Une jeune fille âgée de 21 ans fait une chute sur un trottoir et présente une contusion des deux genoux avec un œdème.
Devant la persistance des douleurs, elle consulte quelques jours plus tard le rhumatologue qui l’a suivi régulièrement pendant plusieurs années (de l’âge de 8 ans à 18 ans) pour différentes douleurs ou traumatismes mineurs liés à la croissance ou à son activité sportive.
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Un premier expert (médecin légiste) est sollicité par la famille en 2008 pour un avis sur les circonstances de ce décès.
Il reçoit les parents à deux reprises et prend connaissance des dossiers de certains médecins.
Il précise :
Cette jeune femme fumait de temps en temps, mais pas de façon régulière d’après ses camarades et ses parents chez lesquels elle vivait.
Elle avait consulté à de nombreuses reprises son rhumatologue pendant les 10 années précédentes, quand elle pratiquait plusieurs sports dont l’équitation. Faute de temps, elle avait interrompu ses activités sportives depuis son baccalauréat. C’est ce rhumatologue qu’elle a consulté au décours de sa chute : il n’y a pas eu de prévention thromboembolique pendant la période d’immobilisation partielle par attelle.
Un suivi gynécologique était assuré auprès d’un gynécologue pour contraception par une pilule œstro-progestative (Varnoline®). La première prescription, deux ans auparavant, ayant été faite dans le cadre de la mise en route d’un traitement par Isotrétinoine puis renouvelée pour l’année qui nous concerne. Prenant connaissance de l’anomalie génétique chez le père, il avait été prescrit, avant renouvellement de la prescription, une recherche de la résistance à la protéine C activée chez la fille. Cette recherche s’est avérée négative.
Depuis le début de l’année universitaire, il avait été diagnostiqué une dépression (perte de poids) : elle était suivi par un psychiatre hebdomadairement pour une psychothérapie et prenait du Prozac (amélioration) ; le même psychiatre l’avait prise en charge pour un épisode dépressif alors qu’elle était au Lycée (vers l’âge de 16 ans).
Concernant le diagnostic de bronchite, sa mère dit s’en être étonnée, lors de la première radiographie parce qu’elle ne toussait pas. Au cours du traitement par cortisone, sa fille vivait apparemment normalement et montait les escaliers de son domicile.
Ensuite après son décès, un ami dira qu’elle l’avait appelé pendant une heure, car elle était angoissée par ses douleurs et son essoufflement et qu’elle voulait savoir si elle avait, comme lui, de l’asthme. Il lui avait conseillé de consulter un MG ce qu’elle avait déjà fait par deux fois.
De l’avis des parents, sur cette période de trois semaines environ, l’état de leur fille a été fluctuant : des périodes en apparence en bonne santé et des périodes soudaines et brèves de symptômes de grande fatigue, avec essoufflement inhabituel, teint pâle, douleurs thoraciques dont elle a peu parlé à ses parents et à son « petit ami » mais beaucoup à ses amis de la Faculté.
Les parents reprochent au premier MG de ne pas avoir évoqué le diagnostic et au second de ne pas l’avoir fait hospitaliser puis de s’être focalisé sur le stress avec un appel un peu tardif au SAMU.
Cet expert innocente le gynécologue et le rhumatologue, tout en considérant que la cause de ces embolies prend sa source dans l’immobilisation. Le traumatisme n’a pas été suffisamment prononcé pour attirer l’attention particulière des autres praticiens.
Il considère que pour le remplaçant : « il est difficile de lui reprocher quoi que ce soit, L’évolution était trop précoce et la symptomatologie n’attirait pas le diagnostic dans ce contexte d’examen et de stress associé ».
En revanche, il cible ses reproches sur le médecin traitant dont « la prise en charge a, semble-t-il, été orientée vers un diagnostic d’état de stress lié aux examens, sans avoir eu l’attention attirée par l’essoufflement, la pâleur et vraisemblablement la tachycardie ». Il reproche » une sous-estimation de la symptomatologie, lors de sa première consultation », engageant fortement sa responsabilité et entraînant une perte de chance de survie.
Un deuxième expert (pneumologue), sollicité par les parents, reproche au gynécologue la contraception par pilule combinée étant donné les antécédents paternels (et le fait inconnu de la jeune fille d’antécédent de phlébite chez sa grand-mère et d’embolie pulmonaire en post partum chez son arrière-grand-mère). « Même en l’absence de résistance à la protéine C, un oestro-progestatif était formellement contre indiqué. Dans l’état actuel de la science, nous maitrisons plusieurs facteurs prédisposant à des événements thromboemboliques mais vu leur potentiel mutagène, il en existe d’autres qui font l’objet de recherches ». Le prescripteur a une part de responsabilité.
« L’association de signes d’embolie pulmonaire patents du premier examen (essoufflement, fatigue, douleurs costales persistantes dans le temps et s’aggravant, ne peuvent être occultés par une symptomatologie faite de stress, concours, jeune âge. Un adage classique en médecine dit que « quand on ne comprend rien au tableau du patient, c’est une embolie pulmonaire jusqu’à preuve du contraire ». Le SAMU aurait dû être appelé le soir de la première consultation chez le médecin traitant et un angioscanner fait en urgence. Au minimum elle aurait dû être hospitalisée. La prise en charge le lendemain est incompréhensible, le SAMU n’est appelé que ¾ heures plus tard, après un premier malaise et une radiographie pulmonaire anormale et suggestive. La conduite du médecin traitant est fautive.
Les experts judicaires (médecin légiste et anesthésiste) (en 2010)retracent l’histoire clinique. La mère explique que lors du malaise de sa fille, elle avait immédiatement demandé au médecin d’appeler le SAMU mais qu’il lui avait dit à plusieurs reprises « qu’il fallait attendre » que cela allait passer et a même préparé une ampoule de Valium en lui disant que « si elle se calme avec ce produit, c’est que c’est le stress ». Sa fille était agitée, marbrée, avec une respiration courte et saccadée et se plaignait de fortes douleurs le long de la colonne vertébrale. Finalement l’appel du SAMU a été fait par le médecin, la mère menaçant de l’appeler elle-même tout en alertant son mari.
Ils confirment :
- Que l’attitude du gynécologue est conforme : il n’y avait pas de critères d’exposition au risque chez la patiente.
- Que le traumatisme du genou avec attelle et appui n’imposait pas de traitement anticoagulant.
Leurs conclusions vis-à-vis des MG sont très mesurées mais insuffisamment précises et elles susciteront beaucoup de commentaires à la lecture du pré rapport.
Ils rappellent les difficultés du diagnostic, l’absence de phlébite.
Ils expliquent que les périodes de symptomatologie varient, car la thrombolyse physiologique détruit au début les petits embols.
Ils considèrent que certes, le remplaçant a fait une erreur diagnostique mais que les circonstances cliniques étaient trompeuses ainsi que l’évolution et que le diagnostic d’embolie pulmonaire n’était pas si simple à évoquer au moment des faits.Que la première radiographie pulmonaire n’est pas contributive.
Le diagnostic d’embolie pulmonaire ne s’imposait pas comme évident le soir de la première consultation du médecin traitant. Le diagnostic d’embolie pulmonaire médicale est difficile ; même le SAMU ne l’a pas évoqué le lendemain. Peut-être qu’une hospitalisation aurait permis de faire le diagnostic mais l’état clinique ne semblait pas justifier l’appel du SAMU et son état n’aurait pas justifié que des examens soient faits en urgence à l’hôpital comme le dit un des médecins conseils présent, réanimateur.. On peut s’interroger sur le fait que, devant une longue errance diagnostique, les parents n’aient pas pris leur enfant sous le bras pour l’adresser à un service d’urgences…
Lorsqu’elle consulte son médecin traitant avec une radiographie pulmonaire qui peut évoquer le diagnostic d’embolie, elle n’a pas pu avoir de RDV cardiologique ; « cette attitude nous parait critiquable et fautive » alors que le diagnostic de péricardite pouvait constituer une urgence. (Le cardiologue n’a pas été entendu). Le délai d’appel au SAMU n’est pas vérifié.
Il a manqué dans cette longue prise en charge avec de nombreux intervenants le « déclic » pour évoquer une embolie pulmonaire. Pendant une période de 3 semaines, elle a consulté à 4 reprises : si le diagnostic d’embolie avait été évoqué une fois, le transfert en milieu hospitalier eût été immédiat….Mais les phases de rémission ont été rassurantes et ont égaré le diagnostic. L’interprétation des signes cliniques a posteriori est un exercice hasardeux de nature à faire croire que l’embolie ou plutôt les embolies pulmonaires à répétition étaient un diagnostic réalisable...
Les magistrats du TGI entérinent en partie le rapport des experts judiciaires et tiendront aussi compte des rapports amiables.
Ils écartent la responsabilité du remplaçant du médecin généraliste, « en l’absence d’un lien de causalité entre les manquements qui lui sont imputés » (erreur diagnostique et absence de notes) et le décès.
Ils évoquent le fait que « le médecin traitant avait suspecté une péricardite et conseillé une consultation en cardiologie, que la patiente n’a pas pu faire, faute d’une ordonnance de son médecin traitant, qui, manifestement comme le relèvent également les experts, s’est persuadé que tous les symptômes de la jeune fille étaient liés au stress, y compris le premier malaise à son cabinet qu’il qualifiera de vagal ».
On ne comprend pas à cet égard pourquoi, les experts se permettent de fustiger l’attitude des parents en s’étonnant de ce que « devant une longue errance diagnostique, les parents n’aient pas pris leur enfant sous le bras pour l’adresser à un service d’urgence hospitalière… ».
Il appartenait au médecin traitant de conseiller lui-même cette hospitalisation.
Ils retiennent, (contrairement aux experts), la responsabilité du médecin traitant, auquel il appartenait de conseiller l’hospitalisation de la patiente.
En outre, ils retiennent qu’en réponse à un dire, les experts avaient admis qu’une hospitalisation, la veille du malaise aurait pu éviter le décès : « les experts l’admettent et ne donnent au Tribunal aucun élément objectif permettant de penser que cette jeune femme n’aurait pas bénéficié, au service des urgences, d’une batterie d’examens et d’un regard neuf sur sa situation, permettant d’intervenir à temps pour éviter l’embolie massive qui lui sera fatale le lendemain ».
Le médecin ne s’est pas donné les moyens d’établir le bon diagnostic et a commis une faute. Une perte de chance de 80% est retenue.
En Appel, à l’initiative du médecin traitant, la décision est confirmée.
Si les magistrats confirment que l’absence de fiche de consultation du remplaçant est fautive, d’autant plus qu’il intervenait en tant que médecin remplaçant du médecin traitant et qu’il devait garder la trace de ses consultations pour en assurer la transmission…lors de la consultation suivante, le médecin traitant a pris connaissance du traitement et de la radiographie et a noté l’absence d’essoufflement (…) ; dès lors le défaut de mention d’un essoufflement lors de la première consultation du remplaçant n’a pas été de nature à tromper le diagnostic qu’il a effectué.
Considérant que les experts ont considéré que l’erreur diagnostique du médecin traitant n’était pas fautive, le diagnostic délicat…..et l’évolution clinique trompeuse…
MAIS que « les experts, dans leurs réponses aux dires, ont évoqué les 4 diagnostics, susceptibles d’être envisagés, parmi lesquels celui d’embolie pulmonaire qui aurait justifié, une fois évoqué le transfert en milieu hospitalier et celui de péricardite, susceptible d’être suspecté par une auscultation et visible en radiologie et qu’ils ont ajouté : « si un seul de ces 4 diagnostics avait été évoqué ou suspecté, le transfert en milieu hospitalier eût été décidé sans délai ..» ; « qu’ils ont ajouté qu’aucun signe clinique ne permettait une telle démarche , alors que le médecin traitant indiquait au contraire avoir suspecté (à l’auscultation) une péricardite pour laquelle il a prescrit une nouvelle radiographie et renvoyé la jeune femme vers un cardiologue : dés lors, c’est à juste titre que les premiers juges ont considéré que le médecin traitant aurait dû, le soir de sa consultation, conseiller l’hospitalisation… ».
La responsabilité du médecin traitant est confirmée à hauteur de 80%.
Il est toujours difficile d’analyser un dossier a posteriori car le diagnostic est évident : c’est le cas de l’embolie pulmonaire.
Les dossiers d’embolie pulmonaire ou de phlébite qui sont déclarés à la MACSF sont très fréquents, dans toutes les spécialités, en ville ou en établissement et quelque soient les contextes, plus ou moins évocateurs de facteurs de risques. Dans un établissement, l’équipe en charge d’un post opératoire ou d’une hospitalisation, le médecin urgentiste sont souvent concernés et en ville aussi le cardiologue et surtout le généraliste.
On ne reproche jamais dans nos dossiers d’avoir trop facilement évoqué ce diagnostic mais :
- soit de l’avoir évoqué et de s’être temporairement rassuré par l’absence de phlébite clinique ou échographique, d’avoir trop facilement écarté aux urgences les interrogations légitimes du médecin traitant, d’avoir pris pour ‘argent comptant’ des examens peu parlant comme un ECG, une radiographie thoracique ou en établissement une gazométrie normale, des D dimères de résultats variables ….
- d’avoir demandé des examens mais sans en préciser l’urgence, examens remis au lendemain ou plus tard, selon les aléas des weekends et des rendez-vous…notamment un doppler en cas de suspicion de phlébite.
- d’avoir eu des résultats parlants mais non transmis….du fait d’un retard et/ou d’une mauvaise transmission des informations/coordination entre professionnels.
D’autres dossiers, les plus fréquents concernent une absence diagnostique, faute d’y avoir pensé.
Chaque médecin connait le caractère éminemment trompeur et atypique de nombres de présentations cliniques et pourtant…
Bien souvent des avis ponctuels se succèdent, par des praticiens différents, chacun n’ayant pas toujours l’ensemble de l’histoire clinique qui rend le diagnostic possible et parfois probable.
Mais s’est-on donné le temps nécessaire, guidé par la hantise de cette urgence vitale, pour rechercher la parcours du patient ??? Dès lors que rien n’est évident aux premiers interrogatoires voire aux examens complémentaires (qui traduisent déjà une inquiétude du médecin), pour peu qu’on ait évoqué, même sans y croire, une pathologie thromboembolique, on trouve rarement dans les dossiers la réponse aux questions suivantes :
Quelle est la contraception, quelle pilule ?
La patiente est-elle obèse, tabagique ?
En dehors des interventions récentes et tracées, y a-t-il eu un événement traumatique, une immobilisation partielle, un alitement oublié mais récent ?
Y a-t-il des ATCD familiaux ?
Dans des expertises, c’est le dernier médecin qui se trouve le plus souvent condamné : il y a des circonstances atténuantes pour les premiers : évocation normale d’une pathologie a priori banale et fréquente, temps de réalisation des examens…Mais à la troisième ou quatrième consultation, chacun s’interroge : a-t-on pris conscience qu’aucun diagnostic n’était réellement établi ? Ne fallait-il pas hospitaliser, demander un avis, urgent…? A-t-on considéré à la juste valeur que les consultations successives, pour une symptomatologie persistante sans diagnostic étiologique méritait un bilan rapide en milieu hospitalier ?
Si l’on en juge la multitude des scores de probabilité du diagnostic d’embolie pulmonaire, leur nombre traduit bien leur manque de fiabilité diagnostique : c’est du cas par cas.
Il faut y penser et notamment chez des jeunes femmes sous contraception oestro-progestative est un facteur de risque, quel que soit le dosage.
• Embolie pulmonaire aux urgences. A Armand-Perroux, P M Roy, 51 ème congrès, national d’anesthésie réanimation, 2009.
• Accidents thromboemboliques et contraceptifs oraux : une si longue histoire. T Houselstein, Responsabilité numéro 57, mars 2015.
• Facteur V de Leiden, recommandations HAS 2006.
• Les thrombophilies constitutionnelles.
• Brigitte JUDE, Sophie SUSEN, Christophe ZAWADZKI, Nathalie TRILLOT
• Laboratoire d'Hématologie, Hôpital Cardiologique, CHRU, Lille
www.pifo.uvsq.fr/hebergement/cec_mv/135c.pdf
• Early anticoagulation is associated with reduced mortality for acute pulmonary embolism. Smith and coll. Chest, 2010 Jun; 137(6):1382-90.