la compagne du patient pour obtenir réparation des préjudices subis (avril 2022).

Expertise (août 2022)

Pour l’expert, anesthésiste-réanimateur :

"(...) Le décès est imputable à un infarctus du myocarde de topographie antérieure compliqué d’un arrêt cardio-respiratoire. En lien avec l’évolution d’un syndrome coronarien aigu, non dépisté, survenu chez un patient présentant de nombreux facteurs de risques coronariens.

Concernant la prise en charge dans le service des urgences de la clinique

  • Le demandeur a été examiné, ses antécédents ont été relevés. 
  • Les examens nécessaires à mettre en œuvre sans délai devant une douleur thoracique ont été réalisés conformément aux recommandations de la Société Française de Cardiologie, à savoir, en particulier, ECG et cycle enzymatique (cycle de Troponine H0-H3). 
  • Concernant la prescription de retour à domicile, plusieurs éléments auraient dû conduire à poursuivre les investigations et la surveillance du patient en hospitalisation, soit dans la même structure, soit d’envisager un transfert dans une structure plus spécialisée, en capacité de réaliser une coronarographie : 

    1- Il existait une douleur thoracique persistante, irradiante dans les bras, non calmée par les antalgiques prescrits chez un patient présentant de nombreux facteurs de risques coronariens, à savoir la greffe rénale, l’hypertension artérielle, une dyslipidémie avec hypertriglycéridémie, une obésité, un tabagisme sevré (ancien) selon les dires de la demanderesse, rappelant que toute douleur thoracique chez un patient à risque doit être considérée comme un SCA (syndrome coronarien aigu) jusqu’à preuve du contraire. 
    2- Il existait une élévation du taux des troponines : le taux n’était pas majeur mais il était dans des normes pathologiques selon les références du laboratoire qui a réalisé l’examen
    3- Une élévation du taux des troponines sur le deuxième dosage par rapport au premier de 38 à 42.

    Au total, le tableau clinique était atypique, mais la présence d’anomalies retrouvées sur l’électrocardiogramme nécessitait, dans son interprétation, un avis spécialisé.
    En effet, les éléments classiques dans le syndrome coronarien aigu peuvent être l’existence d’un sus-décalage du segment ST dénommé ST+ et l’existence d’une-Onde de Pardee, traduisant l’infarctus aigu, qui étaient absents en l’espèce au moment des faits.
    Mais il existe des syndromes coronariens sans sus-décalage du segment ST.
    C’est pour cela, qu’il était nécessaire de s’entourer d’un avis cardiologique devant cette douleur thoracique qui semblait très intense, et non calmée par les antalgiques prescrits.

Concernant la prise en charge dans le service des urgences du CHU

  • L’accueil du patient par l’infirmière ne semble aucunement adapté.
  • Le recueil de certaines informations de l’anamnèse ne semble pas conforme. Ainsi, il est noté : "angoisse +++ (chronique)", ce que nie la compagne du patient.
  • Il est noté également : "troponines normales", ce qui n’était pas le cas en l’espèce.
  • La prise en charge du patient n’a pas été conforme aux recommandations en la matière, en particulier, les examens nécessaires à mettre en œuvre sans délai devant une douleur thoracique n’ont pas été réalisés conformément aux recommandations de la Société Française de Cardiologie.
  • La surveillance et la prise en charge d’un tel patient, hyperalgique, n’a pas été adaptée.
  • Aucune information ne semble avoir été donnée de façon adaptée.

Concernant la prise en charge 

  • Par le SAMU
  • Par le Médecin des sapeurs-pompiers
  • Au bloc de chirurgie cardio-vasculaire du CHU

Toutes ces prises en charge du patient ont été réalisées de manière tout à fait adaptée, conformément aux recommandations de la Société Française de Réanimation. 

Par ailleurs, la famille a été parfaitement informée de la gravité du pronostic, celle-ci a pu ainsi être présente au moment du décès du patient.

Analyse des responsabilités

  • Tous les soins réalisés par le Dr A. aux urgences de la clinique ont été consciencieux, attentifs, conformes aux données actuelles de la science et de la médecine, hormis la prescription du retour au domicile sans avis spécialisé.
  • Aucune faute n’apparait dans l’organisation du service et de son fonctionnement concernant la clinique.
  • Les soins pratiqués dans le service des urgences du CHU ne l’ont pas été conformément aux règles de l’art et aux techniques inhérentes en la matière. 
    Au total, il apparaît que tous les soins réalisés dans le service des urgences n’ont pas été consciencieux, attentifs, conformes aux données actuelles de la science et de la médecine. Il apparaît l’existence d’un dysfonctionnement dans l’organisation du service et de son fonctionnement au moment des faits. En outre, l’information du patient n’a pas été adaptée. Elle n’a pas été réalisée, de façon complète, claire, loyale et appropriée.
  • Tous ces éléments ont constitué une perte de chance pour le patient.
  • Les éléments suivants sont constitutifs d’un état antérieur :
    - une greffe rénale,
    - une hypertension artérielle,
    - une hypertriglycéridémie,
    - une obésité,
    - une sédentarité,
    - un tabagisme (ancien ?).

    Ainsi, l’état antérieur du patient a participé à la survenue de son décès.
    On peut évaluer sa participation à 30 %.
     
  • La responsabilité du médecin des urgences de la clinique et celle du CHU peuvent être évaluées respectivement à 15 % et 55 %. (…)"

Avis de la CCI (février 2023)

La Commission considère que : 

"Les manquements fautifs du Dr A., médecin des urgences de la Clinique et du CHU, ouvrent droit à la réparation des préjudices subis, dans la limite de 70 %, dont 25 % pour le premier et 45 % pour le second".

Commentaire

Pour la Société Française de Cardiologie, les notions indispensables et inacceptables en cas de syndromes coronariens aigus sont les suivantes :

NOTIONS INDISPENSABLES

Un syndrome coronarien aigu (SCA) doit être évoqué : 

  • Devant une symptomatologie douloureuse thoracique suspecte (angor ou équivalent).
  • Chez un patient présentant un terrain à risque (facteurs de risques ou antécédents vasculaires artériels).
  • Lorsque l’angor est spontané ou d’effort récent et/ou d’aggravation rapide (crescendo).
  • Un sus-décalage du segment ST persistant :
    • confirme le diagnostic d‘occlusion coronarienne aiguë et pose le diagnostic d’infarctus avec sus-décalage de ST (IDMST+) ;
    • impose une revascularisation immédiate par intervention coronarienne percutanée ou à défaut, en l’absence de contre-indication, par fibrinolyse intra-veineuse.
  • En l’absence de sus-décalage persistant, la persistance d’une douleur angineuse justifie la réalisation d’une coronarographie rapide (< 2 heures).
  • L’élévation de la troponine dosée à l’admission et 1 à 2 heures plus tard confirme le diagnostic d’infarctus (IDMNST).
  • La mise en évidence de signes de gravité (ECG, troponine, score de GRACE) justifie la réalisation d’une coronarographie (< 24  heures).
  • L’absence d’élévation de la troponine n’exclut pas le diagnostic de syndrome coronarien aigu (SCANST).

Le traitement antithrombique comprend :

  • Aspirine dès la suspicion
  • Un anticoagulant avant la réalisation de la coronarographie
  • Un inhibiteur des récepteurs P2Y12 (clopidogrel ou prasugrel ou ticagrélor en fonction de leurs contre-indications) après la réalisation de la coronarographie dans (IDMNST et angor instable).
  • Lors d’un SCA, une douleur persistante peut justifier l’administration d’un antalgique (chlorhydrate de morphine). Des dérivés nitrés peuvent être prescrits par voie IV (dinitrate d’isosorbide 2mg/h) à visée antalgique, antihypertensive ou comme traitement d’une insuffisance cardiaque congestive (contre-indiqués en cas d’absorption récente de Sildénafil®)

Au décours d’un SCA , sont prescrits pour 1 an :

  • Aspirine
  • Inhibiteur des récepteurs P2Y12
  • Statine à forte dose
  • +/- bétabloquant et IEC
  • Traitement des facteurs de risque

NOTIONS INACCEPTABLES

Oublier les principes de la stratégie diagnostique dans les SCA

  • Évoquer le diagnostic dès l’interrogatoire incluant l’analyse des symptômes et la prise en compte du terrain.
  • Réaliser immédiatement un ECG pour le diagnostic d’IDMST+ justifiant une revascularisation immédiate.
  • Doser la troponine à l’admission et 1 à 2 heures plus tard.
  • Évaluer la gravité du SCA qui conditionne le délai de réalisation  d’une coronarographie

Oublier au décours du SCA

  • De prescrire une double antiagrégation plaquettaire.
  • De prescrire une statine.
  • De prendre en charge les facteurs de risque (tabagisme, sédentarité, surcharge pondérale, HTA, diabète).

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Adressez-nous votre commentaire à contacts@prevention-medicale.org

Référence 
Société Française de Cardiologie - Accueil - Chapitre 5 - ITEM 339 - Syndromes coronariens 

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