Décès à 22 ans d'un jeune homme suite à une maladie de Crohn

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Décès à 22 ans d'un jeune homme suite à une maladie de Crohn

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Décès à 22 ans d’un jeune homme adepte du nomadisme médical se plaignant de douleurs abdominales depuis plusieurs années. Quelle était la bonne posture à adopter ?

  • Médecin
Auteur : Christian Sicot / MAJ : 10/09/2018

Cas clinique

  • Le 24 novembre 2005 à 02h 30, un étudiant en psychologie de 22 ans consulte aux urgences d’un CHU pour des douleurs abdominales hypogastriques, spasmodiques, apparues 48hoo auparavant, au décours d’un repas copieux et alcoolisé entre amis. L’interrogatoire ne retrouve pas d’autre antécédent qu’un tabagisme évalué à 1 paquet par jour depuis 5-6 ans. La température est à 37,9 C° et le poids à 62 kg pour une taille de 1m 67. La CRP est à 56 mg/l sans hyperleucocytose. L’enquête « infectieuse » s’avère négative. L’ASP montre des niveaux hydro-aériques, situés dans le colon et l’intestin grêle avec présence d’air dans le rectum. L’échographie abdominale conclut à une iléite terminale. La rectosigmoïdoscopie est non contributive. Les douleurs ayant rapidement disparu, la sortie du patient est autorisée le 25 novembre avec un rendez-vous de consultation 3 semaines plus tard. Selon le dossier d’hospitalisation, le patient n’est jamais revenu consulter et il n’y avait pas de notion de prise en charge ultérieure par le CHU.
  • De 2005 à 2009, aucune information médicale n’est disponible. D’après les dires du patient, il aurait consulté un gastro-entérologue libéral en 2009 qui aurait pratiqué une coloscopie et porté le diagnostic de troubles fonctionnels intestinaux. Aucun document n’est toutefois, fourni par le patient pour attester de la réalité de cette consultation.
  • Le 19 novembre 2010, le patient consulte un médecin généraliste pour des douleurs abdominales, des courbatures et une importante asthénie. Celui-ci confirme que le patient lui a dit avoir subi un bilan gastroentérologique 6 mois auparavant, qui s’était révélé normal. L’examen clinique ne révèle pas d’anomalies. Traitement prescrit : Mag 2®.
  • Le 11 décembre 2010, le patient consulte un autre médecin généraliste exerçant dans une localité proche du premier, pour des douleurs en barre, allant de la FID à la FIG. Un bilan biologique est prescrit mais le patient n’est jamais pas revu et, a priori, les examens ne sont pas faits.
  • Le 7 avril 2011, le patient consulte un troisième médecin généraliste, époux du second généraliste, pour des douleurs abdominales récurrentes avec des phases de constipation. Il lui est prescrit à nouveau un bilan biologique (également non réalisé), et conseillé de prendre rendez-vous dans un cabinet de gastro-entérologues installés dans une ville voisine.
  • Le 22 avril 2011, le patient consulte un quatrième médecin généraliste exerçant dans une autre localité que les trois premiers, pour « des douleurs abdominales évoquant une colopathie fonctionnelle », associées à une anxiété avec troubles du sommeil. Dans le dossier, il est noté un IMC à 17 ce qui, pour une taille de 1 m67, correspondait à un poids de 47 kg, soit une perte de 15 kg depuis 2005. Ce médecin prescrit un traitement par Séroplex® et Météospasmyl®. Il recommande au patient de consulter «son médecin traitant», au plus dans 3 semaines.
  • Le 3 mai 2011, nouvelle consultation du premier médecin généraliste déjà rencontré pour alternance de diarrhée et de constipation avec une « crise douloureuse suraiguë ». Lors de l’interrogatoire, la douleur était dorsale, se prolongeant sur la face antéro-externe des cuisses. Il est noté dans le dossier une grande asthénie que le patient attribue à un stress professionnel intense. L’examen clinique est considéré comme normal. Un arrêt de travail est prescrit ainsi qu’un bilan biologique mais aucun résultat ne reviendra au généraliste.
  • Le 27 juillet 2011, le patient consultait le remplaçant exerçant dans le même cabinet que le quatrième médecin généraliste déjà consulté. Celui-ci l’adresse à un gastro-entérologue compte-tenu de la persistance des douleurs abdominales et de l’altération de l’état général. Le bilan biologique prescrit lors de cette consultation montre : « (…) Une anémie microcytaire, une hyperleucocytose avec polynucléose, une thrombocytémie, une VS à 37 mm à la première heure et une augmentation des phosphatases alcalines et de la gamma-GT (…) ». Il est adressé à un gastro-entérologue, rendez-vous pris.
  • Le 8 août 2011, le gastroentérologue constate : « (…) Douleurs abdominales lors de l’alimentation avec syndrome diarrhéique. Altération de l’état général avec perte de poids de 20 kg depuis 2005. Abdomen sensible à la palpation. Syndrome inflammatoire biologique (…) ». Il pratique une échographie : « (…) Aspect d’iléite avec atteinte des côlons droit et gauche (…) » Il n’est pas mentionné d’abcès intra- ou rétro-péritonéal, ni de sténose intestinale. Envisageant une maladie de Crohn, le gastroentérologue prescrit un traitement par Solupred ®(40 mg/j) et programme une coloscopie 6 semaines plus tard. Il n’envisageait pas de scanner abdominal, ni d’hospitalisation, le tableau, selon ses dires lors de l’expertise, s’étant constitué « très progressivement ». Il informait le patient qu’il partait en vacances du 20 août au 11 septembre et lui proposait de le revoir avant son départ si son état ne s’améliorait pas mais ne le confiait pas à l’un de ses confrères en son absence.
  • Le 16 août 2011, le patient consulte un sixième médecin généraliste exerçant dans le même cabinet que les deux derniers généralistes. Lors de l’expertise, ce dernier reconnait avoir été averti « oralement » par le gastroentérologue du diagnostic probable de maladie de Crohn (la date de cet entretien « oral » n’était pas précisée). Il note que le patient va relativement mieux et a repris 3 kg. Il prescrit, toutefois, un arrêt de travail.
  • Le 2 septembre 2011, le bilan biologique prescrit le 8 août par le gastroentérologue montre la persistance du syndrome inflammatoire malgré la corticothérapie.
  • Le 5 septembre 2011, le patient reconsulte le même médecin généraliste que le 16 août, pour des douleurs abdominales devenues permanentes et plus intenses. Il déclare avoir de la diarrhée mais pas de fièvre. Son poids est à 41 kg. En raison de l’inefficacité du paracétamol pour calmer ces douleurs, le généraliste prescrit des morphiniques : Skenan LP 30 ® (2 cp/j) et Actiskenan 10® à la demande.
  • Le 12 septembre 2011, le traitement morphinique est majoré lors d’une nouvelle consultation motivée par l’aggravation des douleurs abdominales.
  • Le 20 septembre 2011, hospitalisation en clinique pour la réalisation de la coloscopie programmée, en août par le gastroentérologue. Cet examen ne pouvait être mené au-delà de 50 cm de la marge anale en raison d’une préparation insuffisante (en fait, non prise). Biologiquement, hémoglobine : 8,8 g/100ml, leucocytes : 10 500 /mm3, plaquettes : 706 000/mm3, CRP : 123 mg/l, protides totaux : 57g/l, créatinémie : 4 mg/l.
  • Le 22 septembre 2011, apparition de violentes douleurs dans la région lombaire « rapidement insupportables ». Le patient est « encouragé à utiliser sa pompe à morphine » tandis que la dose orale de morphiniques était fortement augmentée.
  • Le 23 septembre 2011, transfert de la clinique dans le service d’hépato-gastroentérologie du centre hospitalier. A l’admission, l’examen clinique initial concluait à : « (…) Cachexie majeure, dilatation abdominale importante, zone inflammatoire douloureuse en regard de l’aile iliaque droite avec sensation de crépitement, absence de fièvre (…)». La CRP était à 224 mg/l. Le scanner abdomino-pelvien montrait : « (…) Dilatation iléale (44mm) en amont d’une zone inflammatoire sténosée jusqu’ à la valvule iléo-caecale. Aspect de fistule en voie de constitution en regard de la zone de crépitation sous-cutanée (…) ». Malgré l’administration de Rocéphine® et de Flagyl® par voie IV, l’état du patient ne s’améliorait pas.
  • Le 25 septembre 2011, transfert en réanimation après avoir été récusé par les anesthésistes pour le drainage chirurgical d’un éventuel abcès. Dans la soirée, survenue d’un état de choc, vraisemblablement septique, nécessitant la mise sous ventilation assistée après intubation trachéale et un remplissage vasculaire avec administration de noradrénaline à la pompe pour rétablir l’équilibre hémodynamique.
  • Le 26 septembre 2011 un nouveau scanner confirmait le diagnostic d’abcès du psoas s’étendant sur 17 cm de hauteur. Un drainage chirurgical était, alors, pratiqué permettant d’évacuer 300 ml de pus où étaient isolés de nombreux germes.
  • Le 30 septembre, réintervention pour changement de drain. Extension de la cellulite à tout le flanc droit.

Le 4 octobre, décès dans un tableau de choc septique irréversible avec défaillance multiviscérale.

Analyse

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En savoir plus:

Jugement - Expertise (novembre 2013)

Expertise (novembre 2013)

Les experts, l’un professeur des universités, chef de service d’asthmologie, d’allergologie et de médecine interne et le second, gastro-entérologue libéral, confirmaient que « (…) Le décès était dû à un choc septique, conséquence d’un tableau infectieux à point de départ iléal, compliquant l’évolution d’une maladie de Crohn, très probable (…) »

Concernant la responsabilité des différents médecins ayant pris en charge le patient, les experts estimaient que : « (…)
- La responsabilité du CHU n’était pas engagée. En effet, le patient ne s’était pas présenté à la consultation prévue avec un praticien de l’établissement, 3 semaines après sa sortie.
- Les 5 médecins généralistes que le patient avait consultés, de novembre 2010 à juillet 2011, avaient été réactifs alors que le patient présentait un amaigrissement de plus en plus significatif. Ils avaient prescrit des bilans biologiques pour individualiser des signes biologiques inflammatoires qui auraient pu remettre en cause le diagnostic de troubles fonctionnels intestinaux, avancé par le patient. En avril 2011, l’un d’entre eux avait, même, demandé un avis gastro-entérologique qui ne sera effectivement pris qu’à la suite de la consultation du 27 juillet.
Ce retard à une prise en charge spécialisée, --comme le tabagisme actif du patient, facteur reconnu d’évolution défavorable dans la maladie de Crohn --, ont été à l’origine du développement progressif de la fibrose iléale sténosante. Celle-ci était responsable des douleurs abdominales et des troubles du transit rythmés par les repas, conduisant à la réduction des apports alimentaires et à l’amaigrissement.
- Le gastroentérologue en ne prescrivant pas d’autres examens (coloscopie, scanner abdominal, voire entéro-IRM) pour rechercher une sténose iléale fibreuse et en sous-estimant la gravité de la dénutrition, avait commis une erreur de diagnostic. Il n’avait pas envisagé une évolution défavorable sous corticothérapie et était parti en vacances sans laisser de consignes de surveillance, créant un défaut de continuité de soins
- Le dernier généraliste n’avait pas reconnu cette évolution défavorable. Il avait initialisé et majoré un traitement morphinique, sans chercher à comprendre les raisons de cette aggravation. L’association des morphinique à la corticothérapie avait vraisemblablement, masqué le développement de la maladie fistulisante, elle-même favorisée par la sténose iléale fibreuse.
- La relation chronologique entre la rapidité de l’aggravation du 22 septembre et la coloscopie permet de supposer que ce geste avait pu avoir une part de responsabilité, l’insufflation et/ou les manœuvres endoscopique ayant dû aggraver des lésions fistulisantes. Il aurait fallu la faire précéder d’un scanner abdominal, ce qui aurait conduit à ne pas réaliser cette coloscopie mais à envisager un traitement chirurgical
- Les médecins de l’hôpital ont été confrontés à une situation clinique dramatique où, d’emblée, le pronostic vital du patient était engagé. Ils l’ont pris en charge du mieux possible et l’issue fatale n’est, en aucune façon, la conséquence de leur action (…) »

Les experts concluaient en estimant que la perte de chance d’éviter le décès était pour 70 %, le fait des médecins, dans le partage de 70 % pour le gastro-entérologue (soit 49 % =70 %x 70 %) et de 30 % pour le dernier médecin généraliste (soit 21 %= 70 %x 30 %).
 Les 30 % restants de la perte de chance d’éviter le décès étaient, de l’avis des experts, la conséquence de la désinvolture médicale du patient, telle qu’elle ressortait de l’observation.

Avis de la CRCI (mars 2014)

La CRCI reprenait l’ensemble de l’argumentation développée par les experts.
Elle décidait que la réparation des préjudices incombait au gastro-entérologue pour une part de 50 % et au (dernier) médecin généraliste pour une part de 20 %.

Références

  1. http://www.has-sante.fr/portail/upload/docs/application/pdf/2008-06/guide_medecin_crohn_web.pdf 
  2. Maladie de Crohn Vidal-Recommandations en pratique 2012, pp 442- 451 
  3. http://www.has-sante.fr/portail/upload/docs/application/pdf/2008-12/guide_patient_mcrohn_ald24_1_dec.pdf