Décès d'une patiente de 38 ans après une hystérectomie pour fibrome

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Décès d'une patiente de 38 ans après une hystérectomie pour fibrome

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Une femme de 38 ans suivie depuis des années pour des ménorragies importantes liées à un fibrome utérin accepte la proposition de son obstétricien et subit une hystérectomie. La patiente décède quelques heures plus tard ; son époux déposera alors des plaintes pénales pour homicide involontaire et non-assistance à personne en péril.

  • Chirurgien
Auteur : Christian SICOT / MAJ : 19/01/2018

Cas clinique

Le 7 février 2006, une femme de 38 ans, mère de deux enfants, est admise en clinique afin de subir une hystérectomie totale inter-annexielle par laparotomie. Depuis 1995, cette patiente est suivie par un gynéco-obstétricien pour des ménorragies importantes liées à un fibrome utérin. En 2002, l'importance des hémorragies s'aggrave et entraîne une anémie. En novembre 2005, le gynéco-obstétricien propose à cette patiente une hystérectomie, ce qu'elle accepte, ne désirant plus d'enfants.

Lors de la consultation préanesthésique du 26 janvier 2006, la patiente est classée ASA 1. La recherche d'agglutinines irrégulières (RAI), demandée après l'identification d'un groupe sanguin A Rh négatif, donne un résultat discordant (négatif par test de Coombs indirect et positif en milieu enzymatique). Le laboratoire propose de réaliser un nouveau prélèvement pour identification et titrage. L'anesthésiste n'estime pas utile de faire procéder à cette vérification, considérant qu'une hystérectomie n'est pas, a priori, une intervention hémorragique et que la patiente est en bonne santé (à noter que le délai moyen pour que la clinique se procure du sang auprès du centre départemental de transfusion est d'une heure).

Aucune visite anesthésique préopératoire n'est effectuée, la veille ou le jour de l'intervention. Celle-ci a lieu le 8 février entre 10h30 et 12h00 sous anesthésie générale associée à une anesthésie péridurale à visée antalgique postopératoire (assurée par l'anesthésiste ayant réalisé la consultation préanesthésique). Elle permet de retirer un volumineux utérus myomateux, sans qu'aucun incident peropératoire ne soit signalé.

Après un passage en SSPI, la patiente regagne sa chambre à 15h30.

A 18h30, lors de la contre-visite du chirurgien, aucun problème n'est mentionné (PA : 100/60 mmHg, température à 37,4 °C).

Dans la nuit du 08 au 09 février, l'infirmière note des nausées et des vomissements ainsi qu'une tachycardie à 125/min.

Le 09 février (J1), à 09h30, visite du chirurgien auquel l'infirmière signale que : « (...) La patiente a une petite tension (entre 80 et 100), urine peu, ne s'est pas levée pour faire sa toilette car la tête lui tourne et a refusé de prendre son petit déjeuner en raison de nausées persistantes (...) ». Le chirurgien constate que : « (...) La patiente est pâle, que son ventre est souple, sans anomalie au TV (...) ». Il demande une NFS et la visite de l'anesthésiste d'astreinte (qui n'est pas celui présent lors de l'intervention).

En milieu de matinée, l'anesthésiste d'astreinte se rend auprès de la patiente, sur appel des infirmières, tout en leur rappelant que : « C'est à l'anesthésiste opérateur d'en assurer le suivi ». Aucun écrit ne témoigne de ce passage. Mais, lors de l'instruction pénale, l'anesthésiste dit ne pas avoir constaté de symptômes particuliers et avoir prescrit un flacon de 500 ml de Lomol®, dont la perfusion avait bien été effectuée selon le cahier infirmier. A noter que, dans leur rapport, les experts soulignent que : « (...) Dans la clinique, un seul médecin anesthésiste-réanimateur d'astreinte assurait simultanément les visites anesthésiques pré et postopératoires, les urgences anesthésiques de la maternité et les éventuelles anesthésies chirurgicales d'urgence (...) ».

A 12h00, la NFS montre une Hb à 10,6 g/100 mL et une leucocytose à 30 000/mm3.

Vers 13h30, le chirurgien revoit la patiente et prescrit une nouvelle NFS et une hémoculture, car « il hésite entre une possible hémorragie et une infection ». Aucune autre exploration n'est demandée, ni aucune consigne de surveillance, plus précise, n'est donnée aux infirmières.

En début d'après-midi, la mère de la patiente constate « la dégradation de l'état de santé de sa fille qui est très pâle avec des lèvres blanches ». Les hémocultures sont réalisées à 14h25 et à 15h30, la technicienne dit avoir remarqué le teint « cireux » de la patiente.

La NFS prescrite à 13h30 n'est prélevée qu'à 18h00 après que le chirurgien en ait réclamé les résultats à 17h00.

A 18h30, ayant été informé que le taux d'Hb était descendu à 6,60 g/100 mL, le chirurgien porte le diagnostic d'hémorragie interne. Il décide de réintervenir en urgence, demandant aux infirmières d'en avertir le bloc et l'anesthésiste d'astreinte. Ce dernier, occupé au bloc opératoire et seul anesthésiste présent à cette heure dans la clinique, ne peut se déplacer immédiatement. Il demande que la patiente soit descendue au bloc après l'avoir mise sous oxygène et prescrit un remplissage vasculaire par 2 flacons de Voluven®.

A 19h00, la patiente arrive au bloc, en même temps que l'anesthésiste qui, constatant l'urgence vitale (ASA 5) et la perte de sang importante, demande à l'infirmière de la SSPI de préparer les 4 culots globulaires de la réserve de la clinique.

A 19h30, l'intervention débute avec l'aide d'un chirurgien viscéral. Près de 2 000 mL de sang noir sont aspirés ainsi que de gros caillots sanguins. Cette hémorragie provient d'une artère cervicale utérine qui était ligaturée.

A 19h50, une commande de 6 culots de A négatif (groupe de la patiente) était faite auprès du Centre départemental de transfusion à la demande et après signature de l'anesthésiste. Le doute sur l'existence d'agglutinines irrégulières conduit la technicienne du Centre de transfusion à réclamer l'envoi d'un deuxième tube de sang de la patiente pour vérification. Ce tube parvient au Centre de transfusion entre 20h23 et 21h30. La vérification s'avère négative. La case « urgence vitale » n'ayant pas été cochée par l'anesthésiste sur la demande de sang, les 6 culots globulaires n'ont pu être délivrés sans cette vérification. Le bordereau d'expédition mentionne que les concentrés globulaires quittent le Centre de transfusion à 22h45...

La réintervention se termine à 20h05. La patiente a reçu 1 500 mL de Voluven® et 500 mL de Dextran®. Elle est transférée, intubée et ventilée, avec une PA « normale » mais une fréquence cardiaque élevée à 132/min, en SSPI où 7 patients sont déjà présents. L'anesthésiste regagne le bloc où il doit prendre en charge une autre intervention.

A 20h45, la patiente est extubée par l'infirmière de SSPI. Celle-ci constate qu'elle souffre, se rend dans le bloc opératoire pour en informer l'anesthésiste. Celui-ci prescrit une injection de Naropéine® par le cathéter péridural.

Vers 21h00, la patiente fait un arrêt cardiaque. Immédiatement appelés, l'anesthésiste et le chirurgien viscéral (le chirurgien de la patiente ayant regagné son domicile), pratiquent un massage cardiaque avec perfusion d'adrénaline en goutte à goutte et passage rapide des 4 concentrés globulaires de la réserve de la clinique (2 O positif et 2 O négatif) (1 concentré en 5 minutes).

Contrairement aux affirmations de l'anesthésiste lors de l'instruction judiciaire, la feuille d'intervention et d'anesthésie ne mentionne pas de transfusion sanguine peropératoire. En revanche, c'est sur la feuille de surveillance de SSPI que les étiquettes correspondant aux concentrés globulaires de la réserve de la clinique avaient été collées.

Ces manœuvres de réanimation permettent la reprise d'un rythme cardiaque spontané (supérieur à 110/min) avec une PA comprise entre 80 et 100 mmHg.

Dès leur arrivée, vers 23h00, les concentrés globulaires fournis par le Centre de transfusion sont transfusés à la patiente.

A 23h15, lors du passage du quatrième concentré, survenait un deuxième arrêt cardiaque qui ne pouvait être réanimé malgré les manœuvres de réanimation immédiatement entreprises. A 23h50, décès de la patiente.

Absence d’autopsie. La famille affirmait, contrairement aux médecins, ne pas avoir été sollicitée en ce sens.

Plaintes pénales pour homicide involontaire et non-assistance à personne en péril déposées en novembre 2007 par l'époux de la victime.

Analyse des barrières

Télécharger l'exercice (pdf - 28.46 Ko)

  1. Lisez en détail le cas clinique.
  2. Oubliez quelques instants cette observation et rapportez-vous au tableau des barrières, identifiez les barrières de Qualité et sécurité que vous croyez importantes pour gérer, au plus prudent, ce type de situation clinique. Le nombre de barrières n’est pas limité.
  3. Interrogez le cas clinique avec les barrières que vous avez identifiées en 2 ; ont-elles tenu ?
  4. Analysez les causes profondes avec la méthode ALARM

Instruction judiciaire (2007-2015)

Le juge d'instruction désignait un collège de trois experts spécialisés en anesthésie-réanimation et en gynéco-obstétrique. Leurs conclusions étaient que : « (...) La patiente était décédée d'un arrêt circulatoire par hypovolémie en relation avec un défaut de compensation d'une hémorragie intrapéritonéale tardivement diagnostiquée. Une succession de fautes et de négligences avaient concouru à ce décès (...) ».

Au chirurgien gynéco-obstétricien, il était reproché :« (...)

  • l'absence de visite commune avec l'anesthésiste d'astreinte au chevet de la patiente,
  • l'absence d'imagerie médicale (échographie, scanner) après avoir pris connaissance des résultats de la première NFS, ce qui aurait permis d'avancer de plusieurs heures le diagnostic et d'intervenir plus précocement avec une équipe médicale diurne renforcée,
  • son manque de diligence concernant la NFS qu'il avait demandée à 13h00 et qui n'avait été effectuée qu' à 18h00, (autre cause de retard de la réintervention), ce qui démontrait qu'il n'avait pas insisté auprès des infirmières sur l'urgence de cette prescription et ne s'était pas assuré de la rapidité de son exécution (...) ».

A l'anesthésiste d'astreinte, il était reproché : « (...)

  • Le défaut d'évaluation de l'état de la patiente dans la journée du 9 février et, notamment, sa non-venue auprès de la patiente en présence du chirurgien.
  • Le retard dans l'administration des transfusions sanguines. La patiente n'avait pas été transfusée en peropératoire mais seulement après l'intervention, en SSPI. Ce retard dans les transfusions sanguines a participé, pour les experts, à la survenue des arrêts cardiaques chez la patiente.
  • Le retard dans la commande de sang auprès du Centre départemental de transfusion. La commande des 6 culots de sang avait été tardive (19h45) alors qu'elle aurait dû être faite dès le résultat connu de la NFS (18h00). En outre, elle avait été incomplète puisque la demande de recherche d'agglutinines irrégulières n'avait pas été faite simultanément à cette demande, ce qui avait entraîné un retard d'au moins 1h30 dans le transfert du sang commandé vers la clinique.
  • Une prescription postopératoire inadaptée consistant en une injection péridurale de Naropéine® dans un but antalgique. Une telle injection chez une patiente ayant une hypovolémie relative et une anémie aiguë avait pu déclencher une hypotension laquelle avait pu être suivie d'un arrêt cardiaque (...) ».

A la clinique, il était reproché : « (...)

  • Une organisation non conforme à la réglementation et aux bonnes pratiques : une médiocre coordination entre chirurgien et anesthésistes, une absence de réglementation concernant la prise en charge d'urgences simultanées, un fonctionnement de la SSPI non conforme à la réglementation, un défaut d'organisation et d'équipement de la clinique, (...) ».

Le juge d'instruction renvoyait le chirurgien gynéco-obstétricien, l'anesthésiste d'astreinte et la clinique devant le tribunal correctionnel pour homicide involontaire.

En revanche, l'anesthésiste qui était présent lors de l'intervention, également mis en examen pour ne pas avoir effectué une seconde recherche d'agglutinines irrégulières en pré-opératoire alors que les premiers résultats avaient été discordants, bénéficiait d'un non-lieu : « (...) Le décès de la patiente était sans rapport direct avec la première intervention et la recherche d'agglutinines irrégulières aurait dû être faite avant la reprise chirurgicale par l'anesthésiste d'astreinte (...) ».

Tribunal correctionnel (mars 2016)

Se fondant sur les conclusions des experts, les magistrats estimaient le chirurgien, l'anesthésiste d'astreinte et la clinique, responsables des faits qui leur étaient reprochés. Ils condamnaient le chirurgien et l'anesthésiste d'astreinte à 6 mois d'emprisonnement avec sursis et la clinique à une amende de 50 000 €.

Le tribunal recevait les constitutions de partie civile des plaignants et les renvoyaient à l'audience du 15 septembre 2016 devant la Chambre des intérêts civils du Tribunal correctionnel.

Les deux praticiens et la clinique faisaient appel de leurs condamnations.

Cour d'appel (septembre 2017)

Les magistrats d'appel confirmaient la condamnation de l'anesthésiste d'astreinte. En revanche, ils infirmaient le jugement du tribunal correctionnel concernant le chirurgien et la clinique et les relaxaient.

Concernant le chirurgien : « (...) Il ne pouvait lui être fait grief d'avoir failli dans le suivi post opératoire de sa patiente... Qu'en tout état de cause, il n'était pas certain que le recours à l'imagerie médicale aurait permis de diagnostiquer l'hémorragie péritonéale... Que d'une part, en ce qui concernait la demande de la seconde numération, il n'est pas établi de façon certaine, au regard notamment des conclusions des experts, que l'état de santé de la patiente, tel qu'observé à ce stade par le personnel médical et par le chirurgien, nécessitait que l'urgence de l'examen prescrit soit signalée... Que, d'autre part, l'urgence de connaître les résultats de la nouvelle numération ne saurait être appréciée a posteriori, au vu des événements ayant conduit au décès de la patiente mais au moment de la prescription... Qu'en tout état de cause, les experts, comme il a été déjà indiqué, ont estimé que le retard de trois heures pris dans le diagnostic de l'hémorragie péritonéale n'aurait pas eu les mêmes conséquences si la patiente avait bénéficié d'une prise en charge adaptée au plan anesthésique... Qu'il ne saurait donc être reproché, dans ces conditions, au chirurgien, d'avoir commis une faute en ne demandant pas en urgence les résultats de la numération formule sanguine de la patiente ;
Que pour l'ensemble de ces raisons, la Cour infirmera le jugement entrepris à l'égard du chirurgien, qui sera relaxé (...) »

Concernant la clinique : « (...) Que les fautes à l'origine du décès de la victime, telles qu'elles ont été caractérisées, relèvent de décisions d'ordre médical relatives à la prise en charge de la patiente sur le plan anesthésique et aux prescriptions ordonnées, et sont donc exclusives de l'organisation de la clinique... Qu'en particulier, aucun élément de la procédure ne permet d'affirmer, à l'instar des experts, que l'absence de visites pré et post anesthésiques de la patiente serait imputable à un défaut d'organisation de la clinique et non aux médecins anesthésistes eux-mêmes, de même qu'aucun élément du dossier ne permet d'établir que la direction de la clinique aurait dispensé les médecins de ces visites... Qu'il en va de même de la « médiocre coordination entre médecins et anesthésistes » reprochée à la clinique, qui fait observer que présents ensemble le 9 février à la clinique, il était loisible à ces derniers de se concerter... Que la preuve d'une « mauvaise application des protocoles » n'est pas rapportée, nonobstant les affirmations des experts... Qu'en tout état de cause, les fautes alléguées ne sont pas de nature à avoir entraîné de façon certaine le décès de la patiente... Que dans ces conditions, en l'absence de faute imputable à la clinique ayant causé involontairement le décès de la victime, la Cour infirmera la décision des premiers juges à cet égard et relaxera la prévenue des fins de la poursuite (...) ».