Un patient de 73 ans adressé au chirurgien par son médecin traitant pour une hernie inguinale bilatérale, douloureuse d’un côté mais réductible...
La famille du patient reproche une surveillance insuffisante, un retard du diagnostic de la complication et déclare que personne ne lui a expliqué à la clinique ce qui s’était passé. Elle diligente une réclamation devant la CCI.
Ce matériel est réservé à un usage privé ou d'enseignement. Il reste la propriété de la Prévention Médicale, et ne peut en aucun cas faire l'objet d'une transaction commerciale.
Les experts (chirurgien viscéral et médecin légiste) estiment que l’attitude du généraliste qui a adressé ce patient au chirurgien avec un courrier circonstancié sur ses antécédents est conforme.
Ils remarquent que le cardiologue aurait pu demander une échographie cardiaque en pré opératoire mais que ce patient depuis son changement de valve (datant de 20 ans) ne présentait pas de problème particulier et que la cause essentielle du décès n’est pas une défaillance cardiaque primitive.
Le problème de la gestion des anticoagulants avait bien été apprécié par les anesthésistes, géré en conséquence et expliqué au patient qui a bien respecté les prescriptions.
Le patient n’a pas signé de consentement à l’acte mais le courrier du chirurgien précise, lors de sa consultation un mois avant l’intervention, qu’« il lui a expliqué le principe d’une intervention par cœlioscopie avec mise en place de prothèses ».
Ils valident la décision de l’intervention et la voie cœlioscopique « alternative parfaitement validée à la chirurgie ouverte classique, ce d’autant que la hernie était bilatérale ».
L’intervention a utilisé une technique standard (la voie pré péritonéale est une alternative tout à fait licite à la voie trans péritonéale) et a duré un temps tout à fait raisonnable de 45 minutes.
Dans une analyse détaillée des éléments de surveillance à leur disposition, et malgré la qualité défaillante des photocopies,ils notent qu'après la sortie de la SSPI, au retour en chambre vers 12 heures, la tension artérielle était de 110/70 mm de Hg avec un pouls à 44/min. Ces paramètres sont surveillés toutes les 2 heures jusqu’à 18 heures. La tension artérielle du patient était assez basse (80/60 mm Hg à 16 H, 100/60 mm Hg à 17 H 40) alors qu’elle s’était maintenue à un niveau satisfaisant et normal jusqu’à la sortie de SSPI.
« Malgré l’hypotension manifeste, la relative bradycardie paradoxale s’expliquant par le traitement médicamenteux –sous-entendu béta bloquant-, il n'y a que deux prises tensionnelles ensuite jusqu'au lendemain matin (à 21 H 30 : tension à 80/50 mm Hg et à 5 H 30 : tension à 90/60 mm Hg.). Le pouls varie de 40/min à 58 /min le lendemain matin.
Comme le patient n'avait pas uriné depuis l'intervention, une sonde est posée vers 21 h 30 : on ne connait pas le prescripteur (interne ?); le sondage recueille 200 cc lors de la pose, «cette faible quantité d'urine témoignant pour le moins d'une oligurie importante. Ce signe, associé à l’hypotension aurait dû manifestement attirer l’attention, d’autant que jusqu’au lendemain matin 5 h 30, la diurèse n’est que de 200 cc, alors que le patient était perfusé (2 litres d’apport sur 24 heures). Aucun médecin n’est appelé.
Le Lovenox est injecté le soir de l’intervention puis à 9 heures ; à 10 heures, la diurèse est nulle, la tension à 80/50 mm de Hg, le pouls à 60/min.
L'anesthésiste ne sera appelé que vers 11 H 30 alors que la tension était toujours basse, la diurèse réduite. Les experts signalent que dans l’organisation de l’établissement « le chirurgien n’était pas chargé de la visite » (sic).Il semble en fait qu’un autre chirurgien en était responsable mais il n’a pas été appelé. Les experts ne formulent pas de reproche sur la prise en charge après le résultat du scanner.
« Ce patient a bénéficié d'une surveillance paramédicale insuffisante pendant près de 24 heures: rares prises tensionnelles, absence d'enregistrement continu des constantes vitales après la contre visite du soir, pas de signalement du praticien concerné de la médiocrité de la situation hémodynamique et de la cassure de la diurèse. Il en a découlé un retard au diagnostic et à la prise en charge de l’hémorragie interne.
Il est vrai que les praticiens (chirurgien et anesthésiste) lors de leur visite vespérale n'ont eux-mêmes pas accordé de signification à l'état tensionnel, n'ont demandé aucune investigation complémentaire et n'ont laissé aucune consigne écrite de surveillance particulière ».
Les médecins feront valoir que les consignes de surveillance post opératoire avaient bien été formulées par les anesthésistes et que la surveillance effectuée correspond aux protocoles établis au sein de la clinique, protocoles qui correspondent à ce qui se pratique habituellement.
Mais les experts insistent : « il semble que le chirurgien ait revu le patient le soir de l’intervention : comme on l’a vu, depuis au moins le milieu de l’après-midi, le patient présentait une hypotension. Si un tel symptôme, en l’absence de signes locaux préoccupants, peut éventuellement exister dans des suites rapprochées de l’acte, sa persistance au fil des heures, d’autant que la diurèse se casse, nécessite une attention soutenue et, pour le moins, quelques investigations notamment biologiques à la recherche d’une toujours possible déglobulisation témoin d’un saignement. Rien de tel ne sera prescrit ni d’ailleurs de consigne de surveillance rapprochée avec signalement en cas d’aggravation significative. La réalisation d’un simple dosage sanguin aurait pu, en fin d’après-midi, permettre le diagnostic d’hémorragie interne. L’intervention qui s’imposait aurait pu être réalisée plus tôt. Le lendemain, le chirurgien ne revoit pas le patient avant d’être tenu informé par le radiologue du résultat du scanner. L’intervention aura lieu deux heures plus tard, le temps de libérer, semble-t-il une salle d’opération. En l’absence de prescription ou de consigne adaptée, le chirurgien n’a pas agi selon les règles de l’art au décours de cette première intervention.».
Un reproche identique sur l’absence d’attention particulière à l’hypotension, de la diurèse, sur l’absence de bilan et de consignes est fait à l’encontre de l’anesthésiste au décours de sa visite.
Quant au second anesthésiste, il lui est essentiellement reproché l’absence de contact direct avec le chirurgien, ce qui n’a pas eu de conséquence délétère sur l’état du patient.
Par ailleurs, lors de la reprise chirurgicale est discutée la voie coelioscopique : l'absence de constatation d'un saignement actif persistant s’explique très probablement par le fait que l'opérateur a repris les mêmes orifices d'introduction des trocarts, le nouveau trocart introduit par le même orifice a dû momentanément, par appui mécanique, arrêter le saignement. Le chirurgien devait certes mettre en balance, dans le cadre de l'urgence, les avantages d'un geste limité avec ceux d'un geste plus invasif (laparotomie) plus performant mais avec de réels risques hémorragiques compte tenu de la nécessité de poursuivre le traitement anticoagulant à dose thérapeutique. Le retard à la réintervention a compromis largement les chances de survie du patient.
Dans les suites, le caractère manifeste de l'hémorragie extériorisée évidente recueillie dans le bocal du drain de redon (0,7 l dès le postopératoire immédiat puis persistante), les données du bilan sanguin auraient dû de toute évidence imposer une nouvelle ré intervention beaucoup plus rapide et non dix-huit heures plus tard, le lendemain vers midi.
Finalement, l’origine du saignement était une plaie de l’artère épigastrique réalisée par le trocart de cœlioscopie. « Ce risque, bien connu, est relativement rare par rapport au grand nombre d’actes de toute nature effectués par cœlioscopie ». Il s’agit d’un accident médical. Le décès est directement lié aux retards itératifs pour la prise en charge du saignement imputables au chirurgien, au premier anesthésiste et au personnel infirmier.
Avis CCI (2010)
Conformément au rapport d'expertise, la CRCI retient que le décès est imputable en totalité à l'accident initial et aux retards successifs apportés à la prise en charge des conséquences hémorragiques. Ces retards ont compromis les chances de survie du patient. La responsabilité est partagée entre le chirurgien pour 50%, l'anesthésiste et la clinique (25% chacun).
Il leur appartiendra de faire une offre d'indemnisation aux ayant droits du patient décédé.
Si la chirurgie herniaire suscite une nombreuse bibliographie, celle-ci a surtout pour objet le choix des techniques et des voies d’abord avec des séries comparant le résultat sur les principaux items (récidive, douleurs…).
Il s’agit là avant tout d’une complication de la cœlioscopie malgré l’expérience de l’opérateur survenant chez un patient à risque du fait de son traitement anticoagulant.
Ce dossier nous a été déclaré par un anesthésiste.
Entre 2008 et 2012, sur cinq ans, 25 dossiers ont été déclarés par des chirurgiens pour des complications ou des mauvais résultats après chirurgie herniaire, en cœlioscopie ou à ciel ouvert : parmi les complications les plus sévères, signalons les perforations digestives, un choc hémorragique per opératoire lors d’une viscérolyse difficile... Les décès sont dus à un choc à l’induction anesthésique lors d’une reprise différée chez un patient sous anticoagulants ayant un volumineux hématome scrotal, à un infarctus mésentérique à J3 d’une chirurgie de hernie étranglée, à un état de choc hémorragique ou cardiogénique survenu à la 48e heure chez un patient ayant de lourds antécédents cardiovasculaires, opéré d’une récidive herniaire.
Références