Une femme âgée de 50 ans, hypertendue, diabétique, en surpoids, ayant une BPCO post tabagique, est suivie par son médecin traitant, environ une fois tous les 3 mois, depuis une dizaine d’années...
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EXPERTISE
Lors de l’expertise dans le cadre d’une mission CCI, la patiente affirmera que le neurologue lui aurait dit « de voir son généraliste pour ses crampes » : celles-ci survenaient même au repos et faisaient « comme un nœud et l’obligeaient à se déchausser et à se masser la jambe ». Elles n’évoquent pas une claudication intermittente typique. Il est difficile de dater l’évolution de cette maladie. Le cardiologue lui aurait dit « qu’elle était à peu près correcte mais qu’il fallait surveiller « le doppler » une fois par an, ce que son généraliste n’a pas fait ». Il n’y a aucune preuve qu’un doppler autre que cervical ait été pratiqué (y compris à la demande du cardiologue). A cette époque, elle déclare que son pied était chaud, contrairement aux faits récents où dès la première visite, il était, selon elle glacé. « Lors de la première visite, je lui ai dit, mais il n’a pas voulu me toucher le pied. Sur le dessus du pied, j’avais comme l’os qui me coinçait la veine et quand je marchais j’arrivais à mieux faire circuler mon sang ». Il n’y aurait pas eu de nouvel examen clinique lors de la deuxième consultation. Lorsque la remplaçante est venue « elle m’a parlé d’artérite et m’a dit de me dépêcher sinon on allait me couper ma jambe. Je me suis dit qu’elle était complétement folle, elle ne me connaissait pas et si j’avais eu quelque chose comme ça, mon médecin s’en serait aperçu ».
Les experts, cardiologue et spécialiste de médecine vasculaire, considèrent qu’il existe un retard diagnostique de cette artériopathie du membre inférieur gauche évoluant sur un mode subaigu ayant diminué les chances de la patiente d’avoir une guérison ou une stabilisation des lésions avec le moins de séquelles possibles. Une ischémie sub aiguë devait être suspectée lors de la première visite du 31 juillet et la consultation ultérieure n’a pas corrigé le diagnostic; celui-ci a été corrigé trois semaines plus tard mais le doppler artériel ne sera fait qu’une semaine après. Il existe incontestablement un retard à la prise en charge de la pathologie.
La patiente avait plusieurs facteurs de risques responsables et aggravants d’une artériopathie : le diabète semblait « à peu près équilibré », (Note : les résultats de la glycémie à jeûn bi annuelle sont en permanence pathologiques depuis 2006 avec des chiffres à jeûn oscillants entre 7,50 mmol/l et 9,8 mmol/l mais l’hémoglobine A1C inférieure à 7% en 2008/2009) ; il ne semble pas exister d’anomalie lipidique, la tension artérielle semblait bien contrôlée (chiffres ?), il existait une surcharge pondérale et une intoxication tabagique importante.
L’état artériel de la patiente, avant les faits, n’est pas connu car elle n’a jamais eu de doppler des membres inférieurs dans le cadre de la surveillance de son diabète associé à un tabagisme notable. Le doppler met en évidence d’emblée des lésions distales peu accessibles à une chirurgie satisfaisante mais antérieurement une chirurgie efficace aurait-elle été possible ?
Une perte de chance de 30 % semble être retenue par l’expert.
JUGEMENT (2010)
Une procédure ordinale est rejetée en l’absence de problème déontologique dans cette affaire.
La commission CRCI considère que les facteurs de risques ne pouvaient être ignorés du médecin traitant qui la voyait environ tous les trois mois.
Il semble avoir penché pour une explication d’ordre rhumatologique; cependant l’existence des antécédents, la considération du risque vasculaire qu’ils induisaient auraient dû le conduire à faire pratiquer une exploration dans ce sens. « Pour l’expert, la première visite du 31 juillet est fortement suspecte d’un problème d’ischémie sub aiguë » ; la persistance des douleurs, à plus forte raison aurait dû inciter à envisager une autre explication d’autant qu’il n’y avait jamais eu de doppler dans l’histoire médicale de cette patiente.
Quant à l’ampleur de la perte de chance induite par ce retard diagnostique, l’expert se montre « nuancé et prudent », «voire peu cohérent » ce qui traduit une difficulté manifeste à être affirmatif à cet égard (évoquant alternativement 30%, 40% puis 60%). Il apparaît certain que cette affection était manifestement plus ancienne, ayant évolué de façon chronique mais discrète jusqu’aux circonstances précitées. La part imputable à l’état antérieur est donc importante.
Les lésions distales étaient peu accessibles à une chirurgie satisfaisante, ce qui réduisait les chances d’éviter l’évolution défavorable ; pour autant cette dernière ne peut être tenue pour avoir été fatale et inévitable. Il ne peut être exclu que lors des dernières consultations, une évolution finale plus favorable eût encore été possible si la victime avait bénéficié d’une prise en charge adéquate plus tôt, car avec ce type d’affection, tout temps gagné ne pouvait qu’accroitre les chances d’enrayer l’évolution la plus défavorable, si minimes soient-elles.
A côté du retard de diagnostic imputable au médecin traitant, il s’écoule également du temps supplémentaire pour la réalisation du doppler et pour la prise en charge chirurgicale. Si ces délais ne peuvent être tenus pour fautifs, ils ont pu jouer un rôle également un rôle dans cette diminution de chance pour la victime. Si une évaluation fine en est impossible, c’est une donnée qui ne peut être ignorée dans l’appréciation globale.
Finalement, la CCI estime que la part du dommage imputable au généraliste est de 30 % (indemnisation du préjudice avec une heure par jour de tierce personne et un préjudice économique par ricochet vis-à-vis de l’époux).
Chaque année, plusieurs plaintes concernant la méconnaissance d’une ischémie artérielle aiguë ou subaiguë, quel qu’en soit le contexte, embolique (fibrillation auriculaire, foramen ovale..) ou due à l’évolution d’une artériopathie chronique volontiers méconnue alors qu’existait à tout âge au moins un facteur de risque (tabac). Il est rare que la traçabilité du dossier mette en évidence la recherche d’une claudication intermittente, l’aspect des téguments et leur température voire la palpation des pouls périphériques : la présence de ceux-ci (parfois a posteriori douteuse) fait également éliminer un peu trop vite ce diagnostic alors qu’une authentique artérite jusque-là silencieuse fait plus ou moins bruyamment parler d’elle (cas des diabétiques notamment). En visite à domicile, le problème est encore plus crucial quand aucun dossier n’a été rempli. Le diagnostic le plus fréquemment évoqué est d’ordre rhumatologique (sciatique atypique, crampes musculaires..) et non remis en cause lors de (fréquentes) consultations ultérieures dans un délai plus ou moins bref. Dans d’autres dossiers où le diagnostic a dûment été évoqué, il peut être reproché l’absence de prise en compte de l’urgence, le patient étant livré à lui-même pour obtenir un rendez-vous de doppler ou d’avis, hospitalisé tardivement, voire transféré sans mention particulière destinée à l’urgentiste dans un centre qui ne dispose pas de chirurgien vasculaire alors que l’ischémie est menaçante.
Le médecin généraliste, pilier de la prise en charge globale des maladies chroniques et des facteurs de risque, se voit de plus en plus souvent reprocher de ne pas avoir accordé suffisamment d’attention au respect des « cibles thérapeutiques » recommandées (hypertension, diabète, lipides…) et de ne pas avoir suffisamment attiré l’attention de leurs patients sur les risques encourus par une mauvaise observance. Il n’est pas rare que médecin et patient soient rassurés par un ou des avis de spécialistes, comme dans le cas de cette observation, alors que manque au suivi de cette diabétique, en surpoids tabagique et hypertendue, un examen des artères périphériques et un doppler artériel lors du suivi de ce diabète plus ou moins bien équilibré. Le diagnostic clinique en était difficile compte tenu de l’œdème, de la très vraisemblable neuropathie sous-jacente, de l’unilatéralité des atteintes vasculaires et en l’absence de troubles trophiques évocateurs d’un pied diabétique qui est bien souvent le signe d’alerte tardif conduisant au bilan vasculaire périphérique.
Il ne faut pas pour autant méconnaitre les difficultés d’exercice de la médecine générale, notamment en visite à domicile, où les conditions d’examen, les difficultés socioéconomiques des patients pèsent également dans la prise en charge, a fortiori si les patients ne sont pas compliants aux recommandations.
« L’objectif glycémique doit être individualisé en fonction du profil des patients et peut donc évoluer au cours du temps. Pour la plupart des patients diabétiques de type 2, une cible d’HbA1c inférieure ou égale à 7 % est recommandée. Le traitement médicamenteux doit être instauré ou réévalué si l’HbA1c est supérieure à 7 %... ».
Dans le chapitre « Examens complémentaires »
- Actes techniques
- Photographies du fond d’œil, avec ou sans dilatation pupillaire, ou ophtalmoscopie indirecte à la lampe à fente avec dilatation pupillaire (cf. Complications oculaires), systématique.
-ECG de repos annuel, systématique.
-Bilan cardiologique approfondi pour dépister l’ischémie myocardique asymptomatique chez le sujet à risque cardio-vasculaire élevé.
-Échographie Doppler des membres inférieurs avec mesure de l’index de pression systolique (IPS) pour dépister l’artériopathie des membres inférieurs : chez les patients âgés de plus de 40 ans ou ayant un diabète évoluant depuis 20 ans, à répéter tous les 5 ans, ou moins dans le cas de facteurs de risques associés.
- Suivi biologique
-HbA1c, suivi systématique, 4 fois par an.
-Glycémie veineuse à jeûn (contrôle de l’autosurveillance glycémique, chez les patients concernés), 1 fois par an.
-Bilan lipidique (CT, HDL-C TG, calcul du LDL-C), 1 fois par an.
-Microalbuminurie, 1 fois par an.
-Créatininémie à jeun, 1 fois par an.
-Calcul de la clairance de la créatinine (formule de Cockroft), 1 fois par an.
-TSH, en présence de signes cliniques.