Dosage de troponine et retard diagnostique d'infarctus myocardique

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Dosage de troponine et retard diagnostique d'infarctus myocardique - Cas clinique

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Quand les fêtes approchent : de pertes de temps en pertes de temps...

  • Médecin
Auteur : La Prévention Médicale / MAJ : 17/06/2020

Cas clinique

  • Le 16 décembre, un homme de 51 ans fait un malaise transitoire sur son lieu de travail à la suite de l’annonce téléphonique d’une mauvaise nouvelle (problème médical d’un membre de sa famille) : violente douleur précordiale antérieure en pointe suivie d’un malaise qui cèdent spontanément. Il téléphone à son épouse et hésite à appeler les services d’urgence.
  • Le 20 décembre, il consulte son médecin traitant. Dans la nuit du 19 au 20 décembre, il s’est plaint d’une sensation d’oppression thoracique pour laquelle il consulte le matin. L’examen clinique de ce patient tabagique (2 paquets par jour), sans autre facteur de risque connu, pesant 84 kgs pour 1,74 m est normal. En janvier il avait consulté un cardiologue pour des précordialgies. Une épreuve d’effort maximale était négative. Le médecin demande à son patient de prendre un avis cardiologique et lui prescrit un bilan complet comportant notamment le dosage de la troponine. Il rédige un courrier pour le cardiologue « je t’adresse Mr X qui présente des douleurs thoraciques. Qu’en penses tu ? » et rajoute à l’ordonnance habituelle d’antiacides, de la spasmine et de la « trinitrine si douleur ».
  • Le dosage de troponine réalisé le lendemain 21 décembre est normal selon la référence du laboratoire (0,2 ng par ml pour une valeur de référence indiquée inférieure à 5). Les CPK et CPK MB ne sont pas demandées. Les transaminases et gamma gt, la créatinine, la kaliémie et la VS sont normales et la numération met en évidence une polynucléose à 12 190 /mm3 avec 68% de polynucléaires. Le bilan lipidique est modérément perturbé. Le résultat n’est pas communiqué au médecin.
  • Cet artisan maçon continue à travailler normalement. Dans la nuit du 23 au 24 décembre à 2h du matin il est réveillé par une nouvelle douleur thoracique précordiale plus intense irradiant dans le dos et les deux bras, l’empêchant de dormir non calmée par la trinitrine. La trinitrine est sans effet. La douleur était plus importante que celles du 16 et 20 décembre. Le matin à 6h sa femme le trouve debout, lui propose d’appeler les pompiers ou son médecin. Il préfère attendre une visite à domicile de son médecin traitant
  • Le 24 décembre, lors de la consultation à domicile dans la matinée, la douleur a disparu ; le médecin prend connaissance du dosage de troponine par téléphone au laboratoire (le patient n’est pas allé le retirer ; il est normal selon les valeurs de références indiquées par le laboratoire), et note « douleurs dorsales nocturnes avec paresthésies membre supérieur droit nitro résistantes calmées par le paracétamol, douleurs provoquées à la palpation du rachis dorsal ». Le médecin insiste pour qu’un avis cardiologique soit pris et prescrit une radiographie pulmonaire et un décontracturant musculaire.
  • Le patient fait dans la soirée du 25 décembre un arrêt cardiorespiratoire précédé d’une douleur thoracique brutale, l’activité cardiaque est restaurée par un choc électrique mais il décède dès l’entrée en réanimation. Le diagnostic évoqué est celui d’un infarctus myocardique compliqué d’un trouble du rythme ventriculaire et annoncé par des crises d’angor.

De nombreux tests sont disponibles pour le dosage de la troponine avec des valeurs usuelles souvent différentes.
Le laboratoire d’analyses utilise le test VIDAS pour le dosage de la troponine.
En l’occurrence, la transcription de la valeur de référence est erronée, la valeur usuelle aurait du être notée à 0,1 ng/ml (avec une valeur décisionnelle de diagnostic d’IDM à 0,8ng/ml).
Le laboratoire a modifié postérieurement aux faits la valeur usuelle et l’a portée à 0,16 ng/ml et a reconnu son erreur sans que l’on n’ait d’explication précise sur la raison de cette erreur.

Jugement

Expertise

En tout état de cause la valeur normale de la troponine a pu induire en erreur le médecin mais une valeur négative de troponine ne dispensait en rien d’un contrôle (six heures plus
tard) qui aurait du avoir lieu dans le cas de douleurs répétées (il faut d’ailleurs remarquer que ce dosage a été fait dans un délai supérieur de 24 h par rapport à la douleur initiale). Le
dosage de la troponine n’est pas l’élément diagnostique principal pour diagnostiquer un infarctus mais est utilisé comme un élément adjuvant dans les cas douteux. Il est nécessaire
en cas de négativité de le répéter dans les six heures. La pratique de ce test n’est justifiée qu’en cas de réponse rapide, le médecin devant en connaître le résultat 1 à 2 heures après
sa prescription.

Le médecin ignorait à quel laboratoire s’était adressé le patient mais le laboratoire aurait pu communiquer le résultat au médecin ou du au moins le patient aurait pu le communiquer au
médecin sur sa demande.
On ne peut pas reprocher à un médecin de ne pas connaître la valeur normale de ce test.

Les experts notent la discordance entre la description des douleurs faite a posteriori par l’épouse et celle notée sur le dossier médical : « La clinique est parfois trompeuse ce qui explique que le diagnostic de syndrome coronarien soit étayé par une composante électrique »

Cet avis avec la pratique d’un ECG aurait pu diagnostiquer le 20 et surtout le 24 décembre un problème coronarien aigu ce d’autant plus que cet homme présentait comme facteur de risque un tabagisme actif. Il est vrai qu’il existe des syndromes coronariens aigus avec normalisation de l’ECG post critique mais cette possibilité n’est pas un argument pour atténuer l’importance de l’absence d’ECG après chaque douleur. Le diagnostic a été évoqué par le médecin qui a proposé un avis cardiologique et prescrit de la trinitrine mais sans aller jusqu’au bout de son raisonnement c'est-à-dire sans chercher à récupérer les résultats de la troponine, sans faire un ECG ou hospitaliser le patient dans la matinée du 24 décembre. Ce n’est pas l’erreur de transcription de la valeur de troponine qui est la cause de la méconnaissance de la gravité de l’état de santé de ce patient mais l’absence de bilan cardiologique qu’aurait du faire réaliser le médecin de façon plus insistante le 20 et surtout le 24, que la prudence demandait.

Jugement

Les magistrats considérant que les symptômes présentés nécessitaient un ECG immédiat voire une hospitalisation ont estimé que le praticien a commis une faute.

Le rapport d’expertise note qu’en cas d’hospitalisation le 24 le risque d’une complication mortelle aurait été fortement réduit, la perte de chance de survie étant estimée par les
magistrats à 80%.
Même si le taux de troponine n’est qu’un élément secondaire de diagnostic d’un accident coronarien aigu, il n’en demeure pas moins que l’erreur dans la transcription des valeurs de
référence a joué un rôle causal dans la survenue du dommage. Il y a lieu de condamner in solidum le laboratoire et le praticien ; en raison du caractère accessoire de l’analyse dans
l’évaluation de la situation par le généraliste, la répartition de responsabilité se fera à hauteur de 80% pour le généraliste et de 20% pour le laboratoire.

Préjudice économique évalué à 291 000€, préjudice moral de la veuve à 25 000€, préjudice moral des 2 enfants 25 000€ (avant application du taux de 80%).

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