Un IUT parisien a le projet d’organiser un colloque sur « la prise en charge bienveillante du patient » en médecine vétérinaire et humaine dans le cadre d’un cycle de colloques sur la non-violence. Passé l’étonnement quant à l’initiateur du projet et quant au rapprochement des deux médecines à travers une écoute accrue du « patient », le sujet mérite attention en ce qu’il traduit assurément une préoccupation sociétale grandissante.
Puisque la préoccupation rapportée concerne à la fois la médecine de l’homme et celle des animaux, il convient d’observer que le contrat de soins est plus simple en médecine humaine en ce qu’il se forme directement entre le patient et son médecin, tandis qu’en médecine vétérinaire il s’effectue entre le maître de l’animal - généralement son propriétaire – et le praticien. Au plan éthique un questionnement du vétérinaire peut naître de la divergence des intérêts entre ceux de l’animal et ceux de son propriétaire. La bienveillance à l’endroit de l’animal peut en effet dans certains cas être négativement perçue par son maître.
Pour nous en tenir ici principalement au cas de la médecine vétérinaire, selon notre expérience le défaut d’observation et d’écoute tant de l’animal que de son propriétaire est une composante causale d’une grande partie sinon de la totalité des cas de crise relationnelle dramatique entre le vétérinaire et son client.
Cette crise relationnelle est de surcroît généralement assortie d’une mise en cause en responsabilité civile ou disciplinaire ou pénale, avec toutes les combinaisons possibles.
C’est d’abord un temps trop court consacré à l’anamnèse (le propriétaire ne se sent pas écouté), un défaut d’observation de l’animal, un examen clinique trop rapide, insuffisamment consciencieux et aussi insuffisamment empathique, ne laissant pas la part suffisamment importante à l’observation commentée de son comportement.
L’insuffisante prise en compte de la douleur de l’animal et le défaut des réponses analgésiques sont assez souvent invoqués.
Ces critiques, du reste ne concernent pas que la médecine de l’animal de compagnie, elles peuvent s’étendre à la médecine de l’animal de rente.
Les techniques de contention sont scrutées et font parfois l’objet d’appréciations négatives.
Les investigations paracliniques peuvent apparaître comme trop invasives et inutilement contraignantes et douloureuses.
Le diagnostic peut aussi être asséné de façon trop brutale, voire trop technique, il peut être considéré comme mal expliqué. Les éléments du pronostic peuvent être insuffisamment perçus, la question étant de savoir s’ils ont été insuffisamment exposés.
Enfin assez souvent il est reproché un manque d’explications détaillées et objectives sur les différentes solutions thérapeutiques proposées (types de traitements médicaux, différentes anesthésies, différentes techniques opératoires…).
Le propriétaire peut avoir le sentiment de ne pas avoir donné son consentement à la solution choisie. Ce sentiment peut d’autant plus facilement prospérer que l’écrit se révèle totalement déficient.
A noter que, de façon assez classique, en médecine vétérinaire à l’instar de ce qui semble se passer en médecine humaine, tous ces reproches sont plus fréquents en médecine vétérinaire conventionnelle que dans les médecines vétérinaires dites alternatives. Il y a sûrement des enseignements à tirer scientifiquement non point de ces médecines proprement dites mais de la manière dont elles sont conduites par le praticien, du tempo mis en œuvre.
Les critiques sont relativement plus fréquentes en médecine vétérinaire spécialisée qu’en médecine vétérinaire générale. Les spécialistes devraient – pour certains - s’interroger et, assez souvent, seraient bien inspirés de savoir – en toute modestie - se remettre en cause quant au volet humain de leur consultation. Il ne suffit pas d’avoir la science et d’être techniquement excellent pour être un bon vétérinaire.
La surcharge de travail, qui ne fait plus mystère en médecine humaine eu égard à la situation démographique médicale, et la difficulté de gestion du temps qui en résulte constituent, y compris pour les vétérinaires, la première explication causale qui vienne à l’esprit.
Le burnout concerne de façon très marquée ces professions.
On peut invoquer en amont la formation, notamment initiale, de ces professions, qui a longtemps fait l’impasse sur les sciences sociales et humaines.
A propos de formation, on peut mettre en avant l’accent mis aujourd’hui, dans le cadre d’une évolution technologique des deux médecines, humaine et animale, sur la prééminence des explorations paracliniques au détriment de l’examen clinique.
En médecine vétérinaire, les praticiens mixtes et ruraux ont peut-être mis plus de temps à intégrer la prise en charge du bien-être animal et surtout le traitement de la douleur.
Enfin il faut sans doute un peu de temps - une ou deux générations - aux esprits pour passer d’un comportement médical paternaliste, sûr de soi et peinant à se remettre en cause, à celui d’une médecine qui associe davantage le patient ou le client - devenus eux-mêmes davantage des consommateurs - à la décision.
Cette crise est rendue plus probable et plus forte par l’échec éventuel des soins.
La bonne qualité de l’accueil téléphonique du détenteur de l’animal, par l’écoute et l’empathie déployées, est le premier élément de prévention. Le sourire, la douceur et la gentillesse de l’accueil au cabinet ou à la clinique se situent dans le prolongement naturel de cet accueil ouvert et bienveillant. La prise en charge à l’accueil par l’auxiliaire vétérinaire doit évidemment être adaptée au cas d’espèce et à la personnalité de celui ou celle qui accompagne l’animal.
S’agissant spécifiquement de l’accueil des chats à la clinique, une salle d’attente dédiée, une attente raccourcie au minimum contribue à la sérénité du patient et celle de son maître, en même temps qu’à l’efficacité des soins.
La qualité et la durée de l’écoute du propriétaire de l’animal, par les auxiliaires mais surtout par le praticien, constituent indéniablement des facteurs de prévention de la crise.
La qualité de l’examen clinique est un facteur de prévention. C’est aujourd’hui un reproche classique que celui d’un examen clinique furtif ou perçu comme tel au profit de batteries de tests de biologie et d’examens d’imagerie, pour ne citer que ces deux types d’examens paracliniques. L’inspection, la palpation douce demeurent les piliers de l’examen clinique qui contribuent à asseoir la confiance du maître et de surcroît aident à installer le dialogue.
A l’opposé, les méthodes de contention dures –la contention « musclée » - sont à proscrire autant qu’il est possible de le faire.
Le concept « Le chien mon ami » actuellement proposé par des vétérinaires comportementalistes devrait contribuer à créer les conditions d’une médecine vétérinaire considérée comme bienveillante dès lors qu’il sera connu et mis en œuvre dès le plus jeune âge de l’animal par les maîtres des chiens et aussi par les vétérinaires. Ce concept se situe aux antipodes des approches dominatrices (dressage) qui ont trop souvent eu la faveur du public et des professionnels jusqu’à maintenant.
Ce concept devrait pouvoir être transposé à l’approche des animaux de la ferme. Elle est évidemment sans grand objet en élevages hors-sol. Encore que…
Dans tous les cas il faut prendre le temps d’écouter, il faut prendre celui d’expliquer, en s’aidant de tous supports pédagogiques utiles. L’écrit peut ici utilement venir au secours de l’oral. Il faut impérativement vérifier que la personne a compris l’explication donnée. Il faut présenter les risques, tous les risques, sans exception, en les hiérarchisant. Il faut peser le pour et le contre et, après l’information dûment donnée, recueillir formellement par oral et si nécessaire par écrit le consentement à la solution choisie.
Toutes ces bonnes pratiques préventives, qui font en réalité appel à des compétences non techniques, relevant de la communication et du relationnel, si elles ne sont pas innées peuvent être acquises, soit par des formations continues spécifiques, soit encore plus en amont par la formation initiale, laquelle semble avoir manifestement entrepris de se réformer dans ce domaine, faisant appel pour les étudiants, entre autres, à des exercices de simulation.
Ne pas oublier en conclusion que la qualité consiste à répondre de façon adaptée à une demande, encore faut-il avoir pris le temps d’écouter cette demande, de l’analyser, de la comprendre puis de mettre en œuvre une réponse bienveillante pour l’animal et bienveillante pour son maître qui est assez souvent de surcroît son propriétaire, celui qui en définitive assume l’autre part du contrat, celle qui consiste à payer les soins, faut-il prosaïquement le rappeler.