Une radio intervertie dans un dossier, une molaire de lait ressemblant un peu trop à une molaire définitive, un praticien stressé, voilà comment de toute bonne foi, il est possible d’opérer la mauvaise patiente, ou d’opérer la bonne patiente avec de mauvaises radios.
Le but de ce travail est d’ouvrir une porte clinique sur le thème de la sécurisation de notre pratique quotidienne. Il n’est pas question ici de donner des leçons ou encore d’asséner de doctes vérités. Nous voulons seulement tenter d’approcher et de comprendre le problème de l’erreur humaine en particulier dans le monde de la dentisterie. Une fois le diagnostic établi, nous pourrons tenter d’apporter des solutions.
Voici une aventure qui m’est arrivée il y a une quinzaine d’année. Elle est tirée du livre que je viens de publier avec Jean Gabriel Charrier : A la Recherche du maillon faible – Initiation aux Facteurs Humains. (Ewenn Editions - 2011)
En 19--, je reçois une patiente pour l’extraction d’une dent de sagesse. La patiente a un nom français très typique. Il est parmi les 3 noms les plus communs. Elle est stressée et stressante. Mon agenda chargé fait qu’il se déroule un long moment entre la consultation et la chirurgie. Le jour de la chirurgie, la patiente arrive dans un état de nervosité avancé. Elle m’explique que sa dent est difficile et qu’un confrère avait prédit une chirurgie laborieuse. Je regarde la radio et la rassure. J’installe la patiente, lui ouvre la bouche et, dernière vérification, je compte les dents. Une, deux, trois molaires. Le compte est bon. Je fais l’anesthésie et extrais sans trop de difficulté la dent de sagesse. La patiente se détend, moi aussi. Soudainement au fond de l’alvéole, je vois quelque chose de blanc brillant. Je regarde attentivement, c’est une couronne dentaire. Je regarde la radiographie affichée sur le négatoscope. Il n’y a pas de doute, il n’y a pas de dent incluse… sur la radio. Je refais une radio et vois très clairement une dent de sagesse incluse, couchée et placée assez profondément. Je ne comprends pas ce qu’il se passe jusqu’au moment où je remarque sur l’agenda une autre patiente ayant le même nom programmée une heure plus tard. Je regarde en bouche, certain d’avoir bien compté le nombre de molaires, et je découvre qu’en fait, la première molaire est en fait une molaire de lait un peu grosse que l’on peut confondre à l’examen rapide avec une molaire.
Une radio intervertie dans un dossier, une molaire de lait ressemblant un peu trop à une molaire définitive, un praticien stressé, voilà comment de toute bonne foi, il est possible d’opérer la mauvaise patiente, ou d’opérer la bonne patiente avec de mauvaises radios. L’acte n’a pas été difficile, mais la situation complexe, essentiellement à cause de facteurs non-techniques…
Commentaires : cette histoire est intéressante car elle met en avant l’importance des facteurs non techniques dans l’erreur. On peut supposer que l’extraction a été bien réalisée, sauf que c’était la mauvaise dent. La raison de cette erreur est double. Premièrement, il y a eu manifestement un défaut d’organisation et l’absence de contrôle des procédures. Une radio est affichée et personne ne se soucie de savoir si c’est la bonne. Et enfin, le stress de l’opérateur qui l’empêche d’analyser objectivement la situation. Il compte les dents mais, probablement que son niveau de stress, l’empêche de s’apercevoir qu’une des molaires n’est pas une dent définitive mais une dent de lait. A froid, sans pression, l’identification est aisée. Mais sous tension, il est possible, non pas de les confondre, mais de ne pas les examiner avec suffisamment d’attention tout simplement. Il faut bien garder en tête que ce n’est jamais la situation qui est stressante, mais la réponse qu’on lui apporte. Ce fera l’objet d’une prochaine parution.