Le 29 juin 2011, une patiente de 78 ans se rend chez son médecin traitant qui la suit pour des douleurs liées à des tassements vertébraux, une insuffisance respiratoire modérée et un cancer du sein traité en rémission depuis de nombreuses années.
Assignation du médecin généraliste remplaçant devant le tribunal de grande instance par la patiente pour obtenir réparation du préjudice qu’elle avait subi (novembre 2011).
Ce matériel est réservé à un usage privé ou d’enseignement. Il reste la propriété de la Prévention Médicale, et ne peut en aucun cas faire l’objet d’une transaction commerciale.
Expertise (juillet 2012)
L’expert, chef de service de chirurgie vasculaire, affirmait qu'il existait "une relation directe et certaine" entre les séquelles de la hanche gauche dont se plaignait la patiente et l'accident du 29 juin 2011. En revanche, il excluait toute relation entre les anomalies rachidiennes lombaires retrouvées chez elle et cet accident.
Il estimait le déficit fonctionnel permanent à 12% et évaluait les souffrances endurées à 3,5/7.
Jugement du TGI (mai 2015)
Le tribunal se fondant sur l'article 1147 du Code civil considérait que : " (...) L'obligation de sécurité accessoire de l'obligation essentielle qui consiste à prodiguer les soins selon les données acquises de la science dans le contrat médical, ne s'étend qu'à deux hypothèses : (1) le médecin n'est d'abord tenu d'un tel engagement qu'en ce qui concerne les matériels qu'il utilise pour l'exécution d'un acte médical d'investigation et de soins ainsi que pour les produits médicaux qu'il fournit . (2) Par ailleurs, cette sécurité n'est une obligation accessoire de moyen renforcé que lorsque le contrat a pour objet la surveillance d'un être humain, ce qui explique qu'en matière paramédicale, les maisons de retraite y soient astreintes.
Si le masseur-kinésithérapeute est certes débiteur d'une obligation de sécurité de moyen renforcé, voire de résultat, lorsque le dommage subi par son patient ne relève pas directement des actes de soins et, ce notamment à l'occasion d'une chute dans ses locaux pendant les actes de soins, à l'aune d'une jurisprudence dont se prévaut indûment la demanderesse , cela est dû à la particulière fragilité ou à la réduction de mobilité inhérente à la patientèle qu'il reçoit et qui constitue le cœur de son activité civile, caractéristique qu'il ne partage pas nécessairement avec le médecin généraliste. En outre, il convient de relever que s'il incombe au masseur-kinésithérapeute de démontrer qu'il a tout mis en œuvre pour satisfaire aux règles de sécurité, cela ne dédouane pas pour autant le patient de démontrer que les lieux à l'origine de la chute, présentaient un certain caractère de danger.
Or, en l'espèce, de par sa seule qualité de médecin généraliste, aucune obligation de sécurité de moyen renforcé ou de résultat atténué, ne pesait sur le médecin remplaçant.
En conséquence, il appartient à la requérante, conformément aux dispositions de l'article du Code de procédure civile, d'établir la preuve que le médecin qu'elle a consulté le 29 juin 2011, a manqué à son obligation de moyen de sécurité, en ne lui permettant pas de descendre de la table d'examen en toute sérénité (...)".
Jugeant que la patiente n'apportait pas la preuve d'un tel manquement, le tribunal rejetait son action en responsabilité et la condamnait aux dépens.
Cour d'Appel (janvier 2016)
La cour d'appel rappelait que : "(...) Le médecin généraliste avait procédé à l'examen clinique de la patiente après lui avoir demandé de monter sur la table d'examen, en s'aidant d' un marchepied. Une fois l'examen terminé, la patiente était descendue, seule, de la table d'examen et, alors qu'elle tentait de remettre une de ses chaussures laissée sur la première marche, elle avait été déséquilibrée et s'était blessée en chutant sur le sol (...)".
Pour les magistrats, :"(...) Le fait de descendre de la table d'examen d'un cabinet médical en faisant usage d'un marchepied, qui est en l'occurrence la cause du dommage, se rattache par un lien suffisant à l'exécution du contrat médical. En effet, il appartenait au médecin de prendre toutes les précautions nécessaires pour assurer la sécurité de la patiente non seulement lors de la réalisation de son examen clinique mais aussi lors de la descente de la table pour éviter qu'elle ne se blesse. Et ceci, même si son état physique n'était pas particulièrement dégradé ou encore, qu'elle aurait refusé une aide. En effet, la patiente était âgée de 78 ans et nécessitait une attention accrue de la part du praticien, qui se devait de s'assurer qu'elle puisse regagner le sol sans aucun risque pour elle, dès lors que la descente de la table s'effectuait au moyen d'un petit escabeau dont la stabilité n'était pas totale. Les circonstances et l'âge de la patiente exigeaient une vigilance dont le médecin s'est affranchi et qui caractérise un manquement à l'obligation de sécurité de moyen dont il était débiteur.
Le médecin qui ne rapporte pas la preuve que la patiente aurait participé à la réalisation de son dommage, qui aurait pu être évité s'il lui avait porté une attention suffisante, est tenu d'indemniser la totalité du préjudice corporel de la victime (...)".
Indemnisation de 40 217 € dont 14 197 € pour les organismes sociaux
COMMENTAIRES
"(...) La jurisprudence en matière de chute dans le domaine médical est peu abondante mais globalement assez sévère à l'égard des professionnels de santé considérés comme des exploitants d'installation, qui doivent anticiper le comportement de leurs patients et mettre en œuvre les moyens de prévention les plus adaptés pour y remédier (...)" (1).
"(...) Selon un arrêt de la Cour de cassation du 9 novembre 1999, "le contrat formé entre le patient et son médecin met à la charge de ce dernier une obligation de sécurité de résultats en ce qui concerne les matériels qu'il utilise pour l'exécution d'un acte médical, d'investigation ou de soins, mais encore faut-il que le patient démontre que ces matériels sont à l'origine de son dommage".
Ainsi, en cas de chute d'une table d'examen, si un médecin est bien tenu à une obligation de sécurité de résultat, il appartient toutefois au patient d'apporter la preuve que cette table ou l'inattention fautive du médecin est à l'origine de son dommage. L'exonération pourra être totale ou partielle, si la victime par son comportement, a concouru à son dommage, par exemple en ne respectant pas les consignes de sécurité données par le médecin ou son personnel (...)" (2, 3).
" (...) Au total, dans tous ces dossiers de chute au cabinet du médecin ou d'un paramédical, la prévention est particulièrement importante. On doit protéger l'environnement de l'acte : éviter la présence de meubles métalliques aux coins dangereux, de tapis glissants mal fixés et de tout mobilier pouvant constituer un obstacle... (1) Surtout, il faut prendre en compte les spécificités de chaque patient : l'âge (personne âgée, jeune enfant), un handicap physique ou psychique, une éventuelle désorientation, un choc émotionnel après l'annonce d'une mauvaise nouvelle...(1,3) Autre point important, le temps nécessaire pour passer de la position allongée à la position assise puis debout. Il faut également rechercher les signes précurseurs d'un éventuel malaise, interroger le patient sur ce qu'il ressent et toujours l'accompagner physiquement au moment du changement de position (...)" (1).
REFERENCES
1) Chutes de patients au cabinet médical (site macsf-exerciceprofessionnel.fr)
2) Amalberti R.Brami J
Audit de sécurité des soins en médecine de ville
Chapitre 6 -Organisation d'accueil, hygiène et sécurité des locaux et du personnel
Edition Springler-Verlag France, Paris, 2013 , pp 98-105
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il aurait été préférable de tenir le poignet de la dame ...de la soutenir si besoin.....