Les accidents transfusionnels sont devenus rares grâce à un cadre réglementaire important et aux recommandations de bonnes pratiques. Les quelques événements indésirables graves recensés ont souvent comme causes racines le facteur humain, et pourraient donc être évitables avec une sensibilisation sans cesse renouvelée.
Un patient est adressé aux urgences par le 15, transporté par une ambulance paramédicalisée, pour une suspicion de pneumopathie.
Il présente dans ses antécédents un cancer ORL diagnostiqué un an plus tôt, pour lequel il est toujours sous traitement par chimiothérapie en raison d’une récidive.
Les constantes prises à son arrivée montrent une dégradation de la fonction respiratoire avec une saturation en oxygène à 90 %.
Il est reçu par le sénior des urgences et par l’interne. Un bilan sanguin est prescrit ainsi qu'une radiographie pulmonaire. Le patient précise qu’il est attendu le lendemain en service d’oncologie pour bénéficier d’une séance de chimiothérapie.
L’imagerie médicale objective la pneumopathie et le bilan biologique retrouve une anémie à 7,9 g/dl.
Au vu des résultats des examens paracliniques et du tableau clinique, il est proposé au patient une hospitalisation en médecine pour une surveillance rapprochée et la mise en œuvre d’un traitement par voie intraveineuse. Il accepte, car il est inquiet de la situation et comprend que son état de santé se dégrade.
Une antibiothérapie est initiée immédiatement aux urgences et l’interne. Au vu du taux d’hémoglobine, prescrit une transfusion sanguine de deux Concentrés de Globules Rouges (CGR). Le patient est transféré en médecine en début de nuit.
À son arrivée dans le service de médecine, l’infirmière de nuit accueille le patient et l’installe dans sa chambre. Elle prend connaissance des informations et prescriptions du dossier des urgences, avec notamment la prescription de la transfusion sanguine. Elle questionne le patient sur ses antécédents, et apprend qu’il est suivi au sein de la structure de soins.
Elle appelle le cadre de nuit pour demander à disposer du dossier médical du patient, qui doit être dans le service des archives. Il convient de préciser que cet établissement de santé n’a pas encore déployé totalement le dossier patient informatisé, seules les prescriptions médicamenteuses et le plan de soins bénéficient d’une solution numérique…
La cadre ne retrouve pas le dossier aux archives. L’infirmière de médecine appelle alors sa collègue en oncologie, qui retrouve un dossier au nom du patient… dans le bac à dossiers des patients à admettre dans la semaine…
L’infirmière de médecine consulte alors le dossier récupéré, retrouve une carte de groupe sanguin groupe B+, et demande à l’interne des urgences de venir signer la demande de CGR. La demande est envoyée au laboratoire de biologie médicale qui gère le dépôt de produits sanguins labiles pour obtenir les CGR prescrits.
La technicienne de laboratoire les prépare, appelle le brancardier pour les acheminer en médecine.
À la réception du container de transport, l’IDE :
Elle continue son tour de soins de début de nuit, car elle a pris du retard…
Quinze minutes plus tard, le patient appelle car "il ne se sent pas bien"… L’IDE arrête immédiatement la transfusion.
Elle questionne le malade qui explique qu’il a des douleurs lombaires, qu’il est angoissé, avec des difficultés à respirer et des nausées. La prise tensionnelle objective une hypotension à 75/40 mm de Hg.
L’interne des urgences est appelé, puis fait lui-même appel au réanimateur de garde : le tableau clinique est évocateur d’une incompatibilité transfusionnelle et le patient est transféré en Unité de Surveillance Continue (USC).
Le CGR est gardé, ainsi que le test de compatibilité…
Une hémoglobinurie est objectivée et le bilan sanguin montre une hyperbilirubinémie, une augmentation de la LDH et une chute de l’haptoglobine. L’insuffisance rénale est modérée, avec une augmentation sensible de l’urée et de la créatinine.
Les examens complémentaires montrent que le patient est de groupe A+.
À la lumière de ces éléments, les recherches montreront que le dossier transmis au service de médecine était le dossier d’un homonyme…
Devant les impacts de cet événement indésirable grave (EIG), plusieurs professionnels l’ont déclaré.
Le directeur de l’établissement et le coordinateur médical de la gestion des risques ont proposé à l’ensemble des professionnels concernés de faire réaliser une analyse par un professionnel externe et rompu à l’analyse des événements indésirables (EI). Cette proposition a été acceptée à l’unanimité.
Les données analysées proviennent des éléments recueillis au préalable auprès des professionnels de santé qui sont intervenus dans la prise en charge de ce patient : recueil réalisé lors d’entretiens individuels, analyse de documents, lecture du dossier… La méthode ALARM est retenue.
C’est le patient, par le signalement d’une série de signes cliniques, qui a permis de détecter cette erreur transfusionnelle.
Des conséquences importantes pour le patient :
Il est important de mettre en évidence les barrières de défenses qui ont été déficientes.
Le partage de ce retour d’expérience doit permettre :
Toutes ces sensibilisations doivent permettre de construire un plan d’actions correctives et d’amélioration de la qualité et de la sécurité des soins.
Mais également de comprendre que chaque fois que l’on va s’autoriser à travailler en mode dégradé, on augmente le niveau de risques pour le patient.
La transfusion sanguine est une pratique médicale très sûre, mais la survenue d’EIG évitables demeure une réalité statistique.
Devant les conséquences potentiellement dramatiques de ces accidents, il convient de rester vigilant et d’organiser les séances de sensibilisation nécessaires au maintien d’un niveau de sécurité optimale.
Cette dynamique doit être organisée dans une démarche concertée et systémique.
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