Une femme de 59 ans constate en juin 2003 une augmentation de volume de sa thyroïde ainsi qu’une masse sus-claviculaire gauche...
Saisine de la CRCI par le mari de la patiente
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Les experts, l’un chef de service de pneumologie et l’autre, de chirurgie viscérale et cancérologie digestive, estimaient que la patiente était porteuse d’un cancer thyroïdien de « bon pronostic », d’autant que la recherche de métastases avait été négative. Ils disaient : « (…) se perdre en conjoncture sur les causes du décès, étant donné la pauvreté du dossier. En effet, il n’y avait pas trace d’examens cliniques, de gazométrie sanguine, de radiographie pulmonaire, d’ECG ou d’explorations plus poussées comme un angioscanner. On ne pouvait éliminer un hématome compressif cervical ou une hémorragie au niveau pleural car la résection était passée au ras du dôme pleural. Une embolie pulmonaire, un infarctus du myocarde étaient possibles sur les notions d’angoisse et de chirurgie récente. La décompensation d’une maladie asthmatique ne pouvait être exclue en raison de l’interruption du traitement prescrit par le pneumologue traitant dans les jours précédant l’intervention chirurgicale mais en l’absence d’une documentation précise et notamment d’épreuves fonctionnelles respiratoires (…) ».
Les experts formulaient « des réserves extrêmes sur l’organisation et le fonctionnement du service ». Ils s’étonnaient de l’absence de protocole sur les rôles respectifs des chirurgiens et des anesthésistes dans le suivi post opératoire en rappelant que, selon le président de la Société Française d’Anesthésie-Réanimation, « une étape importante du travail du médecin anesthésiste s’exerce dans la phase post opératoire ». Enfin, ils soulignaient que « les transmissions faites par les infirmières étaient, pour le moins, très concises ».
Leur conclusion était que : « (…) Le décès de la patiente paraissait anormal au regard de son état de santé antérieur et imputable pour une grande part à l’absence d’acte diagnostique ou thérapeutique. L’existence d’un asthme aurait pu favoriser, pour une partie, les difficultés respiratoires (…) ».
Après le dépôt du rapport d’expertise, la CRCI estimait que la clinique était responsable du décès de la patiente et lui demandait d’indemniser ses ayants droit. La clinique refusait de se conformer à l’avis de la CRCI, car elle rejetait sur les praticiens, ayant en charge la patiente, la responsabilité de sa mort. L’ONIAM se substituait, alors, à la clinique pour indemniser les ayants droit mais l’assignait en justice pour lui réclamer le remboursement des sommes versées. Parallèlement, la clinique appelait, en intervention forcée, les praticiens ayant pris en charge la patiente.
Tribunal de Grande Instance (septembre 2012)
Pour les magistrats, les soins prodigués à la clinique en post opératoire n’étaient pas conformes aux règles de l’art, ni aux données acquises de la science : « (…) Si, ainsi que le relevait la clinique, il n’appartenait pas au personnel infirmier de prescrire des soins et des examens appropriés, les experts lui reprochaient l’absence de tout système d’alerte et de suivi des constantes physiologiques, l’absence de questionnement vis-à-vis du malade quant à son besoin de dormir de nuit dans un fauteuil plutôt que dans un lit, l’absence de rondes systématiques, l’absence d’un médecin auprès de la malade malgré l’aggravation de son état (…) ».
En ce qui concernait les praticiens, le tribunal remarquait que, si les experts retenaient leur responsabilité dans le décès de la patiente, ils n’indiquaient pas clairement ce qu’ils reprochaient à chacun d’entre eux.
Les magistrats s’étonnaient que le chirurgien, qui n’avait revu sa patiente que le 4 octobre date où son état était encore relativement satisfaisant, n’ait pas été appelé lorsqu’elle avait commencé à se plaindre de difficultés respiratoires. Ils lui reprochaient un mauvais suivi en post opératoire « quand bien même les infirmières ne l’avaient pas appelé pour suivre sa patiente car il lui appartenait de la suivre jusqu’à sa sortie ».
S’agissant de la conduite du pneumologue de la clinique que les infirmières avaient appelé au chevet de la patiente, le tribunal l’estimait fautive « (…) En effet, alors qu’il était spécialiste, il n’avait procédé à aucun examen clinique et n’avait prescrit aucun examen complémentaire (radiographie pulmonaire, ECG, gazométrie…) comme il lui appartenait de le faire (…) ». Il avait ainsi commis une faute dont il devait réparation.
En revanche, les magistrats mettaient hors de cause l’anesthésiste qui était intervenu auprès de la patiente uniquement dans la nuit précédant l’intervention.
Excluant la perte de chance compte-tenu du « bon » pronostic vital de la patiente « chez laquelle il n’existait pas de métastases », le tribunal condamnait la clinique et les deux praticiens à indemniser la totalité du préjudice des ayants droit dans la proportion de 60% pour la clinique et de 20% pour le chirurgien ainsi que pour le pneumologue.
Indemnisation de 45 800€.
La clinique était, en outre, condamnée à verser la somme de 5 000€ à l’ONIAM pour avoir refusé d’indemniser les ayants droit de la patiente selon la demande de la CRCI alors que l’expertise avait relevé sans conteste des fautes précises à son encontre (article L.1242-15 du code de la santé publique).
Une hypothèse non évoquée par les experts est une compression trachéale cervico-médiastinale par métastases ganglionnaires. Les deux principaux signes d’une telle pathologie sont la gêne respiratoire et la toux (réf 2). Chez la patiente, ces deux symptômes sont vraisemblablement apparus peu de temps avant l’admission en clinique, expliqueraient la consultation d’un pneumologue. Ce dernier a évoqué une maladie asthmatique dont l’apparition à l’âge de la patiente est relativement exceptionnelle. A noter que le médecin traitant a rajouté un anti-tussif (Netux®) montrant la prédominance de la toux dans les plaintes de la patiente, ce qui n’est pas habituel dans l’asthme. La corticothérapie prescrite par le pneumologue aurait pu, à terme, améliorer la symptomatologie mais elle a été arrêtée dès l’hospitalisation. Il est vraisemblable que l’intervention qui s’est déroulée par voie cervicale pure (contrairement à ce qui était prévu) n’a que peu ou pas levé une éventuelle compression ganglionnaire médiastinale. Une réaction inflammatoire et œdémateuse liée au geste opératoire aurait même pu l’aggraver. La toux est réapparue dès le séjour en soins intensifs et s’est progressivement aggravée. Elle a été le symptôme majeur en postopératoire avec la dyspnée (qualifiée par le pneumologue de la clinique de modérée), l’angoisse et, plus tardivement, la difficulté à rester allongée. Ni l’embolie pulmonaire, ni la maladie asthmatique, ni l’infarctus du myocarde ne peuvent expliquer l’ensemble d’une telle symptomatologie. Quant à l’hémorragie post opératoire, elle ne rend pas compte de la symptomatologie précédant l’intervention et n’est guère, compatible avec une évolution progressive, sans signe évocateur, sur plus de 6 jours.
REFERENCES
2)http://fr.slideshare.net/henzazi/diagnostic-des-tumeurs-mdiastinales-13045660