Conduite inadaptée devant une morsure de chien

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Conduite inadaptée devant une morsure de chien - Cas clinique

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Quand le médecin généraliste tarde à adresser la patiente aux urgences...

  • Médecin
Auteur : La Prévention Médicale / MAJ : 17/06/2020

Cas clinique

  • Une adolescente de 16 ans est victime d’une morsure au niveau de l’index gauche en tentant de séparer son chien de celui de la voisine entré dans le jardin sans son maître avec lequel il se battait. Le (petit) chien qui a mordu appartenait à sa mère et il était en règle pour les vaccinations de la rage.  
  • L’accident a eu lieu vers 21 heures ; la plaie est - selon ses dires - assez hémorragique et fait l’objet d’un pansement.  
  • Le lendemain matin, elle consulte un médecin généraliste à son cabinet. Après avoir examiné la patiente il procède à une désinfection, à un pansement, à une prescription (antibiotiques per os ?) et lui remet un arrêt de travail de trois jours. Il n’y a pas eu de vaccination antitétanique, la patiente se déclarant à jour de cette vaccination.  
  • Au bout de trois jours, le doigt est enflé et très douloureux et elle se présente aux urgences où elle est examinée par un orthopédiste qui décide d’une intervention immédiate pour phlegmon évolué. Il décrit que l’accident initial avait comporté deux plaies, l’une en regard de la face dorso-ulnaire de l’IPP avec effraction articulaire, l’autre sur le versant palmo-radial avec lésion du pédicule vasculonerveux et notamment une section de l’artère collatérale dont témoignait l’hémorragie.  
  • L’évolution est marquée par le développement d’un phlegmon majeur dorsal et palmaire. Lors de la prise en charge, il existait un début de sphacèle palmaire. L’intervention en urgence a consisté en une large mise à plat, une synovectomie articulaire et de l’appareil fléchisseur et extenseur, un lavage articulaire et une neurolyse des pédicules vasculo-nerveux. Lors de l’exploration, on retrouve une section complète avec thrombose étendue d’une collatérale radiale et des lésions de type éraillure du nerf collatéral, n’ayant pas nécessité de réparation microchirurgicale. L’évolution post opératoire était marquée à deux heures d’un spasme de cette artère n’ayant pu être levé par le traitement vasodilatateur.
  • Après deux jours d’antibiothérapie intra veineuse, la patiente regagne son domicile avec une antibiothérapie per os (Augmentin) et un rendez-vous de surveillance 2 jours plus tard.  
  • L’évolution, sous stricte surveillance est défavorable avec mise à plat itérative un mois plus tard du fait de l’apparition d’une ostéite.  
  • A sa demande elle est alors suivie dans le service de chirurgie de la main du CHU : exérèse de la première phalange, avec spacer et fixateur externe, poursuite d’une infection torpide, plusieurs mises à plat avec greffes de peau, puis greffe osseuse (greffon iliaque) et ostéosynthèse qui ne consolide pas … la persistance d’un foyer septique au terme de sept interventions oblige alors à se résoudre à l’amputation de l’index et de la partie distale du deuxième métacarpien, huit mois après l’accident.  
  • Elle a dû arrêter ses études pendant plus d’un an, consulter un psychiatre pour dépression et souffre de douleurs à type de « mal fantôme » qui la gênent de plus dans son emploi.  
  • Elle reproche au généraliste de ne pas l’avoir adressée immédiatement à l’hôpital.  
  • Celui-ci ne sera pas entendu lors de l’expertise faite par un chirurgien orthopédiste à la demande du tribunal suite à une procédure engagée envers les propriétaires des chiens et leurs assurances.

Jugement

EXPERTISE

 

L’expert, chirurgien orthopédiste, évalue les préjudices en lien avec l’amputation, incapacité (7%), les souffrances endurées (4/7), le dommage esthétique (3/7) et fixe les périodes de gêne temporaire partielles ou totales.

« S’agissant des soins dispensés par le généraliste, ce médecin n’a pas respecté les règles de prudence qu’impose une morsure au niveau des doigts. Les morsures canines sont souvent hautement septiques et le fait qu’il y ait eu deux plaies au niveau d’une zone articulaire laissait présager une plaie septique de l’articulation voire une plaie tendineuse. Dans ces conditions, un avis chirurgical spécialisé aurait dû être demandé avec vraisemblablement une antibiothérapie intra veineuse efficace sur les germes anaérobies, voire une exploration chirurgicale. A posteriori, l’exploration chirurgicale en phase septique a montré qu’il existait une section complète de l’artère collatérale sur le versant radial, cette lésion majorant d’autant le risque infectieux. Néanmoins on ne peut garantir qu’une hospitalisation immédiate avec les mesures thérapeutiques pré citées aurait totalement évité les phénomènes infectieux observés. Il est licite de penser que ces mesures auraient réduit le risque d’infection grave. On peut conclure à une perte de chance en l’absence du respect des règles de bonne pratique médicale. A cette erreur d’appréciation, s’ajoute l’absence de contrôle à 24 heures, mesure que le médecin aurait dû adopter afin de ne pas laisser évoluer pendant trois jours et sans consigne précise donnée à la patiente (en tout état de cause, l’expert n’en a pas trouvé de trace écrite) une morsure des doigts considérée comme à risque septique très élevé ».

 

Arrêt de Cour D’appel  (2011)

 

Les parties en cause sont alors le médecin, l’assureur de la voisine « gardienne » de son chien et l’assureur de la responsabilité civile de sa mère, propriétaire du chien « mordeur ».

 L’arrêt de la Cour d’Appel confirme la mise hors de cause du généraliste pour des raisons procédurales : l’expertise qui conclut à la faute s’est déroulée sans qu’il ait été ni appelé ni entendu et il n’a pu faire valoir ses observations. (En fait il a été assigné par l’assureur de la voisine lors de la phase ultime de cette procédure judicaire, après la fin de l’expertise).

 Le montant des indemnisations revenant à la victime est fixé à 31 970 € et celui dévolu aux caisses de la Sécurité Sociale à 31 500 €.

« Considérant que le propriétaire d’un animal est responsable du dommage qu’il a causé, soit qu’il soit sous sa garde, soit qu’il fût égaré ou échappé

Qu’en l’espèce il est établi que le chien de la voisine a pénétré dans la propriété de la famille de l’adolescente où se trouvait son chien, qu’ils se sont battus et que c’est dans ces circonstances qu’est survenue la morsure…

Il est démontré que le chien voisin a participé à la réalisation du dommage qui lui incombe entièrement, faute de démonter ni même d’alléguer une cause étrangère.

Considérant que la solution donnée au litige rend sans objet la demande formée par la victime contre l’assureur de responsabilité civile de sa mère. Que celle-ci étant l’assureur de la victime qui ne la couvre pas pour les dommages qu’elle a subis, l’assurance adverse sera déboutée de sa demande de garantie ».

 

Analyse

Ce matériel est réservé à un usage privé ou d’enseignement. Il  reste la propriété de la Prévention Médicale, et ne peut en aucun cas faire l’objet d’une transaction commerciale.

Pour aller plus loin

- Prise en charge des plaies aux urgences. Conférence de consensus SFMU 2005 

Extraits (page 23, 25, 26 et 41) :

Plaies de la main et des doigts

Le traitement initial des mains blessées a une influence décisive sur leur avenir. Le rôle du médecin urgentiste est fondamental : la qualité de son examen initial par le dépistage des lésions associées participe de façon cruciale au résultat final.

Une plaie d’apparence banale, même punctiforme, peut être associée à des lésions profondes touchant des structures nobles. Les lésions tendineuses et nerveuses restent les
plus sous-évaluées. Toute plaie de la main et des doigts doit être explorée (grade A).

En dehors des situations dans lesquelles la gravité est évidente (amputations complètes, traumatismes pluritissulaires), il y a 3 urgences chirurgicales à côté desquelles il ne faut pas passer :

  • les injections de liquide sous pression (peinture, huile, …) qui se présentent initialement comme une plaie punctiforme, souvent pulpaire, mais dont l’évolution est gravissime. Il s’agit d’une urgence chirurgicale immédiate.
  • la dévascularisation qui est secondaire à une section des 2 artères collatérales et qu’il faut savoir rechercher en présence d’une plaie palmaire.
  • la plaie articulaire ; toute plaie digitale dorsale est susceptible d’être associée à une plaie articulaire. Il faut aussi savoir que certains traumatismes en hyperextension de l’IPP peuvent être associés à une ouverture cutanée palmaire, transversale, dans le pli de flexion de l’IPP, qui communique directement avec l’articulation …etc.

Les morsures

Les morsures sont des plaies à la fois contuses et fortement souillées. Leur principale complication est l’infection. Le risque infectieux est déterminé par l’animal en cause, la localisation de la morsure (main en particulier), les antécédents de la victime et la qualité des soins locaux de la plaie. Le traitement repose avant tout sur un lavage soigneux par irrigation sous pression et un parage drastique avec débridement des tissus.

Le chien est responsable de 80 à 90% des morsures animales. Elles touchent la main dans 30 à 35 % des cas. Il s’agit de plaies délabrées (dents arrondies et mâchoires puissantes).
Les germes en cause sont les staphylocoques, streptocoques, Pasteurella, et bactéries anaérobies. Le taux d’infection est de 5 à 20% et jusqu’à 36% dans les morsures de la main.
Le chat est responsable de plaies punctiformes et de lacérations. L’inoculation des bactéries se fait dans les tissus profonds. Les germes en cause sont peu différents de ceux du chien.
Le taux d’infection est de l’ordre de 50%.
Les morsures humaines représentent la 3e origine en fréquence. Le taux d’infection est de 16 à 43% (staphylocoques, streptocoques, anaérobies). En plus, elles exposent au risque de transmission de maladies spécifiques : hépatite B et C, VIH (risque faible).

Les morsures sont en général responsables d’une inoculation polymicrobienne. Les infections apparaissant en moins de 12 h après la morsure sont évocatrices de Pasteurella.
Il existe de rares souches de P. multocida productrices de bétalactamases mais toutes restent sensibles à l’association amoxicilline-acide clavulanique. Les plaies infectées après 24h sont principalement dues aux cocci à Gram positif ou à des bactéries anaérobies.
La plupart des plaies par morsure peuvent être soignées aux urgences. Le lavage est un temps fondamental de la prise en charge et est réalisé au mieux par irrigation abondante à haute pression. Le débridement des tissus est le meilleur moyen de prévenir l’infection.
Après l’ablation des corps étrangers, il faut réaliser une excision de tous les tissus dévitalisés.
Il n’y a pas d’indication à réaliser de prélèvement en l’absence de signe infectieux même si la plaie est vue plus de 24h après la morsure. Seule l’infection locale est une indication de prélèvement.

Les indications d’hospitalisation sont :

  • syndrome infectieux systémique
  • infection locorégionale extensive ou locale non contrôlée par l’antibiothérapie
  • lésion articulaire ou tendineuse, ou simple présomption d’une atteinte articulaire
  • morsures complexes ou nécessitant une chirurgie reconstructrice

La suture est contre-indiquée pour les plaies profondes ou examinées plus de 24h après la morsure, les plaies cliniquement infectées et les plaies de la main. Les plaies de la face doivent être suturées, ou au moins rapprochées par des points séparés espacés, pour des raisons esthétiques. De plus, le risque d’infection d’une plaie de la tête ou du cou, suturée avec antibiothérapie préemptive, est très faible, de l’ordre de 1% .
Un contrôle clinique de la majorité des morsures est indispensable 24 heures après.
La prise en charge du risque rabique est traitée dans la question 3.

L’antibiothérapie préemptive n’est indiquée que dans les cas suivants :

  • terrain à risque (diabète, splénectomie, cirrhose, …)
  • morsures à haut risque septique (plaies profondes, délabrées)
  • lésion articulaire et/ou osseuse
  • parage non satisfaisant (plaie punctiforme), morsures de chat
  • morsures pénétrantes humaines
  • morsures de la main
  • morsures suturées de la face

Le traitement recommandé est l’association amoxicilline-acide clavulanique. La prophylaxie de l’hépatite B et du VIH repose sur des procédures réglementaires.
Lors des conseils au patient, il faut le rassurer car le taux de transmission des virus sanguins par morsure est faible, etc.

Morsures d’animaux et risque infectieux. Revue Médicale suisse, 2008

Extrait :

Le traitement antibiotique empirique doit couvrir Pasteurella sp, les streptocoques, les staphylocoques et les anaérobes ainsi que Capnocytophaga en cas de morsure de chien et surtout en cas d’asplénie. (Pages 1,5)
Bien que controversée, la prophylaxie antibiotique est néanmoins préconisée pour trois à cinq jours dans la plupart des cas : blessures modérées à sévères, morsures délabrées et punctiformes, atteinte des mains ou de la face, lésions proches d’une articulation ou d’un os, ainsi que chez les patients immunodéficients ou avec un trouble de la circulation veineuse ou lymphatique (tableau 2).(Pages 11,12)

Lire l'article sur le site de la Revue Médicale suisse

Quelles sont les complications à court et à moyen terme ?

Les préoccupations majeures sont la prévention du risque infectieux et les séquelles fonctionnelles et esthétiques. Le risque infectieux est le critère prédominant mais ne nécessite pas systématiquement une antibiothérapie « préemptive ». Il est donc nécessaire d’effectuer une convocation précoce. Pour les morsures, une consultation à 24 heures est recommandée [Grade A].