Evolution dramatique d'une sciatique

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Evolution dramatique d'une sciatique - Cas clinique

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Une évolution de lombosciatique en syndrome de la queue de cheval : l’existence de troubles sphinctériens, pour peu qu’ils aient été repérés à l’interrogatoire de patients qui sont avant tout centrés - comme les médecins - sur l’antalgie de leur douleur aiguë, est un signe d’alarme qui doit faire réagir en grande urgence.

  • Médecin
Auteur : Catherine Letouzey / MAJ : 17/06/2020

Cas clinique

  • Mercredi début d’après-midi : ce patient âgé de 45 ans, en vacances à la campagne à 200 km de son domicile, décide de prendre un bain chaud pour soulager des lombalgies en cours de traitement médicamenteux depuis une semaine. En voulant fermer les robinets de la baignoire, il se « courbe », ressent une douleur intense et brutale, instantanée dans le bas du dos. Il constate que ses membres inférieurs sont insensibles dira-t-il ensuite. Il s’extirpe tant bien que mal de son bain, parvient avec difficulté à atteindre son portable et téléphone à sa femme puis au centre d’urgences.  
  • Mercredi 15h00 : une permanencière du 15 répond à son appel : d’après ses déclarations a posteriori, il lui aurait expliqué être soigné pour une hernie discale, avoir eu une lombalgie intense avec perte de la sensibilité des jambes, des fesses et des parties génitales. La conversation avec la permanencière, seule enregistrée, confirme que cet homme s’est exprimé clairement mais très calmement et posément sans manifester a posteriori d’inquiétude particulière et qu’il a fait mention, outre ses antécédents de hernie, de sa lombalgie aiguë dans son bain, et d’une « insensibilité du bas du dos ». Il n’y pas d’autre signe décrit. Elle lui a demandé ses cordonnées, sans plus de question puis lui a passé le médecin sur son portable.  
  • Mercredi 15h10 : le médecin de permanence du 15 auquel il aurait de nouveau exposé son tableau clinique, le rassure : il lui aurait dit qu’il était bien pris en charge, qu’il avait un traitement classique de hernie discale, et lui aurait conseillé de s’allonger en lui disant que sa sensibilité « allait revenir ». Il aurait accepté, face à l’insistance de son interlocuteur, d’être rappelé le lendemain si la situation ne s’améliorait pas.  
  • Mercredi 15h30 : l’épouse du patient, inquiète lors de son retour, décide d’appeler le généraliste de garde, qu’ils ne connaissent pas, après avoir vainement tenté de joindre le médecin qui connaissait son mari pour ses lombalgies et qui ne travaille pas ce jour-là à son cabinet : elle lui laisse un message sur la plate-forme téléphonique de son cabinet en demandant un rappel urgent.  
  • Mercredi 17h00 : le patient affirme que ce médecin l’a rappelé dans la journée, « avec beaucoup de retard » (en fait possiblement vers 17h00), « la plate -forme ayant fait barrage pour donner ses cordonnées en direct ». Le médecin (qui n’est pas stricto sensu son médecin traitant) ne se souvient pas de cet échange téléphonique ce jour-là. Il connaît effectivement bien ce patient qu’il avait traité trois ans auparavant par médecine manuelle avec succès pour un premier épisode assez sévère de lombalgies (il ne pouvait pas marcher plus de 25 mètres) après l’échec d’un traitement médical bien conduit et d’une infiltration. Un scanner demandé, à l’époque, par le médecin traitant «pour une lombosciatique plutôt S1 avec une note claudicante » avait montré « une hernie discale L5-S1 en partie calcifiée, comprimant le nerf S1 dans un canal rétréci ce qui explique parfaitement la claudication articulaire ». Le compte rendu précisait : « le rétrécissement du canal est dû à un arc postérieur épais avec des récessus latéraux profonds et marqués ». La récidive des lombalgies, trois mois puis six jours avant l’épisode qui nous concerne, avait fait l’objet de deux nouvelles consultations avec prescription d’anti-inflammatoires et de « manipulations » entrainant une amélioration. Il est noté dans le dossier médical que le patient était alors licencié, en deuil d’une parente proche et avait fait état de problèmes médicaux sérieux pour un autre parent.  
  • Lors de l’entretien téléphonique, d’après le patient, ce médecin lui aurait d’emblée conseillé de faire une IRM en urgence et précisé, que le radiologue étant médecin, il pouvait se passer d’ordonnance.  
  • Mercredi 17h30 : sa femme aurait tenté d’obtenir un rendez-vous dans la région, ce qui était impossible, et décide de contacter un cabinet de la grande ville où ils habitent habituellement, dans un établissement privé disposant d’une IRM. Le patient n’a pas pensé joindre son « médecin traitant » qui le suivait pour d’autres pathologies, n’ayant pas pensé « dans sa souffrance et sa désorientation, faire appel à lui, alors que c’est un très bon médecin ».  
  • Mercredi 18h00 : le généraliste local de garde (qui avait rappelé à 17h00) arrive vers 18h00. Il n’a pas tenu de dossier et n’a aucun souvenir de cette consultation : il ne se souvient pas de troubles sphinctériens, d’un éventuel examen de la sensibilité. Il propose un traitement antalgique à base de codéine. Son diagnostic était, dira-t-il, des lombalgies aiguës récidivantes. Le patient expose que lors de son « auscultation sommaire », il lui a demandé de « plier la jambe » ce qu’il ne pouvait pas faire et qu’il n’aurait pas attaché de l’importance à ses troubles sensitifs.  
  • Nuit de mercredi à jeudi : dans la nuit, le patient se réveille trempé car il a perdu ses urines et arrive à uriner en poussant. Il déclarera avoir répété l’effort de vider sa vessie plusieurs fois dans la nuit.  
  • Jeudi fin de matinée : « son» médecin (traitant) contacté la veille rappelle au téléphone en fin de matinée et, informé de ces déboires nocturnes, lui aurait expliqué « que la hernie pouvait poser des problèmes sphinctériens ».  
  • Jeudi fin de matinée : le médecin traitant prend soin de se renseigner sur la pharmacie la plus proche (le patient est en vacances loin de son domicile) et ce jour-là, l’épouse récupère une ordonnance (datée du jour) d’IRM du rachis lombosacré en urgence (avec comme motif « bilan de lombosciatique avec troubles sphinctériens ») et une prescription de Forlax, Moscontin, Biprofénid et Mopral pour dix jours. Le médecin note dans son dossier, parfaitement tenu, l'appel de l’épouse, la douleur avec troubles sphinctériens, la mention d’un rendez-vous obtenu pour l’IRM (avec envoi d’une ordonnance) et le fait que le patient souhaitait rentrer « n’ayant pas confiance dans les médecins locaux ». Il mentionne que le patient allait transitoirement mieux mais qu’il « a un peu jardiné » et que l’ordonnance de médicaments antalgiques est envoyée « pour le trajet éventuel en voiture ». Il dira que dans l’attente du résultat de l’IRM, qui devait seule décider de la conduite à tenir, son « réflexe » normal était de soulager ce patient « démuni de soins ». C’est le seul contact noté dans son dossier (mais il était absent de son cabinet la veille). D’après le patient et sa femme, il n’a donné aucune information sur l’extrême gravité de la situation, n’a pas prononcé le terme de « syndrome de la queue de cheval » et aurait confirmé que le rendez-vous d’IRM obtenu avec difficulté le vendredi soir était fixé dans un délai acceptable. Le médecin dira ultérieurement qu’il n’a pas cautionné la date du rendez-vous d’IRM et affirme que le patient aurait pu être reçu dans n’importe quel hôpital sans courrier. Il déclarera que pour lui c’était une urgence mais qu’il a faxé l’ordonnance « par réflexe » « pour le soulager ».  
  • Jeudi soir : le patient rentre à son domicile allongé dans sa voiture. Il téléphone à un ami dentiste pour annuler un rendez-vous prévu la semaine suivante. Celui-ci, ne cachant pas son inquiétude, lui conseille d’aller aux urgences. Le patient estimant que les médecins vus ou contactés sur place ne lui avaient pas parlé d’urgence, « n’a pas trop insisté » ce d’autant « que son épuisement ne l’incitait pas à repartir pour un parcours du combattant de 8 heures dans un hôpital, ce qu’il avait vécu de nombreuses fois avec une parente avant son décès ». Il se couche très tôt, épuisé et se réveille plusieurs fois dans la nuit du fait de ses difficultés à uriner.  
  • Vendredi matin, vers 8h00 : son dentiste le rappelle pour prendre de ses nouvelles. Très inquiet après son appel de la veille, il lui aurait déclaré « avoir passé une mauvaise nuit de ce fait» et lui aurait exposé clairement qu’il s’agissait pour lui d’un « syndrome de la queue de cheval », « une urgence vitale neurologique » et qu’il fallait qu’il soit rapidement pris en charge par un chirurgien du rachis. Il lui aurait précisé « qu’il n’était que dentiste » mais que ces symptômes faisaient partie de toute formation de base en médecine générale. Il lui donne les cordonnées d’un chirurgien orthopédiste. Le patient réussit à joindre ce chirurgien sur son portable dont le numéro lui a été donné par le secrétariat et lui expose ce qu’a dit son dentiste, avis contraire aux médecins « qui n’auraient rien détecté ». Le chirurgien étonné de ces discordances, lui demande de venir immédiatement dans son établissement vers 10h00, lui déclarant d’emblée « si c’est vrai, je vous opère aussitôt ».  
  • Vendredi matin, 10h00 : un scanner est fait en urgence (l’IRM n’étant pas disponible dans les délais). Après avoir « bousculé » son programme de consultations de la journée et trouvé un créneau disponible au bloc avec la complicité d’un confrère, le chirurgien l’opère en début d’après-midi d’une volumineuse hernie exclue, compressive.

Le patient récupèrera une sensibilité et la motricité d’un membre mais garde des séquelles sphinctériennes majeures (auto sondages urinaires, exonération manuelle des selles, impuissance et anérection), des séquelles motrices à type de paraplégie incomplète avec un impact évident professionnel et regrette « de ne plus pouvoir avoir de deuxième enfant ». Il pourra ultérieurement se déplacer seul en voiture avec un véhicule automatique et souffre de douleurs neuropathiques.

Le patient reproche au médecin du centre 15 d’avoir négligé l’urgence et au médecin de garde de ne pas l’avoir bien examiné et porte sa réclamation devant la CCI.

Jugement

JUGEMENT

L’expert estime indispensable d’entendre le médecin contacté au téléphone.

  • Tout en estimant que les soins de ce médecin avaient été pertinents par le passé et qu’il avait été assez disponible au téléphone, le patient lui reproche de ne pas l’avoir orienté vers une hospitalisation immédiate et de pas l’avoir informé de la gravité potentielle de son état. Il lui faisait confiance mais s’interroge a posteriori sur la pertinence du traitement antérieur consistant en des manipulations et lui reproche l’absence d’avis spécialisé, face à ces conséquences neurologiques graves « dont il n’avait pas idée, n’étant pas médecin ». Il lui reproche aussi « une plate-forme téléphonique par renvoi d’appel totalement inadaptée à la prise en compte de réelles urgences, le médecin relevant les messages deux fois par jour auprès de « personnes ». Il aurait été souhaitable que le médecin lui communique son numéro privé comme l’a fait son médecin traitant lors de sa dernière visite (après les faits).
  • Le patient reconnait que les médecins ont tenté de « gérer la souffrance » mais « pas celle de l’urgence de traiter le mal ». Il leur reproche à tous de ne pas l’avoir informé quant aux risques.
  • Il remercie son dentiste clairvoyant, puis la clinique et l’équipe opératoire qui se sont  mobilisées avec diligence et ont libéré la salle d’opération au détriment de patients programmés.
  • Il demande une juste indemnisation de cette erreur diagnostique et de prise en charge.

 

EXPERTISE (2011)

L’expert neurochirurgien, missionné par la CCI, a donc entendu les 3 médecins ou leurs représentants et auditionné le fragment de bande du centre d’urgences.

Ses conclusions sont claires :

Le médecin contacté au centre d’urgence aurait dû conseiller l’hospitalisation du fait de « l’insensibilité du bassin » et évoquer un syndrome de la queue de cheval.

Le médecin de garde n’a pas mesuré la gravité de l’état du patient en l’absence de recherche de troubles moteurs ou sensitifs et n’a pas pris les mesures nécessaires.

Le médecin contacté par téléphone en présence de troubles sphinctériens au lieu de faxer une ordonnance d’IRM en urgence et d’antalgiques pour dix jours aurait mieux fait d’inviter le patient à se rendre aux urgences les plus proches.

Si ce patient avait été hospitalisé le mercredi soir, et avait été opéré d’emblée, il avait environ 50% de chance, dans l’expérience de l’expert, de récupérer des troubles sphinctériens qui s’étaient déjà installés. Certes le seul service de neurochirurgie lorsqu’il était en vacances était à 1h30 de son domicile mais il aurait pu être opéré le soir.

La responsabilité des médecins (ou de leur établissement) est engagée à part égale pour 1/3 chacun.

La consolidation n’étant pas acquise, un nouvel examen pour fixer les séquelles est à prévoir.

 

AVIS CCI (2012)

La CCI (2012) entérine les conclusions de l’expert et répartit la responsabilité des séquelles entre les 3 praticiens au titre d’une perte de chance de récupérer de 50%.

Une offre provisionnelle doit être adressée au patient.

Commentaires

Ce dossier illustre comme tant d’autres, certes rares, eu égard à la fréquence des lombosciatiques, que l’éventualité d’un syndrome de la queue de cheval et de ses symptômes prémonitoires, connus des médecins n’est jamais connue des patients qui sont de plus en plus des acteurs conscients de leur santé. C’est un reproche, en cas de procédure, qui est quasiment systématiquement formulé.
Les hernies sur canal étroit sont encore plus rapidement « parlantes » que d’autres dans l’éventualité d’une hernie exclue.

En cas de hernie qui s’exclut brutalement, il ne faut pas s’attendre à avoir un « Lasègue » serré… et donc ne pas se rassurer sur ce point. La concordance de douleur qui augmente brutalement ou paradoxalement s’atténue curieusement, jointe à la moindre menace sphinctérienne doit déclencher une lutte « contre la montre ».

On ne répétera jamais assez que l’existence de troubles sphinctériens, pour peu qu’ils aient été repérés à l’interrogatoire de patients qui sont avant tout centrés - comme les médecins - sur l’antalgie de leur douleur aiguë, est un signe d’alarme qui doit faire réagir en grande urgence. Le délai de prise en charge en établissement, en comptant le temps de transport vers le service « ad hoc », le délai d’examen par l’urgentiste et celui de la réalisation d’imagerie … est déjà important. Or le délai de récupération d’un syndrome de la queue de cheval installé ou en voie d’installation se compte en HEURES (six, huit ou plus car c’est variable selon les cas et les patients) mais dans tous les cas la suspicion de syndrome de la queue de cheval doit déclencher une décision immédiate d’hospitalisation (si possible ciblée dans un centre de chirurgie du rachis disposant de radiologie, IRM, scanner) après avoir eu un contact personnel - dans l’idéal - avec le service d’accueil des urgences pour éviter la perte de temps.
Il y a finalement peu d’urgences neurologiques dans le système nerveux « périphérique » : en dehors de la suspicion de compression médullaire, le syndrome de la queue de cheval en est une, tout aussi réelle.

En dehors du fait que toute sciatique doit comporter au minimum un interrogatoire sur l’existence de troubles sphinctériens, souvent non signalés spontanément, l’examen doit comporter systématiquement et encore plus au moindre doute, un examen de la sensibilité périnéale : cela prend peu de temps, peut se faire avec n’importe quelle « pointe mousse » mais il faut se pencher sur la région périnéale, après avoir averti le patient de la raison de cette recherche, en testant les fesses, la région anale et le périnée : c’est « rentable ».
Sur le plan médico-légal, c’est toujours difficile, a posteriori, de savoir réellement ce dont le patient se plaignait à un moment donné, ce qu’il a exprimé au(x) médecin(s) consulté(s) car a posteriori l’histoire de chacun s’intègre dans un « vécu » parfaitement lisible mais avec des horaires variables…

Le « plus », en cas de procédure, est d’avoir noté ces recherches diligentes d’interrogatoire ou d’examen, que l’on soit le médecin « traitant » au cabinet ou médecin « d’urgence » ou même le médecin au téléphone considéré comme le médecin « traitant » qui a à sa disposition les antécédents a fortiori si récents.

Des mois ou des années après les faits, cela vous aidera à vous souvenir que votre attitude était « conforme» tout en regrettant comme tout médecin l’évolution défavorable et imprévisible d’une sciatique.

Analyse

Ce matériel est réservé à un usage privé ou d’enseignement. Il reste la propriété de la Prévention Médicale, et ne peut en aucun cas faire l’objet d’une transaction commerciale.

Bibliographie

  • La responsabilité du médecin régulateur de centre 15 (voir lien ci-dessous)
  • La responsabilité médico–légale des médecins des SAMU et des SMUR. Réanim Urgences ; 9 : 545-9. 
  • Panorama 2006 du risque médical des établissements de santé 2007, 56 p. www.sham.fr
  • HAS : Modalités de prise en charge d’un appel de demande de soins non programmé dans le cadre de la régulation, mars 20111.
  • Amalberti R., Brami J. (2012) Audit des risques liés aux soins au cabinet médical de ville, Springer : Paris, 2012