Dans le cas que nous vous présentons, un chirurgien-dentiste a manqué de vigilance dans les soins du fait d'un manque d'attention. En l'occurrence, il venait d'apprendre de son patient le décès d'une connaissance. C'est l'occasion de rappeler le possible impact d'une charge émotionnelle sur la qualité des soins.
Un patient, de 65 ans, informe son ami d’enfance qui est aussi son chirurgien-dentiste qu’il a subi un remplacement valvulaire aortique en janvier 2019. Au cours de l’échange, le patient apprend que son nouvel état de santé limite les possibilités de traitement buccodentaire et que la prise d’antibiotiques peut s’avérer nécessaire avant la réalisation de certains actes dentaires.
En octobre suivant (10 mois après) le patient consulte ce même ami chirurgien-dentiste pour une douleur sur 46. A cette occasion, le praticien apprend le décès brutal et très récent de la mère de son patient qui était également une de ses connaissances.
Le patient et le praticien sont tous deux affectés par cette disparition soudaine. C’est dans ce contexte que le praticien réalise le traitement canalaire de 46 nécrosée et un détartrage dans la foulée, sans prescription d’antibiotiques.
Fin 2019, le patient est hospitalisé pour endocardite infectieuse d’origine dentaire sur bio-prothèse aortique compliquée d’un accident vasculaire cérébral.
Les suites sont marquées de perte d’autonomie, d’aphasie, paralysie oculomotrice, ataxie cérébelleuse avec troubles de l’équilibre, et marche avec déambulateur.
Le récit a été simplifié car d’autres éléments ont contribué aux dommages. Nous avons choisi de focaliser l’attention du lecteur sur l’effet des émotions sur la prise de décision.
En effet, dans ce dossier le chirurgien-dentiste semblait connaitre les conséquences de l’état de santé de son patient sur la prise en charge bucco-dentaire puisqu’il en avait parlé quelques mois plus tôt.
Pourtant aucune analyse de risque n’est faite et le chirurgien-dentiste agit sur-le-champ, sans le moindre questionnement.
On peut aisément comprendre que le patient bien qu’informé des contraintes thérapeutiques ne disposait pas des connaissances médicales suffisantes pour apprécier les conséquences de l’acte réalisé.
Pourtant, il ne s’est pas non plus questionné sur l’opportunité de la prise d’antibiotiques préalable ou dans les suites du soin, ce qui aurait pu alerter le praticien et éveiller son attention sur le contexte présenté.
Il faut reconnaître que la "passivité" du patient est classique car ce dernier s’appuie sur les connaissances du praticien. Cette attitude est d’ailleurs parfois considérée comme un signe de confiance.
Pourtant, les interrogations du patient ne sont pas à interpréter comme un manque de confiance et il est essentiel que le patient soit acteur de sa santé, notamment lorsqu’il présente des pathologies particulières.
Ainsi, il peut lui être demandé de rappeler des éléments concernant sa santé à des moments particuliers, voire même avant chaque consultation, si le praticien le juge utile.
Par exemple, lui demander de dire même avant qu’on lui demande : "Docteur, j’ai bien pris mes antibiotiques il y a une heure" ou en cas d’allergie médicamenteuse de rappeler son allergie à chaque remise d’ordonnance.
Il ne s’agit pas non plus de faire intervenir le patient au moindre geste du praticien mais de déterminer pour chacun les moments les plus opportuns et l’action la plus adéquate.
On peut ainsi éviter des erreurs au sein du cabinet ou au cours de la consultation chez un autre praticien de santé.
Dans ce cas clinique, il y a eu un défaut de vigilance du praticien.
Le dossier n’a pas été consulté avant la réalisation du traitement canalaire. Il s’agissait d’un ami.
De plus, aucune prescription antibiotique n’a été réalisée malgré les symptômes présentés.
Une grande partie de l’attention du praticien a été happée par la nouvelle du décès, ainsi les ressources cognitives disponibles ont été mises à disposition de l’acte technique sans autre analyse.
De toute évidence, les facteurs émotionnels peuvent produire une distorsion de la décision. Il est difficile de prévoir ou éviter ces éléments.
On peut penser que supprimer les conversations personnelles peut éviter ce type de situation.
C’est la notion de cockpit stérile19 utilisée en aviation : les échanges entre les deux pilotes lors des phases critiques du vol sont limitées au domaine professionnel, ce qui exclut toute discussion de nature privée. Précisons que cette limite ne concerne que les étapes cruciales de la conduite de l’avion.
Dans notre cas, la discussion préalable entre le praticien et son patient n’était pas une étape où l’attention devait être extrême. Au contraire c’est le moment privilégié où se noue la relation de confiance, où les informations sont échangées permettant d’adapter les soins au contexte du moment.
Une autre technique issue de l’industrie pétrolière compte le nombre de "feux oranges" qui s’allument dans le déroulement d’une situation (chaque feu tricolore est un élément de contexte ou une difficulté ajoutant de l’incertitude ou de la pression). Au bout de 3 feux oranges (équivalant à un feu rouge), les opérateurs s’arrêtent pour poser un diagnostic complet et refaire une évaluation de la situation : c’est la "règle des 3"20.
Nous pourrions supposer que la mauvaise nouvelle apprise par le praticien était un feu orange. Or l’analyse de ce cas clinique nous fait relativiser cette information. Ainsi, on ne peut qualifier systématiquement toute pression émotionnelle de "feu orange" car dans ce dossier il s’agissait d’un "feu rouge".
Ainsi, il convient d’agir de manière pertinente pour que le patient soit impliqué dans sa santé.
Dans la mesure du possible, le personnel doit également être impliqué, formé et actif ; surtout lorsqu’une charge émotionnelle se présente, à défaut de pouvoir reporter l’intervention, la vigilance doit être accrue et impliquer tous les intervenants.
> Pour en savoir plus, découvrez notre fiche méthode n° 603 sur la Gestion des interruptions de tâches (IT), principes généraux