Décès par coma hypoglycémique d’un homme de 82 ans

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Décès par coma hypoglycémique d’un homme de 82 ans au cours d'un épisode infectieux : les dangers d’une insulinothérapie inadaptée et mal contrôlée

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Un patient âgé de 82 ans en 2016 est suivi pour un diabète ancien de type 2, devenu insulino-nécessitant en mars 2009. Son dernier traitement associe Novonorm (Repaglinide) 2mg (2-2-2), Lantus 34 UI le soir et Actrapid 4 UI à 18h si glycémie > 2,5 g/l.

Découvrez ce cas clinique.

  • Médecin
Auteur : Christian SICOT / MAJ : 01/10/2019

Cas clinique

  • Le diabète est plutôt bien équilibré, compte-tenu de l'âge et du contexte du patient. Il est, en effet, porteur d'une insuffisance rénale chronique dialysée (diurèse conservée) depuis 2014, d'une hypertension artérielle stabilisée par un triple traitement hypotenseur, d'une cardiopathie ischémique ayant nécessité trois pontages en 2013 et d'une BPCO post-tabagique (sevrée) avec hyperactivité bronchique. L'IMC est à 34 (102 kg pour 1,72 m). Mais ce patient est autonome et vit avec sa femme.
  • Du 23/08 au 03/09/2016, le patient est hospitalisé pour une infection pulmonaire traitée par Cefotaxime. Lors de l'hospitalisation, le diagnostic de pneumopathie à la Cordarone (prescrite en raison de troubles du rythme cardiaque) est posé par le pneumologue de la clinique qui prescrit, à la sortie, une corticothérapie par Solupred (40mg/j avec diminution de 10 mg/j, tous les 10 jours. En raison des risques de déséquilibre du diabète par la corticothérapie, le pneumologue met en place un protocole d'insuline rapide : 0, 5, 10 UI à adapter aux glycémies (valeurs et horaires non précisés). Par ailleurs, une rétention urinaire aiguë impose le maintien d'une sonde à demeure pendant 3 semaines
  • Le 26 septembre, le pneumologue revoit, en consultation, le patient encore fébrile, avec une CRP élevée. Il modifie le précédent protocole d'insuline à injecter en fonction de la glycémie (horaires non précisés) : glycémie < 1,8 g : pas d'insuline -- 1,8 g/l< glycémie < 2,4 g/l : 5 UI Humalog SC --2,4 g/l < glycémie < 4 g/l :10 UI Humalog SC
  • Dans l'après-midi, le patient est admis aux urgences de la clinique pour une hyperthermie à 38,4°C. Il n'y avait pas de défaillance respiratoire mais la SaO2 était à 90 % avec suspicion d'une pneumopathie basale droite. A la radio thoracique, opacités bi-basales prédominant à droite avec discret épanchement pleura
  • Bilan biologique : créatinémie : 419 mmol/l ; glycémie : 1,20 g/l ; CRP : 82 mg/l -- ECBU : infection urinaire à Enterobacter cloacae et à Enterococcus spp
  • Transfert en service de médecine. Un traitement par Rocéphine (1 g/j) permet la normalisation de la courbe thermique, associé à un aminoside à la réception de l'antibiogramme (injection pratiquée en post- dialyse le 1er octobre)
  • Le 2 octobre, -Solupred diminué de 20 à 10 mg/j. Ajout par le pneumologue, au traitement antidiabétique, d'un nouveau protocole prévoyant 10 UI d'insuline rapide à -6h-12h-18h-22h, si glycémie >2,5 g/l (horaires des repas non précisés)

à 12 h 00,(déjeuner), glycémie à 1,69 g/ (infirmière intérimaire A)
à 18 h 00,(diner) pas de glycémie dosée  : Lantus 34 U + Humalog 10UI (infirmière intérimaire B)
à 22 h 00, glycémie à 3,04 g/l : Humalog 10UI (infirmière intérimaire B).

  • Le 3 octobre,

- à 02 h 00, malade conscient, glycémie 1,30 g/l
- à 05 h 30, malade somnolent difficile à réveiller → contrôle de la glycémie (0,50 g/l) 2 cuillérées de confiture difficilement prises par le patient (infirmière intérimaire B)
- à 06 h 00 : glycémie à 0,39 g/l.→ appel du médecin d'astreinte à domicile Une ampoule de G 30% en IV (prescription téléphonique) (infirmière intérimaire B)
- à 06 h30, patient "toujours somnolent"→ glycémie à 0,41 g/l
- à 07 h 00, patient "réactif aux stimulations"→ glycémie à 0,50 g/l. Une ampoule de G 30% en IV (prescription téléphonique) (infirmière intérimaire B)
- à 07 h 30 patient réactif aux stimulations → glycémie à 0,57 g/l. Appel du médecin d'astreinte à domicile d'après les dires de l’infirmière intérimaire B
- à 08 h 10, patient comateux, encombrement bronchique +++, HTA à 20/9, →glycémie à 0,50 g/l. Le médecin d'astreinte à domicile dit s'être déplacé et avoir prescrit l'administration de 2 ampoules de G 30 % en IVD ainsi qu'une ampoule de Furosémide - à 09 h 00 patient comateux, faiblement réactif →: glycémie à 1,30 g/l Appel du pneumologue (médecin référent du patient) qui prescrit son transfert dans le service de réanimation de la clinique.

  • L'hospitalisation en réanimation a lieu à 10 h00 (dossier infirmier service de médecine) ou 11h 30 (compte-rendu du service de réanimation):
  • -coma Glasgow 3, HTA :196/68; FC :65/min, absence de marbrures →glycémie à 2 g/l. Mise sous ventilation assistée. Hémofiltration à bas débit continu sur fistule artério-veineuse
  • TDM cérébral : absence d'anomalie aiguë cérébrale. TDM thoracique : aspect de broncho-pneumopathie des bases, prédominant à droite
  • Le patient séjourne en réanimation du 03/10 au 03/12/2016. Absence totale d'évolution positive

Décès le 03/12/2016.

Saisine de la CCi, le 9 janvier 2018, par l'épouse du patient, puis par son fils pour obtenir l'indemnisation du préjudice qu'ils ont subi.

Analyse et jugement

Analyse

Ce matériel est réservé à un usage privé ou d’enseignement. Il  reste la propriété de la Prévention Médicale, et ne peut en aucun cas faire l’objet d’une transaction commerciale.

Télécharger l'exercice (pdf - 28.46 Ko)

  1. Lisez en détail le cas clinique.
  2. Oubliez quelques instants cette observation et rapportez-vous au tableau des barrières, identifiez les barrières de Qualité et sécurité que vous croyez importantes pour gérer, au plus prudent, ce type de situation clinique. Le nombre de barrières n’est pas limité.
  3. Interrogez le cas clinique avec les barrières que vous avez identifiées en 2 ; ont-elles tenu ?
  4. Analysez les causes profondes avec la méthode ALARM.

Jugement

Expertise (mars 2018)

D'après l'avis des experts, l'un professeur d’université, chef de service de nutrition-diabétologie et l'autre, praticien hospitalier en réanimation-infectiologie:  " (...) Le décès du patient était directement lié aux conséquences neurologiques d'une hypoglycémie sévère et prolongée dont la prise en charge diagnostique et thérapeutique a été retardée.
(...)".

Leur analyse s'appuyait sur les cinq points suivants :"(...)

1) Le pneumologue a méconnu le risque d'hypoglycémie chez son patient

Ce patient souffrait d'un diabète ancien de type 2 devenu insulino-dépendant, mais qui était plutôt bien équilibré compte-tenu des pathologies associées, en particulier de l'insuffisance rénale chronique hémodialysée. Dans le traitement suivi, la prescription de Repaglinide (Novonorm) 2 mg x 3 /jour constituait déjà une dose importante pour l'âge, avec un risque d'hypoglycémie qu'il était important de connaître. D'après son AMM, le Repaglinide doit être administré avec prudence en cas d'insuffisance rénale et n'est pas recommandé chez les sujets de plus de 75 ans. Le protocole d'insuline du patient, prescrit depuis des années, consistait en une dose d'insuline ordinaire additionnelle le soir, ne dépassant jamais 4 U et administrée pour des glycémies > 2,5 g/l ou 3,5 g/l selon les périodes et les ordonnances. Cette prescription était prudente compte tenu de l'âge, du terrain (cardiopathie ischémique, HTA) et de l'insuffisance rénale chronique dialysée. Ce patient avait probablement une bonne sensibilité à l'insuline, avec des besoins peu élevés compte tenu du poids et du contexte médical polypathologique

En résumé : ce patient était à haut risque d'hypoglycémie :
-patient âgé,
-traitement par Repaglinide (le plus pourvoyeur d'hypoglycémies de tous les anti-diabétiques oraux dans ce contexte d'association à l'insuline) (1), -insuffisance rénale terminale,
-diminution progressive des doses de la corticothérapie (ce qui augmente la sensibilité à l'insuline)  
-diminution du syndrome inflammatoire au décours de l'épisode infectieux récent (dans ce cadre, la résistance à l'insuline concomitante de l'inflammation s'estompe ce qui augmente également la sensibilité globale à l'insuline et les risques d'hypoglycémie).

Il était donc essentiel, dans la prise en charge du diabète de ce patient, d'être beaucoup plus prudent par rapport au risque d'hypoglycémie, rapidement menaçante, que pour celui d'hyperglycémie, exceptionnellement grave dans ce contexte.

2) Le protocole d'insulinothérapie mis en route le 23 septembre était trop « agressif » dans le contexte médical du patient et n'était pas conforme à la prudence requise dans un tel contexte.

En effet :
- Depuis des années, la dose de 4 U prescrite par les endocrinologues et les néphrologues dialyseurs avait permis l'équilibration du diabète sans aucun accident d'hypoglycémie, ni aucun événement indésirable significatif.
- La glycémie étant restée stable entre le début de la corticothérapie et le 26 septembre (23 jours) : il ne convenait pas d'augmenter les doses d'insuline, ce qui faisait courir un risque important d'hypoglycémie au malade.
- La dose de 10 U d'insuline ordinaire du protocole a très largement favorisé l'hypoglycémie dans le contexte d'une corticothérapie à doses rapidement décroissantes. Cette dose de 10U était de toute façon trop élevée pour le patient dans un contexte post-infectieux bien contrôlé et avec un terrain polypathologique.

3) L'insulinothérapie, déjà à risque d'hypoglycémie dans son principe, n'a pas respecté les règles de réalisation protocolisées

- L'administration des 10 U d'Humalog (insuline humanisée ordinaire) à 18 h 00 sans contrôle de la glycémie (pourtant prescrit) est une erreur indiscutable. On peut s'interroger sur la formation de l'infirmière intérimaire et sa connaissance concernant le caractère conditionnel et non pas systématique des injections d'insuline.
- La double administration de 10 U d'Humalog à 18 h 00 et à 22 h 00 devant une glycémie à 3,04 g/L était illicite et dangereuse : on ne meurt pas d'hyperglycémie à 80 ans, mais on peut mourir d'hypoglycémie...
- Au moment de la deuxième injection d'insuline à 22 h00, le protocole de la clinique n'a pas été respecté. Le malade devait être perfusé avant de recevoir de l'insuline à distance d'un repas
- L'organisation de la clinique et notamment la formation adéquate du personnel soignant sont clairement en cause dans ces défauts de pratique clinique.

4) Si le diagnostic d'hypoglycémie a été reconnu dans les temps, dès 05 h 30 du matin le 3 octobre, sa prise en charge tant infirmière que médicale n'a pas respecté le protocole disponible dans la clinique, ni les bonnes pratiques médicales :

- Le protocole indique clairement que toute glycémie < 0,7 g/l doit conduire à perfuser le patient avec du sérum glucosé à 10 %, → cela n'a pas été fait ;
- Les troubles de conscience devaient conduire à l'appel du réanimateur de garde : cette procédure de nuit est nommément écrite dans le protocole de la clinique,
- Un doute existe sur la connaissance de ce protocole par le médecin d'astreinte et l'infirmière intérimaire.
- Si l'appel du réanimateur avait eu lieu dès 5 heures du matin, le transfert en réanimation aurait immédiatement suivi et le pronostic neurologique du patient aurait sans nul doute été nettement plus favorable,
- En admettant que l'infirmière ait contacté le médecin d'astreinte, et que celui-ci se soit déplacé à la clinique à 08 h l0 (selon ses dires), l'hypoglycémie profonde aura duré au moins 3 heures.
- Enfin, ce transfert aurait dû être réalisé sans aucun délai dès 09 h 00, lors de l'appel du pneumologue, et non à 10 h 00 comme l'indiquent les feuilles de surveillance infirmière, voire 11 h 30 comme l'indique le CR de réanimation avec un retard supplémentaire de 1 à 2 heures et demi pour la prise en charge du patient.

5) Dès son arrivée en réanimation, le patient a été l'objet de soins attentifs, adaptés à son état et conformes aux recommandations existantes et ce, jusqu'à son décès

Au total, les comportements non conformes du pneumologue, du médecin d'astreinte et du personnel soignant du service de médecine de la clinique ont été directement à l'origine du coma hypoglycémique profond et prolongé qui a entraîné le décès du patient. Plus précisément, les parts respectives de responsabilité dans la survenue du décès sont de :

  • 20% pour le pneumologue
  • 20% pour le médecin d'astreinte
  • 35% pour la Clinique 

Cependant, compte tenu de l'état antérieur du patient et de son atteinte polypathologique majeure, rendant complexe la prise en charge de son diabète dans un contexte de sortie d'un épisode infectieux majeur, la part de responsabilité relevant de l'aléa thérapeutique est évaluée à 25 % (...)".

Avis de la CCI (novembre 2018) 

Se fondant sur l'avis des experts, la CCI retenait :

1)    Concernant le pneumologue,
"(...) par sa prescription d'insuline non justifiée dans son principe et dans sa quantité, et qui aurait dû être réévaluée en fonction de l'évolution de la glycémie, il a exposé le patient à un risque important d'hypoglycémie qui s'est réalisé et qu'il avait sous-estimé.
Il existe donc un lien de causalité direct et certain entre cette prescription d'insuline et le décès du patient   (...)"

2)    Concernant le médecin d'astreinte à domicile,
" (...) il n'a pas apprécié à sa juste mesure la gravité de l'état du patient lors de l'appel téléphonique de l'infirmière à 06 h 00, alors que le contrôle de glycémie à 05 h 30 mettait en évidence une glycémie à 0, 50 g/l. Il a prescrit par téléphone à plusieurs reprises des ampoules alors que l'état du patient aurait justifié qu'il se rende à son chevet et prescrive un transfert en réanimation pour une surveillance étroite. Son comportement entre 06 h 00 et 08 h 00 a participé au retard de prise en charge du patient, qui a conduit à son décès (...)"

3)    Concernant la responsabilité de la clinique,
- "(...) le 3 octobre à 05 h 30, les infirmières constatant le taux de glycémie alarmant du patient auraient dû, en application du protocole de la clinique prévu dans un tel cas, perfuser le patient avec du sérum glucosé à 10%.
- En outre, elles n'établissent pas avoir pris les constantes du patient entre 22 h 00 et 05 h 00 du matin, ce qui caractérise un défaut de surveillance, de formation et de sensibilisation du personnel soignant à la pathologie diabétique.
- Après avoir constaté le taux alarmant de glycémie à 05 h 30, et alors que le patient était « somnolent difficilement réveillable », elles n'ont pas fait appel au réanimateur de garde, contrairement à ce que prévoit le protocole.
- Le médecin d'astreinte à domicile n'a été appelé pour la première fois qu’à 06 h 00 puis à 07 h 00. Il ne s'est déplacé qu'à 08 h10 selon ses déclarations. Ces éléments caractérisent un défaut de réactivité et d'organisation de la part des infirmières qui n'ont pas respecté la procédure de nuit instaurée par la clinique, ce qui a généré un retard de prise en charge de plus de 3 heures et aggravé le pronostic neurologique du patient.
- Pour sa part, le pneumologue ne sera appelé qu'à 9 heures. Il décidait du transfert en réanimation à cette heure mais ce transfert ne sera réalisé qu'à 10 heures ou 11 heures 30 selon les mentions discordantes du dossier médical. Ces infirmières étant membres du personnel soignant de la clinique, la faute qu'elles ont commise, engage la responsabilité de cet établissement. (...)"

Au total

"(...) Les manquements conjugués du pneumologue et du médecin d'astreinte à domicile aux règles de l'art ainsi que le défaut de réactivité et de suivi du protocole par le personnel para médical de la clinique sont à l'origine d'un retard de prise en charge d'au moins trois heures, délai pendant lequel le patient a présenté une hypoglycémie profonde engageant son pronostic neurologique.

Ces manquements fautifs ont concouru à la survenue du décès du patient, que son état au moment de l'hospitalisation pour pneumopathie, ne laissait pas présager. Ils engagent leur responsabilité respective dans une proportion que la Commission établit comme suit :

  • 30% pour le pneumologue
  • 30% pour le médecin d'astreinte à domicile
  • 40% pour la clinique (...)"
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