Le 3e Prix de la Prévention Médicale a été attribué au Docteur Leïla ASSAGHIR pour "La fresque des erreurs médicales", un jeu pour transformer la sécurité des soins en équipe en médecine vétérinaire.
J’ai la double casquette de vétérinaire praticienne salariée et de formatrice en sécurité des soins.
J’ai "une vision 360 de la sécurité des soins grâce à la réalisation d’un double cursus, en parallèle de mes études vétérinaires : le prisme gestion de crise et gestion des risques avec le Ms ALISeE, le prisme juridique de la faute avec un Master 2 en droit du risque médicale, et le prisme technique avec un DIU évaluation de la qualité et de la sécurité des soins". Ma thèse d’exercice a d’ailleurs porté sur les erreurs médicales dans la profession vétérinaire animaux de compagnie, où j’y évaluais la culture de sécurité, les types d’événements indésirables et le vécu des erreurs au sein de la profession vétérinaire (Thèse d'exercice DMV Oniris).
Aujourd’hui, en parallèle de mon activité de praticienne, j’accompagne les vétérinaires et les auxiliaires vétérinaires pour les aider à améliorer la sécurité des soins dans leur structure (prévention des événements indésirables, compréhension des facteurs organisationnels et humains, gestion des erreurs médicales, etc.).
La prévalence des erreurs en médecine vétérinaire n’est pas connue avec certitude. On ne dispose pas d’étude comme ENEIS. Pour autant, on sait que ces erreurs existent, qu’elles nuisent à la sécurité des patients et qu’elles altèrent la santé psychologique des soignants. Certaines études récentes ont pointé leur impact délétère sur la qualité de vie au travail des vétérinaires : source d’idéations suicidaires, de burn-out, de reconversions…
Les erreurs sont abordées dans la profession, mais essentiellement sous le prisme de la faute, de manière très technique. Cette approche est culpabilisante puisqu’elle établit quasi systématiquement une confusion entre l’erreur commise et une faute ou un déficit de connaissances.
C’est en partant de ce constat que j’ai eu l’idée de développer le sujet sous un autre angle : celui des facteurs humains. Après avoir testé quelques formations et conférences, j’ai eu envie d’un format plus actif, amusant et ludique. J’ai choisi d’utiliser un support déjà employé pour sensibiliser aux enjeux climatiques – en l’occurrence, la fresque du climat - pour susciter l’intérêt des équipes vétérinaires sur ce sujet tabou. Ce format créatif instaure un cadre bienveillant et moins sérieux qui permet d’ouvrir le dialogue et de parler des problèmes de nos défaillances individuelles et collectives sans culpabilisation.
Il s’agit d’un plateau de jeu, avec des cartes réparties en 5 catégories. Les participants doivent répondre à un certain nombre de questions. Le premier paquet traite de la définition de l’erreur, à partir de situations que les joueurs doivent qualifier. Le second paquet porte sur les biais cognitifs qui peuvent "tromper notre cerveau" dans certaines situations de soin. Le troisième porte sur les menaces qui peuvent altérer la sécurité des soins (soignant lui-même, propriétaire, environnement de travail, etc.). Le quatrième paquet de cartes interroge sur les barrières qui seraient utiles pour fiabiliser les soins (outils et méthodes simples comme la check-list, le pointer-nommer, le contrôle croisé…). Enfin, le cinquième interroge sur les facteurs contribuant à un mauvais vécu des erreurs et sur la manière d’en réduire les impacts.
Chaque carte du jeu est illustrée par un exemple concret tiré de la pratique vétérinaire. Cet effort de transposition des principes de sécurité des soins au monde vétérinaire permet aux participants de se projeter et d’assimiler rapidement les principes théoriques.
La fresque améliore la culture de sécurité en engageant la discussion sur les défaillances humaines et organisationnelles, sans blâmer quiconque et en donnant des clés pour ne pas reproduire les erreurs. C’est un formidable outil de cohésion d’équipe et d’engagement, dans une démarche d’amélioration continue.
Avec cette vision systémique, les soignants sont amenés à sortir du prisme de la faute pour réfléchir autrement. Ils peuvent agir efficacement pour sécuriser les soins en construisant 3 niveaux de barrières de sécurité et en identifiant et réduisant les menaces. La forme de jeu permet de synthétiser des notions complexes pour en favoriser la rétention, l’appropriation et la réutilisation par les participants dans leur pratique quotidienne.
Ce format est un bon moyen pour sensibiliser un grand nombre de vétérinaires et d’auxiliaires vétérinaires lors de soirées confraternelles, congrès ou réunions professionnelles. Le format jeu attire des confrères et consœurs qui, de prime abord, n’auraient pas été intéressés par le sujet.
À partir des feedbacks des 300 vétérinaires et ASV sensibilisés, j’ai décidé de faire évoluer la fresque pour l’améliorer et la rendre plus accessible. La fresque devient donc TOUTOURISK : un jeu de 175 cartes pour parler des risques avec son équipe.
J’ai supprimé le plateau, qui était encombrant avec une faible valeur pédagogique, conçu de nouvelles règles de jeu pour le rendre plus fun et qu’il puisse être utilisé sans qu’il n’y ait besoin d’un formateur. J’ai également ajusté le modèle en ajoutant des cartes conséquences pour inciter à parler des presqu’accidents, et en ne restreignant plus les causes d’erreurs aux seuls biais cognitifs.
Le jeu peut s’utiliser de deux manières. Le premier mode vise simplement à libérer la parole sur les problèmes afin de favoriser la cohésion d’équipe et la culture de sécurité. On peut laisser le jeu dans la salle de pause comme support de discussion pour les équipes ou l’utiliser lors d’une réunion d’équipe ou un moment de convivialité.
Le second mode, plus "sérieux", consiste à utiliser les cartes comme un support de discussion pour l’amélioration continue : faire un RETEX à la suite d’un événement indésirable, identifier les menaces qui altèrent le plus notre performance, débriefer après une situation compliquée, accompagner une nouvelle recrue dans son onboarding… Pour ce second mode nécessitant des compétences particulières, j’ai créé une certification à destination des managers d’équipe et des formateurs contenant une présentation détaillée du matériel et des concepts, des conseils d’animation, de facilitation et de mise en pratique ainsi qu’un Powerpoint d’animation prêt à l’emploi.
J’espère ainsi sensibiliser davantage d’équipes vétérinaires, et aimerais ouvrir le jeu à d’autres professions de santé en transposant les exemples (par exemple, aux maternités, aux anesthésistes, aux dentistes…).
1er prix : David PASTEAU et les équipes de l’UNAIBODE pour "KSMOR" >
2e prix : Elise CABANES et Mariana FERNANDES pour "EPOCA" >