Quand une femme décède d'une péritonite suite à un dysfonctionnement entre les services des Urgences et de chirurgie viscérale...
Voici le témoignage du Mari sur les deux jours suivant, « Ma femme était assez fatiguée. Elle n’arrivait pas à s’alimenter et restait couchée toute la journée. Des vomissements survenaient dans la soirée. Elle dormait mal la nuit de samedi à dimanche. Le matin, je lui ai demandé d’essayer de se nourrir. Elle est restée couchée. Je lui ai proposé de voir un médecin car elle avait des vomissements noirs. Elle m’a dit que ça allait et qu’elle se sentait un peu mieux. Elle m’a dit d’attendre pour appeler le médecin. Elle a passé la nuit de dimanche à lundi en dormant moyennement. A mon réveil, vers 4h50, elle n’était pas du tout en forme. Ses jambes, d’habitude blanches, étaient d’une coloration rosâtre. Le seau près du lit, contenait des vomissements noirs en assez grande quantité. Je lui ai dit qu’il y avait un problème sérieux mais elle m’a affirmé que cela irait mieux après avoir pris le petit déjeuner que je lui avais préparé. De toute façon, je l’ai prévenue qu’à mon retour, si cela durait, j’appellerai un médecin. Je suis parti au travail à 5h35. Je suis revenu à la maison vers 12h30 et j’ai découvert mon épouse sans vie ».
L’autopsie concluait que : « Le décès était directement et exclusivement lié à une insuffisance respiratoire aiguë à la suite d’un syndrome d’inhalation bronchique (Mendelson). Dans le cas présent, il était bilatéral et sévère (abondance de liquide digestif dans les voies respiratoires distales. Cette inhalation de liquide digestif était directement et exclusivement liée à la survenue de vomissements. Ceux-ci étaient consécutifs à une pathologie digestive marquée par une occlusion intestinale basse secondaire à un obstacle constitué par une masse indurée développée aux dépens de la lumière colique, au niveau du côlon sigmoïde, à environ 20 cm de la marge anale. Cet obstacle avait été à l’origine à la fois d’une importante distension des anses digestives et d’une péritonite généralisée. D’autre part, une perforation colique en regard d’un accolement avec l’ovaire gauche était macroscopiquement notée… »
L’examen anatomo-pathologique faisait état : « (…) d’une alvéolite œdémateuse liée à une inhalation de liquide gastrique et d’une perforation sigmoïdienne se développant sur un côlon remanié par une diverticulose et une péritonite. L’aspect macroscopique et les remaniements histologiques pariéto-coliques étaient ceux d’un processus évoluant à bas bruit depuis longtemps avant d’aboutir à la perforation ».
Plainte pénale pour homicide involontaire déposée par le mari de la patiente.
Expertise
Les deux experts, – l’un, professeur des universités, chef de service de chirurgie générale et digestive et l’autre, chirurgien libéral– estimaient qu’en raison de la symptomatologie douloureuse abdominale avec notion d’une contracture constatée par le médecin de garde et confirmée par l’examen de l’interne en MG, la suspicion d’une péritonite devait être présente à l’esprit des médecins qui avaient en charge cette patiente : « (…) Il convenait alors de faire un examen clinique plus complet, et notamment de procéder à des touchers pelviens ce qui semble ne pas avoir été réalisé, ni par les médecins urgentistes, ni par l’interne en chirurgie et a fortiori par le chef de clinique de chirurgie viscérale. Les touchers pelviens font partie intégrante d’un examen médical sérieux. En cas de douleurs abdominales aiguës et notamment, en cas de péritonite, ils peuvent réveiller une vive douleur du fait de l’accumulation de pus dans le cul de sac de Douglas. Si la pratique d’une radiographie d’abdomen sans préparation était justifiée, cet examen était, toutefois insuffisant pour préciser la nature et la cause d’un syndrome abdominal aigu, qu’il soit d‘origine perforative ou occlusive. L’absence radiologique de pneumopéritoine ou de niveaux hydro-aériques n’excluait pas une péritonite par perforation d’une diverticulite colique (ce qui était le cas de la patiente), d’une appendicite purulente, d’une pelvi-péritonite d’origine gynécologique,…Devant ce tableau clinique, il était nécessaire de faire, pour le moins, une échographie abdominale à la recherche d’un épanchement liquidien intra-péritonéal, mais surtout un examen scanographique abdominal qui aurait fait le diagnostic d’une masse pseudo-tumorale sigmoïdienne, correspondant à la lésion retrouvée à l’autopsie.
L’administration d’un antalgique de type paracétamol associé à un antispasmodique (Spasfon®) était justifiée pour soulager les douleurs de la patiente, mais dès lors qu’était prise la décision de perfuser un antalgique puissant de la classe des morphiniques (Nubain®), on s’exposait à masquer la symptomatologie abdominale. Ceci est connu de tous les chirurgiens ayant la pratique de la chirurgie abdominale d’urgence : il est contre-indiqué d’administrer un antalgique morphinique en l’absence d’une incertitude diagnostique quant à l’origine de la douleur abdominale. Une telleadministration n’est justifiée que si une indication chirurgicale a été éliminée. En revanche, l’injection d’un dérivé morphinique est permise dans l’attente d’une intervention chirurgicale pour diminuer l’intensité des douleurs abdominales ».
Concernant les responsabilités, les experts éliminaient celle des deux internes en MG, en soulignant que le premier avait bien noté la présence d’une contracture. Ils reprochaient au premier senior urgentiste d’avoir prescrit un antalgique morphinique avant d’avoir éliminé formellement une indication chirurgicale chez la patiente. Ils estimaient que les deux seniors urgentistes n’avaient pas pris en compte la gravité de la situation et avaient été faussement rassurés par l’efficacité du traitement antalgique, sans toutefois répondre aux exigences d’une bonne pratique clinique, à savoir affirmer le diagnostic par tous les moyens nécessaires : « (…) Ils auraient dû faire pratiquer, en plus de la radiographie d’abdomen sans préparation, une échographie abdominale et surtout un examen scanographique abdominal, compte tenu de la notion de contracture abdominale diagnostiquée par le médecin appelé au domicile et l’interne en MG à l’admission (…) ». Ils rappelaient que ce dernier examen était de pratique courante dans un hôpital universitaire recevant de nombreuses urgences.
Le second senior urgentiste avait laissé sortir la patiente avec le diagnostic de « douleurs abdominales-constipation » en prescrivant des lavements, laxatifs et antispasmodiques. Ce diagnostic avait été retenu compte tenu de l’absence d’indication chirurgicale, exprimée par l’interne en chirurgie. Toutefois, cet interne avait précisé dans le dossier : « pas d’indication chirurgicale, pour le moment ».Le médecin senior urgentiste pensait que l’absence d’indication chirurgicale avait été confirmée par le chef de clinique en chirurgie de garde. Il existait donc, à ce niveau, un sérieux dysfonctionnement entre les services des Urgences et de chirurgie viscérale puisqu’aucune note écrite émanant du chef de clinique de chirurgie n’avait été retrouvée.
Pour les experts, l’interne en chirurgie avait effectué sa tâche avec son niveau de connaissances (un interne non thésé est un étudiant de 3ème cycle des études médicales), si ce n’est l’absence de touchers pelviens. « (…) L’ensemble des faits relevés amène à penser qu’il a dû en référer au chef de clinique chirurgicale. Celui-ci aurait dû examiner personnellement la patiente et prendre la décision définitive de faire hospitaliser pour une surveillance clinique et décider ou non d’une intervention chirurgicale (…) »
Par ailleurs, les experts soulignaient le manque de concertation entre le service de Chirurgie viscérale et le service des Urgences. En effet, le chef de service des Urgences avait déclaré que : « (…) la procédure de prise en charge d’une douleur abdominale faisait appel, en règle générale, à l’interne en MG et au médecin urgentiste mais un avis chirurgical devait être systématiquement sollicité, particulièrement pour les patients adressés par un médecin. Cet avis est donné, dans un premier temps, par l’interne en chirurgie mais doit être validé par le senior de chirurgie. Concernant les touchers pelviens, pour les malades montrés aux chirurgiens, il était habituel de ne pas les répéter. En l’occurrence, personne ne les avait pratiqués dans le cas de la malade(…) »En outre, les experts faisaient état de la lettre adressée par le chef de service des Urgences au chef de service de Chirurgie viscérale après le décès de la patiente, qui se terminait par : « (…) Je souhaiterais donc que nous revoyions ensemble la nécessaire seniorisation des avis qui nous paraît indispensable pour tout malade qui n’est pas hospitalisé (…) »
Les experts concluaient que : « Le décès était en rapport direct, déterminant, exclusif avec l’erreur diagnostique initiale, le manque de moyens mis en œuvre pour affirmer le diagnostic et les attitudes fautives et négligentes d’un certain nombre de médecins impliqués et, en premier lieu, l’absence d’avis chirurgical d’un chirurgien senior. Il y a donc eu une réelle perte de chance pour la patiente ».
Mais ils s’étonnaient que, compte-tenu de l’état de santé de la patiente au lendemain de sa sortie, ni elle, ni son mari n’aient fait appel à un médecin de garde ou reconsulté au CHU, comme indiqué par les recommandations écrites qui leur avaient été remises. A leur avis, si la patiente était revenue le 21 mars au service des Urgences, le diagnostic aurait certainement été redressé, conduisant à une intervention chirurgicale qui aurait vraisemblablement permis d’éviter le décès.
Instruction judiciaire
Le juge d’instruction désigné après la plainte pénale pour homicide involontaire déposée par le mari de la patiente, mettait en examen initialement le médecin urgentiste senior ayant autorisé la sortie de la patiente et l’interne en chirurgie, puis secondairement le chef de clinique de chirurgie. Il entendait le médecin urgentiste senior ayant accueilli la malade sous le statut de témoin assisté.
Au terme de son instruction, le magistrat délivrait un non-lieu à l’encontre d’une part du chef de clinique de chirurgie car il n’était pas certain qu’il ait été informé du cas de la patiente par l’interne en chirurgie et d’autre part du médecin urgentiste senior ayant accueilli la patiente car il n’avait fait que prescrire des examens et ordonner l’administration d’antalgiques conformément au protocole de l’hôpital, la prescription étant inscrite au dossier et pouvant ainsi être prise en compte par ses confrères intervenant postérieurement. En revanche, il renvoyait devant le tribunal correctionnel le médecin senior urgentiste ayant autorisé la sortie de la malade et l’interne en chirurgie.
Tribunal correctionnel (2009)
Les magistrats considéraient que l’interne en chirurgie n’avait commis aucune faute. En revanche, ils reprochaient au médecin senior urgentiste de « ne pas avoir pris toutes mesures d’auscultations complémentaires en présence des symptômes montrés par la patiente, et notamment effectuer un toucher pelvien ou anal ou du moins s’assurer qu’ils avaient été effectués auparavant ». Dès lors sa responsabilité était engagée sur le diagnostic erroné qu’il avait délivré sur la patiente.
Condamnation à 6 mois d’emprisonnement avec sursis et à verser 10 800€ à la partie civile en réparation du préjudice subi.
Cour d’appel chambre correctionnelle (avril 2010)
Après appel du médecin senior urgentiste condamné, du procureur de la République et de la partie civile, la cour d’appel confirmait le jugement du tribunal correctionnel sur la relaxe de l’interne en chirurgie et la culpabilité et la peine prononcées à l’encontre du médecin senior urgentiste : « (…) Attendu que le médecin senior urgentiste, au regard de son expérience professionnelle confirmée, ne pouvait méconnaître le diagnostic de péritonite posé par le médecin appelé au domicile, la nécessité des examens de touchers pelviens non réalisés par les précédents intervenants,celle d’une échographie ou d’un scanner abdominal en se fondant sur les constatations médicales d’un jeune interne inexpérimenté, et laisser sortir la patiente sur le seul diagnostic de constipation et de douleurs abdominales, hors de proportion avec la péritonite qui devait être diagnostiquée , tout en reconnaissant que la disparition de la douleur due au Nubain® ne signifiait pas que la pathologie avait disparu (…) »
Cour de cassation chambre criminelle (février 2011)
Le médecin senior urgentiste s’étant pourvu en cassation, la Cour de cassation confirmait sa culpabilité : « (…) Le prévenu qui n’a pas pris les mesures permettant d’éviter le dommage, a commis une faute caractérisée exposant autrui à un risque d’une particulière gravité qu’il ne pouvait ignorer et qui entretient un lien de causalité certain avec le décès de la victime, la cour d’appel a justifié sa décision (…) »
En revanche, la Cour accueillait le pourvoi sur le plan civil et cassait l’arrêt rendu s’agissant d’une faute détachable du service. Elle considérait que le prévenu, praticien hospitalier, avait agi dans l’exercice de ses fonctions, de sorte que sa responsabilité personnelle n’était pas susceptible d’être retenue.
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la seule faute que je retiendrais est l absence de demande de scanner abdominopelvien
par contre l absence de touchers pelviens a mon sens n est pas à retenir, c est un examen très peu contributif sauf dans les tableaux d occlusion pour rechercher une tumeur basse ou un fécalome...