Découvrez notre rubrique d'analyse du mois de la presse professionnelle sur le risque médical : l'internat anxiogène pour tous, quand arrêter son activité médicale quand on vieillit, big brother en chirurgie, la télé-consultation ne fait pas beaucoup d'heureux, les SMS en médecine générale, revue de question sur les EIG en chirurgie dentaire...
Cet article du JAMA propose une étude longitudinale prospective sur la fréquence et la gravité des syndromes dépressifs survenus chez 3 121 internes hommes et femmes de 44 CHU US pendant leur internat (2015-2016).
Les internes ont été invités à évaluer par questionnaire en quoi le poids de leurs responsabilités influait sur leur vie privée/familiale (échelle de dépression et échelle d’interférence entre travail et vie privée extraites du PHQ-9 : Patient Health Questionnaire-9).
1 571 internes ont répondu (49,7 %). Tous, internes hommes et femmes, voient une augmentation de leur risque dépressif pendant l’internat, mais les internes filles montrent une fréquence dépressive sur l’échelle dépression statistiquement significative et supérieure à celle des garçons (augmentation moyenne de 2,5 du PHQ-9 pour les hommes vs 3,2 chez les femmes). Toutefois, quand les problèmes familiaux sont pris en compte (analyse l’échelle d’interférence travail-vie privée), les différences hommes-femmes se voient réduites de 37 %. L’internat est donc clairement très anxiogène et c’est encore plus vrai pour les femmes internes. Les auteurs rappellent le sur-risque d’erreurs et de mauvaise prise en charge par ces médecins fragilisés. Toute action réduisant les conflits entre travail et la vie privée est donc bénéfique.
Guille C., Frank E., Zhao Z., Kalmbach D Zhao Z., Kalmbach D., Mata D., Sen S. Work-Family Conflict and the Sex Difference in Depression Among Training Physicians, JAMA Intern Med. Published online October 30, 2017. doi:10.1001/jamainternmed.2017.5138
Depuis 1975, les médecins de plus de 65 ans ont augmenté de 374 % aux USA, au point de représenter 23 % de la totalité des médecins exerçant en 2015. Hors, contrairement à presque toutes les professions, il n’y a pas de texte juridique fixant les limites d’exercice de la médecine.
Les critères « raisonnables » d’arrêt de son activité médicale pour les médecins âgés restent très controversés. Il existe clairement des médecins qui vont « trop loin » et qui continuent une activité au détriment de la qualité et de la sécurité du patient. Pourtant, un âge limite obligatoire est encore vu comme une solution inadaptée, tant est grand le nombre de confrères prouvant leur efficacité à des âges très avancés, et surtout, tant ces mêmes confrères âgés sont devenus totalement indispensables à la population dans cette période de pénurie médicale si fréquente sur nos territoires.
En réunissant un solide dossier scientifique, le collège de chirurgie US (American College of Surgeons) a établi une autre voie d’approche au problème en proposant une évaluation confidentielle et régulière des compétences (techniques et cognitives) au-delà d’un certain âge, analysée en commun entre pairs avec le médecin concerné, afin qu’il décide ou non d’arrêter en toute conscience.
Les auteurs soulignent qu’une absence récurrente de réponse au problème va mécaniquement finir par une décision publique d’un âge de retraite imposé comme c’est déjà le cas dans tous les autres métiers.
Dellinger E., Pellegrini C., Gallagher T. The Aging Physician and the Medical Profession, a review, JAMA Surg. 2017;152(10):967-971. doi:10.1001/jamasurg.2017.2342
Une grande partie des erreurs survenant au bloc opératoire sont évitables. Mais l’analyse classique des EIG ne permet pas de progresser vraiment, la faute à la sous-déclaration et à la pauvreté des analyses.
Cette équipe Canadienne de Toronto propose un enregistreur boîte noire du déroulement chirurgical en salle d’opération allant très au-delà des simples vidéos et audios qui sont parfois proposés. On y ajoute des paramètres physiologiques du patient et des professionnels, la vidéo de la progression de l’acte chirurgical (vidéo in situ) et de multiples autres données disponibles. Toutes ces entrées sont conservées sur un serveur qui préserve la confidentialité ; elles sont analysées systématiquement en différé à la fois par des programmes automatisés (comme pour l’analyse systématique des vols) et par des experts. Les résultats permettent de comprendre les bonnes pratiques, de dépister les causes des erreurs et problèmes de tous ordres, et de proposer des corrections.
Goldenberg M., Jung J., Grantcharov T., Using Data to Enhance Performance and Improve Quality and Safety in Surgery JAMA Surg. 2017;152(10):972-973. doi:10.1001/jamasurg.2017.2888
Au Royaume-Uni comme en France, la recherche d’alternative à la consultation en face-à-face en médecine générale est un sujet de grande actualité, visant en premier le meilleur accès aux soins des patients isolés, mais aussi plus globalement une meilleure efficacité et meilleur ratio coût/efficacité face au manque croissant de généralistes.
L’étude analyse l’introduction de ces pratiques et leur impact sur les pratiques au Royaume-Uni. Elle est conduite par entretiens avec des développeurs informatiques, des médecins et des secrétaires, et par des analyses de documents et techniques proposées.
Trois thèmes émergent de ces discussions : la téléconsultation comme une innovation pour les patients, la téléconsultation comme une solution mieux maîtrisée de consultation et la téléconsultation comme un moyen de redistribuer le travail en médecine générale. Au total, le retour d’expérience est plutôt négatif. Les patients sont peu volontaires et peu enthousiastes au risque de recevoir la proposition comme une solution de second ordre ; l’idée que la téléconsultation est maîtrisée est loin d’être acquise, les professionnels étant formés aux aspects techniques, mais peu ou pas aux grands changements dans la relation médecin-patients induits par le nouveau média ; bref, les médecins pratiquant sont d’avis très mitigés, et peu persuadés que cela améliore les soins. Les auteurs pensent qu’on devrait réserver cette pratique d’abord aux patients simples.
Casey M., Shaw S., Swinglehurst D., Experiences with online consultation systems in primary care: case study of one early adopter site, BrJGenPract 2017; 67 (664):e736-e743.
L’utilisation des SMS en médecine générale croît à toute vitesse. Cette étude conduite avec 389 généralistes Irlandais travaillant en milieux ruraux et urbains évalue par revue de question, entretien téléphonique, et focus group l’usage de ces SMS et les risques associés.
Au total, 38 % (n=148) des généralistes utilisent les SMS dans leur relation avec leurs patients. Le taux de pratique a augmenté de 40 % par an entre 2013 et 2016. Le gain de temps est la motivation essentielle des professionnels. Le manque de confidentialité est pointé comme le plus grand risque, à la fois par les utilisateurs (32 %) et encore plus par les non utilisateurs (69 %). 99 % des patients sont ravis de recevoir ces SMS.
Les auteurs considèrent que l’utilisation croissante est inéluctable, et qu’il faut donc s’attaquer rapidement à la question de confidentialité.
Lealy D., Lyons A., Dahm M., Quinlan D., Bradley C. Use of text messaging in general practice: a mixed methods investigation on GPs’ and patients’ views Br J Gen Pract 2017; 67 (664): e744-e750.
Les erreurs sont fréquentes en santé et concernent bien sûr la chirurgie dentaire. Il est impératif de les détecter avant qu’elles ne produisent des EIG. Ceci exige un investissement systématique pour toute la profession, à la fois au niveau du système (aux USA, l’agence de la qualité US s’en est saisie) et au niveau des professionnels (par la pratique du Crew Resource Management par exemple).
L’étude propose une revue de littérature sur les EIG signalés en chirurgie dentaire. 182 publications contenant 270 cas cliniques d’erreurs ont été analysées. Les retards de traitements, les traitements inutiles et les complications liées à une évolution spontanée en l’absence de diagnostic (ou avec un faux diagnostic) sont les trois catégories d’EIG les plus fréquents. 24,4 % des patients concernés ont souffert de douleurs. Dans 1 cas sur 10 signalé, le patient est mort des suites du problème.
Les auteurs encouragent la profession à signaler beaucoup plus.
Obadan EM, Ramoni RB, Kalenderian E. Lessons learned from dental patient safety case reports. J Am Dent Assoc. 2015 May;146(5):318-26.e2. doi: 10.1016/j.adaj.2015.01.003.
Cet article du JAMA se fait l’écho du rapport sur les mammographies préventives publié par le Ministère de la santé Français en octobre 2016. Ce rapport d’experts indépendants réunissait à la fois des médecins de différentes spécialités, oncologues, épidémiologistes, santé publique, des experts de sciences humaines et sociales (sociologues, juristes, bioéthique), sans oublier des consultations citoyennes. Le rapport comporte deux tomes : l’un proposant la fin du programme actuel basé depuis 2004 sur un contrôle gratuit systématique tous les deux ans pour toutes les femmes entre 50 et 74 ans, et l’autre proposant de nouvelles pistes. En effet, l’analyse des données ne montre qu’un faible bénéfice pour la prévention des cancers, tout en représentant un facteur d’anxiété pour la qualité de vie des femmes, et serait même la source de sur-diagnostics et sur-traitements inutiles.
En avril 2017, le ministère a suivi les conclusions de ce rapport. Il préconise une meilleure information des patientes sur les risques de l’examen pour qu’elles décident elles-mêmes de réaliser -ou pas- le test, avec une consultation dédiée à cette information, de la documentation d’accompagnement, et une meilleure formation des praticiens à ces risques et à leur explication. Il pourrait en résulter un conseil de réduction de la fréquence des tests pour les patientes sans facteur de risque, et une augmentation de fréquence pour celles à risques.
Barratt A., Jørgensen K., Autier P., Reform of the National Screening Mammography Program in France, JAMA Intern Med. Published online October 30, 2017. doi:10.1001/jamainternmed.2017.5836
Cette équipe de Toronto part du triste constat que les internes Canadiens sont plus souvent confrontés à des mauvaises pratiques de leurs aînés qu'à des EIG. Pourtant, ils ne signalent que rarement ces mauvaises pratiques, bien moins qu’ils ne signalent les EIG (46 vs 71 %). Ce fait n’est pas isolé, ni nouveau ; il semble difficile de signaler ces pratiques à risques de collègues car elles sont souvent attribuées à un contexte particulier, voire à une habilité du senior pour gagner du temps ou se faciliter le travail, plus qu’à un fait relevant d’un défaut permanent de professionnalisme.
Les auteurs pensent que ce constat est finalement surtout lié à l’éducation en matière de sécurité du patient qu’ont reçu les internes, trop centrée depuis 15 ans sur le signalement et l’analyse des EIG, plutôt que sur le professionnalisme, le « bien travailler » et le suivi des recommandations. Pour ces auteurs, il faudrait enseigner d’avoir le courage de parler « tout de suite », de s’étonner et de dire qu’on ne comprend pas le comportement observé quand il va à l’encontre du professionnalisme attendu en étant bien persuadé (ce qui n’est pas le cas aujourd’hui) que l’absence de professionnalisme est préjudiciable à la sécurité du patient.
Wong BM, Ginsburg S. Speaking up against unsafe unprofessional behaviours: the diffculty in knowing when and how BMJ Qual Saf 2017;26:859–862.
Le signalement volontaire est reconnu pour favoriser la sécurité du patient ; pourtant, les comportements de signalement sont très variables selon les circonstances et les professions. L’étude essaie d’identifier et de comprendre cette variété de comportements dans un service de médecine générale d’un hôpital Canadien, en mêlant entretiens avec 30 professionnels du service et observations directes pendant 5 mois. La peur de la sanction freine sans surprise tous les professionnels, de même que le jugement des collègues et le manque de temps à entrer les rapports de signalement.
Par contre, les médecins hésitent plus que les infirmiers à rapporter des problèmes dont ils sont en partie ou en totalité la source, hésitent plus à encourager leurs collègues à signaler et doutent plus de l’impunité accordée par les chartes internes. En cas d’erreurs répétées chez un collègue, les médecins sont plus tentés d’utiliser le signalement, alors que les infirmiers essaient d’abord de convaincre le professionnel incriminé de signaler. Autre différence, les médecins signalent les événements qui ont des conséquences graves, contrairement aux infirmiers qui signalent presque autant tous les niveaux de gravité.
Hewitt T., Chreim S., Foster A. Sociocultural Factors Influencing Incident Reporting Among Physicians and nurses: understanding frames underlying Self and Peer-reporting practices Journal of Patient Safety: September 2017 - Volume 13 - Issue 3 - p 129–137
doi: 10.1097/PTS.0000000000000130
Au Royaume-Uni, les paiements à la performance (P4P, Pay for Performance) n’ont fait qu’augmenter en médecine générale depuis plusieurs années au motif d’améliorer la qualité et l’efficacité des prises en charge. Les auteurs proposent une revue de question sur les résultats réellement obtenus. 28 études sur les 238 publiées ont été finalement incluses dans la revue pour leur qualité méthodologique. 9 ont démontré des effets franchement positifs sur la qualité des soins, 16 ont démontré des effets plus modestes, et 1 a démontré un effet négatif. L’évaluation de la qualité des prises en charge a varié de 15 à 19 sur une échelle de 22.
Les auteurs alertent les autorités anglaises sur ces résultats en demi-teinte qui devraient faire reconsidérer pas mal de paiements à la performance.
Mandavia, R., Mehta N., Schilder A., Mossialos S., Effectiveness of UK provider financial incentives on quality of care: a systematic review Br J Gen Pract 2017; 67 (664): e800-e815.
Les résidents de maison de retraite sont fortement poly-médicalisés avec un risque statistique élevé d’EIG médicamenteux ; ces auteurs Belges ont conduit une revue de question sur les traitements médicamenteux inappropriés dans ces conditions. Sur les 21 études incluses, 16 ont évalué le bien fondé des prescriptions par rapport aux anciens critères de Beers -critères de bonne prescription chez le sujet âgé-. Dans ces 16 études, la non-conformité du traitement concernait de 18,5 % à 82,6 % des résidents. Dans les 10 études utilisant des critères revisités de Beers (certaines ont comparé les critères de Beers avec les critères revisités et d’autres méthodes, de sorte que la somme dépasse 21) le nombre de résidents concerné va de 23,7 % à 63 %, mais il s’étale encore de 23 % à 89,8 % pour les études ayant utilisé les critères les plus récents de bonne prescription recommandés par les méthodes STOPP, START, ACOVE, PRISCUS list, BEDNURS et MAI.
La grande disparité des résultats et leur absence d’amélioration dans le temps -quelle que soit la méthode choisie- font questionner ces méthodes d’évaluation, particulièrement leur utilisation sur le terrain, tout en pointant un risque réel de mauvaise pratique, mais qui demeure mal évalué et mal contrôlé.
Storms H., Marquet K., Aertgeerts B., Claes N., Prevalence of inappropriate medication use in residential long-term care facilities for the elderly: A systematic review, European Journal of General Practice, 23:1, 69-77, (2017) DOI: 10.1080/13814788.2017.1288211