Une évolution de lombosciatique en syndrome de la queue de cheval : l’existence de troubles sphinctériens, pour peu qu’ils aient été repérés à l’interrogatoire de patients qui sont avant tout centrés - comme les médecins - sur l’antalgie de leur douleur aiguë, est un signe d’alarme qui doit faire réagir en grande urgence.
Le patient récupèrera une sensibilité et la motricité d’un membre mais garde des séquelles sphinctériennes majeures (auto sondages urinaires, exonération manuelle des selles, impuissance et anérection), des séquelles motrices à type de paraplégie incomplète avec un impact évident professionnel et regrette « de ne plus pouvoir avoir de deuxième enfant ». Il pourra ultérieurement se déplacer seul en voiture avec un véhicule automatique et souffre de douleurs neuropathiques.
Le patient reproche au médecin du centre 15 d’avoir négligé l’urgence et au médecin de garde de ne pas l’avoir bien examiné et porte sa réclamation devant la CCI.
L’expert estime indispensable d’entendre le médecin contacté au téléphone.
EXPERTISE (2011)
L’expert neurochirurgien, missionné par la CCI, a donc entendu les 3 médecins ou leurs représentants et auditionné le fragment de bande du centre d’urgences.
Ses conclusions sont claires :
Le médecin contacté au centre d’urgence aurait dû conseiller l’hospitalisation du fait de « l’insensibilité du bassin » et évoquer un syndrome de la queue de cheval.
Le médecin de garde n’a pas mesuré la gravité de l’état du patient en l’absence de recherche de troubles moteurs ou sensitifs et n’a pas pris les mesures nécessaires.
Le médecin contacté par téléphone en présence de troubles sphinctériens au lieu de faxer une ordonnance d’IRM en urgence et d’antalgiques pour dix jours aurait mieux fait d’inviter le patient à se rendre aux urgences les plus proches.
Si ce patient avait été hospitalisé le mercredi soir, et avait été opéré d’emblée, il avait environ 50% de chance, dans l’expérience de l’expert, de récupérer des troubles sphinctériens qui s’étaient déjà installés. Certes le seul service de neurochirurgie lorsqu’il était en vacances était à 1h30 de son domicile mais il aurait pu être opéré le soir.
La responsabilité des médecins (ou de leur établissement) est engagée à part égale pour 1/3 chacun.
La consolidation n’étant pas acquise, un nouvel examen pour fixer les séquelles est à prévoir.
AVIS CCI (2012)
La CCI (2012) entérine les conclusions de l’expert et répartit la responsabilité des séquelles entre les 3 praticiens au titre d’une perte de chance de récupérer de 50%.
Une offre provisionnelle doit être adressée au patient.
Ce dossier illustre comme tant d’autres, certes rares, eu égard à la fréquence des lombosciatiques, que l’éventualité d’un syndrome de la queue de cheval et de ses symptômes prémonitoires, connus des médecins n’est jamais connue des patients qui sont de plus en plus des acteurs conscients de leur santé. C’est un reproche, en cas de procédure, qui est quasiment systématiquement formulé.
Les hernies sur canal étroit sont encore plus rapidement « parlantes » que d’autres dans l’éventualité d’une hernie exclue.
En cas de hernie qui s’exclut brutalement, il ne faut pas s’attendre à avoir un « Lasègue » serré… et donc ne pas se rassurer sur ce point. La concordance de douleur qui augmente brutalement ou paradoxalement s’atténue curieusement, jointe à la moindre menace sphinctérienne doit déclencher une lutte « contre la montre ».
On ne répétera jamais assez que l’existence de troubles sphinctériens, pour peu qu’ils aient été repérés à l’interrogatoire de patients qui sont avant tout centrés - comme les médecins - sur l’antalgie de leur douleur aiguë, est un signe d’alarme qui doit faire réagir en grande urgence. Le délai de prise en charge en établissement, en comptant le temps de transport vers le service « ad hoc », le délai d’examen par l’urgentiste et celui de la réalisation d’imagerie … est déjà important. Or le délai de récupération d’un syndrome de la queue de cheval installé ou en voie d’installation se compte en HEURES (six, huit ou plus car c’est variable selon les cas et les patients) mais dans tous les cas la suspicion de syndrome de la queue de cheval doit déclencher une décision immédiate d’hospitalisation (si possible ciblée dans un centre de chirurgie du rachis disposant de radiologie, IRM, scanner) après avoir eu un contact personnel - dans l’idéal - avec le service d’accueil des urgences pour éviter la perte de temps.
Il y a finalement peu d’urgences neurologiques dans le système nerveux « périphérique » : en dehors de la suspicion de compression médullaire, le syndrome de la queue de cheval en est une, tout aussi réelle.
En dehors du fait que toute sciatique doit comporter au minimum un interrogatoire sur l’existence de troubles sphinctériens, souvent non signalés spontanément, l’examen doit comporter systématiquement et encore plus au moindre doute, un examen de la sensibilité périnéale : cela prend peu de temps, peut se faire avec n’importe quelle « pointe mousse » mais il faut se pencher sur la région périnéale, après avoir averti le patient de la raison de cette recherche, en testant les fesses, la région anale et le périnée : c’est « rentable ».
Sur le plan médico-légal, c’est toujours difficile, a posteriori, de savoir réellement ce dont le patient se plaignait à un moment donné, ce qu’il a exprimé au(x) médecin(s) consulté(s) car a posteriori l’histoire de chacun s’intègre dans un « vécu » parfaitement lisible mais avec des horaires variables…
Le « plus », en cas de procédure, est d’avoir noté ces recherches diligentes d’interrogatoire ou d’examen, que l’on soit le médecin « traitant » au cabinet ou médecin « d’urgence » ou même le médecin au téléphone considéré comme le médecin « traitant » qui a à sa disposition les antécédents a fortiori si récents.
Des mois ou des années après les faits, cela vous aidera à vous souvenir que votre attitude était « conforme» tout en regrettant comme tout médecin l’évolution défavorable et imprévisible d’une sciatique.
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