Homme âgé de 79 ans au moment des faits (2010), se plaignant depuis une dizaine d’années d’une coxarthrose gauche invalidante. Parmi les antécédents médicaux : obésité (IMC à 31), constipation habituelle, HTA contrôlée par un traitement médical (Cokenzen®, Iperten® ), artérite du membre inférieur droit et surtout insuffisance rénale stade IV.
Saisine de la CRCI le 22 novembre par les ayants-droit du patient pour obtenir l’indemnisation du préjudice qu’ils avaient subi.
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Une première expertise confiée à un chirurgien viscéral n’ayant pas permis d’élucider le mécanisme ayant conduit au décès du patient, la CRCI décidait de demander un second avis à un anesthésiste-réanimateur et à un chirurgien digestif.
Ceux-ci estimaient que l’intervention était fondée et nécessaire : « (…) L’information sur l’importance et les risques de l’intervention prévue avait été donnée pour ce qui est des risques orthopédiques et néphrologiques éventuels. Le patient les avait bien compris et restait très demandeur de l’intervention. La complication qui s’est produite n’avait pas été signalée, dans la mesure où elle est abdominale et pas en rapport direct avec la technique orthopédique. Un syndrome d’Ogilvie était, de loin, la cause probable du décès du patient. Il s’agit d’une pseudo-occlusion fonctionnelle (sans obstacle) qui survient plus volontiers chez les sujets âgés, dans certaines circonstances (accident de la voie publique, chirurgie lourde,…). Ce syndrome se manifeste par une paralysie temporaire du fonctionnement intestinal qui distend progressivement le côlon. Compte-tenu de sa localisation, la distension fait courir plusieurs risques : perforation diastasique du caecum lorsque celui-ci atteint une taille-limite (au-delà de 12 cm de largeur), insuffisance respiratoire aiguë par compression diaphragmatique et pleuro-pulmonaire par le côlon distendu, inhalation de vomissements lorsque la stase gastrique devient importante. Les autres causes d’occlusion étaient ici beaucoup moins probables, qu’il s’agisse d’une ischémie mésentérique ou d’une occlusion mécanique du grêle (l’occlusion sur bride était très peu probable car il n’y avait aucun antécédent chirurgical abdominal). Le traitement du syndrome d’Ogilvie est essentiellement médical, par des colo-exsufflations répétées et la réhydratation. Chez le patient, la survenue de ce syndrome était multi-factoriel : état antérieur (obésité, constipation chronique, insuffisance rénale chronique de stade IV), chirurgie orthopédique au niveau du bassin, alitement, douleurs postopératoires entraînant l’administration de morphiniques,…
Compte-tenu de ces facteurs favorisants, la surveillance postopératoire du patient aurait dû être renforcée ce qui n’avait pas été le cas. Aucun cliché radiologique d’abdomen, aucun scanner (sans injection, compte-tenu de l’insuffisance rénale), aucune coloscopie n’avaient été envisagés. Aucune réflexion n’avait été faite à propos de l’élévation progressive de la créatinémie qui devait faire rechercher une cause sous-jacente. Par ailleurs, il existait un réel problème d’organisation dans la clinique puisqu’il semblait habituel que les anesthésistes (y compris celui qui avait réalisé l’anesthésie) ne voient pas en post-opératoire les patients dans les services d’hospitalisation, sauf quand ils étaient appelés. Il était vrai que cette habitude s’inspirait des recommandations de l’Ordre National des Médecins. Mais l’esprit de ces recommandations est tout de même basé sur la notion ʺd’équipe médicaleʺ, même si l’opérateur chirurgical est central (…) »
Selon l’avis des experts, même bien traité, la mortalité du syndrome d’Ogilvie était élevée, de l’ordre de 20 %. Compte-tenu que le traitement appliqué avait été « très imparfait », ils estimaient que, dans la perte de chance d’éviter le décès, estimée à 60 %, la responsabilité des différents praticiens était la suivante :
20 % pour le chirurgien orthopédique qui avait vu le patient tous les jours, y compris vers 20 h le 9 juillet, sans prendre la mesure de la gravité de la distension abdominale
20 % pour l’anesthésiste qui voyait le patient le patient le 9 juillet à 17 h, avec une « gêne respiratoire avec encombrement bronchique secondaire à une distension abdominale majeure » sans exiger aussitôt que soit réalisée une colo-exsufflation.
10 % pour le premier néphrologue qui avait considéré le 7 juillet que les troubles digestifs étaient à l’origine de l’aggravation postopératoire de l’insuffisance rénale, sans chercher plus avant la cause de ces troubles.
10 % pour le second néphrologue qui ne semblait pas avoir pris, au soir du 9 juillet, l’exacte mesure de la distension abdominale, ni de l’évolution inquiétante et inexpliquée de la créatinémie.
En revanche, les experts excluaient la responsabilité du gastroentérologue qui n’avait pas été sollicité à nouveau au-delà du 7 juillet et n’avait pas revu le patient ainsi que celle de l’anesthésiste, présent lors de l’intervention que le chirurgien n’avait pas appelé après l’intervention.
Avis de la CRCI (juin 2013)
La CRCI estimait, après avoir pris connaissance du rapport des experts, que : « (…) Bien que chacun des professionnels de santé ayant pris en charge le patient, soit spécialisé en chirurgie orthopédique, ou en gastroentérologie, ou en néphrologie, ou en anesthésie-réanimation, ces médecins étaient tous en mesure d’apprécier la gravité de la situation de celui-ci et de mettre en œuvre les mesures nécessaires (…) » Par ailleurs, la CRCI considérait qu’il existait un réel problème d’organisation et de coordination au sein de la clinique à laquelle il appartenait de « faciliter la coordination entre les professionnels de santé, en organisant notamment des staffs médicaux en cas de prise en charge multidisciplinaire ».
Les conclusions de la CRCI étaient que la responsabilité des cinq médecins ayant pris en charge le patient ainsi que celle de la clinique étaient engagées sur le fondement d’une faute ayant fait perdre au patient une chance de survie, estimée à 80 %. La CRCI attribuait 20 % de l’indemnisation au chirurgien orthopédique et 12 % à chacun des quatre autres médecins ainsi qu’à la clinique.
Références
1) http://www.conseil-national.medecin.fr/article/recommandations-concernant-les-relations-entre-anesthesistes-reanimateurs-et-chirurgiens-autres-spec-665
2) http://www.medecine.unilim.fr/formini/descreaso/perigueux_decembre_2009/syndrome_d_ogilvie.pdf
3) http://www.em-consulte.com/article/101565/syndrome-d-ogilvie-chez-la-personne-agee4)
RAPPEL sur le syndrome d’OGILVIE (d’après les références 2,3,4)
Le syndrome d’Ogilvie (ou Pseudo-occlusion colique aiguë) a été décrit en 1948 . Il s’agit d’une dilatation aiguë du côlon sur côlon antérieurement sain survenant en l’absence d’obstruction mécanique. Sa prévalence est inconnue mais il survient principalement chez l’homme de plus de 60 ans. De nombreux facteurs favorisants ont été décrits : période postpératoire (notamment chirurgie de la hanche,…), traumatismes (rachis, pelvis…), réanimation (ventilation assistée), médicaments (morphiniques, neuroleptiques...) (référence 4), maladies infectieuses (sepsis, …) ou neurologiques (Parkinson Alzheimer…). Son pronostic est sévère : mortalité de 25 à 30%, plus élevée en cas de complication (péritonite stercorale par perforation siégeant habituellement au niveau du caecum). Sa physio-pathologie n’est pas connue. Le tableau clinique est celui d’une distension abdominale progressive avec peu ou pas de douleurs, des nausées et/ou des vomissements, un arrêt du transit intestinal. L’abdomen est tympanique. Il n’y a pas de défense ou de contracture. Les bruits hydro-aériques sont rares. L’ampoule rectale est vide au TR. En cas de complication (perforation), possibilité de fièvre, voire d’état de choc. Le diagnostic est fondé sur l’abdomen sans préparation : présence d’air dans le tout cadre colique, avec dilatation parfois monstrueuse du côlon, mais prédominant au niveau du côlon droit et du caecum. Les anses iléales peuvent également être dilatées mais il n’y a pas de niveaux hydro-aériques. Si le diamètre caecal atteint 9 cm, un traitement spécifique (Prostigmine®, puis colo-exsufflations) doit être institué car le risque de perforation (siégeant habituellement au niveau du caecum) devient majeur à partir de 12 cm. Le scanner abdominal est indispensable en cas de doute diagnostique et de suspicion de complication.
Le diagnostic différentiel nécessite d’avoir éliminé une cause d’obstruction mécanique ou un mégacolon toxique à Clostridium difficile
Dès l’affirmation du diagnostic, des mesures thérapeutiques symptomatiques doivent être prises :
Si malgré ces mesures symptomatiques, la distension colique ne régresse pas au bout de 48 h, a fortiori si elle augmente et notamment , si le diamètre caecal atteint 9 cm, il convient d’administrer de la Prostigmine® à la dose de 2 mg en IV (Sgouros et al, Gut 2006 ;21 :459-61). La réponse se produit en 30 minutes, appréciée sur le périmètre abdominal et l’ASP (diamètre caecal). En l’absence de réponse dans les 3 heures, une seconde injection de 2mg de Prostigmine® peut être faite. En cas de réponse partielle ou de récidive, de nouvelles injections de Prostigmine ® sont possibles. En cas d’échec ou de contre-indication à la Prostigmine (20%), une colo-exsufflation doit être pratiquée, ce qui nécessite un opérateur expérimenté et un équipement adapté. Le taux de réussite est de 80% avec un risque de perforation de 2%. La colo-exsufflation peut être répétée en cas de récidive. En cas d’échec des méthodes précédentes ou de complications (perforation), force est de recourir à la chirurgie. L’intervention la plus simple consiste à pratiquer une colostomie de décharge (caecostomie). Les indications de colectomie, plus ou moins étendue (en fonction de l’état du côlon), avec rétablissement de la continuité ou colostomie, sont plus rares. La mortalité est alors élevée (30-60%).