L’anesthésie permet une procédure médicale sans douleur, en supprimant les sensations.
L'animal se retrouve alors dans un état second qui peut parfois, à son réveil, causer des incidents imprévisibles.
Un jeune étalon de sport est vu en urgence par un premier vétérinaire pour hernie inguinale étranglée. Dès confirmation du diagnostic, décision est prise de le référer dans une clinique vétérinaire équine pour cure chirurgicale. Dans l’attente du camion affecté au transport et pour éviter, à la demande du propriétaire, une intervention chirurgicale avec castration, le praticien tente et réalise avec succès une réduction manuelle par taxis externe. Toutefois, au relever du cheval, la hernie récidive, l’animal est alors immédiatement transporté vers la clinique. Le temps de transport prévu est long (3h au moins), le temps de transport effectif en l’occurrence assez considérablement plus long.
Toutefois l’animal arrive à la clinique chirurgicale en bon état général, sans état de choc, dans de relativement bonnes conditions opératoires.
L’intervention chirurgicale, réalisée par un second praticien assisté d’une équipe chirurgicale, se passe effectivement normalement mais, au réveil de l’anesthésie générale, dans le box de réveil, lors du relever, le cheval se fracture le tibia.
Il sera euthanasié le lendemain.
La responsabilité des deux vétérinaires successivement intervenus est ardemment recherchée par le propriétaire, eu égard à la valeur estimée de l’animal : elle porte pour les deux confrères sur les moyens mis en œuvre et sur l’information dispensée quant aux risques.
Les demandeurs seront successivement déboutés en première instance puis par la Cour d’appel. Tant la responsabilité civile du premier vétérinaire intervenu sur place que celle du praticien ayant opéré à la clinique sont entièrement écartées.
L’événement indésirable grave (EIG) associé aux soins, défini comme tout incident, accident ou dysfonctionnement avec des conséquences, réversibles ou non, sur l’animal soigné, est constitué ici par la fracture tibiale (incurable) survenue du fait des mouvements intempestifs, mal assurés et violents de l’animal lors de son relever au réveil de son anesthésie générale.
L’ensemble des mesures de prévention prises, jugées satisfaisantes au regard des exigences de moyens requises en responsabilité, n’ont pas empêché, dans ce cas de figure, la réalisation de l’EIG et la mise en cause des praticiens. C’est la raison pour laquelle, sans entrer dans le débat technique intervenu lors du procès sur le bien-fondé de la tentative préalable de réduction par taxis - phase de soins à l’évidence éloignée dans le temps et éloignée en matière de lien de causalité, de l’accident survenu - il y a lieu a fortiori de revenir sur ces mesures de prévention à mettre en œuvre pour éviter ces accidents traumatiques au réveil.
Dans un tel cas de figure, l’information porte sur une situation caractérisée par une faible liberté de choix décisionnel : en l’absence d’intervention dans les 12 heures, les complications fatales sont inéluctables. L’information doit cependant comprendre toutes les complications anesthésiques et opératoires possibles ; pour l’anesthésie, notamment les risques traumatiques au réveil (un quart des complications de l’anesthésie générale chez le cheval).
Dans un tel cas de figure, la barrière de récupération concernant le relever peut apparaître comme une barrière théorique et discutable : c’est l’expérience des équipes, sa robustesse, son habileté, sa vigilance, sa diligence qui constituent en soi les possibilités de récupération.
En matière de fractures des membres, chez le cheval on peut dire que la barrière d’atténuation est pratiquement inexistante…
Tout ce qui se passe en amont depuis le constat de l’affection est susceptible d’avoir une influence sur la forme et la force du cheval au moment de son relever. La rapidité du diagnostic, de la prise en charge, du transport …sont des facteurs de prévention de l’EIG. Un bon conditionnement médical (réanimation médicale) est essentiel. Une intervention et donc une anesthésie bien conduite et de brièveté maximales constituent des facteurs de prévention.
Un box de réveil adapté et une équipe compétente et expérimentée pour l’assistance au relever (technique de contention tête et queue) sont des facteurs de prévention.
Quand, en l’absence de faute, toutes les meilleures conditions sont réunies, l’EIG reste possible comme ici. Raison de plus, dans un contexte tendu, pour adopter des barrières de prévention irréprochables.
Concernant le premier vétérinaire, celui qui a fait le diagnostic et référé :
« S'agissant du devoir d'information et de conseil pesant sur le vétérinaire, force est de rappeler que le docteur M. est intervenu dans une situation d'urgence et que de ce fait, il ne peut lui être reproché de ne pas avoir pris le temps d'exposer au propriétaire du cheval, ou à sa représentante en la personne de Mme G., panseuse du cheval, toutes les données médicales de la situation.
Toutefois, il est indéniable que le vétérinaire qui a pris la décision non contestée de transfert immédiat du cheval dans une clinique spécialisée et réputée a délivré à la responsable du cheval puis à M. D. par téléphone les informations essentielles, à savoir la nécessité d'une intervention chirurgicale dans les plus brefs délais et l'inéluctabilité du décès [du cheval] en cas d'attente supérieure à 12 heures. Dans de telles circonstances, en l'absence d'autre choix thérapeutique, il ne peut être reproché au docteur M. de ne pas avoir délivré de plus amples informations, notamment sur les risques de l'anesthésie. »
Concernant le second vétérinaire et son équipe chirurgicale :
« A l'instar des premiers juges, suivant en cela les conclusions de l'expert judiciaire, la cour relève que le cheval […] est arrivé à la clinique[…] dans un état d'urgence vitale, que sa situation médicale ne permettait pas de surseoir à la décision d'opération chirurgicale et à son exécution, que Mme G., qui représentait valablement le propriétaire du cheval, a néanmoins été informée des risques liés à toute intervention et en particulier à l'anesthésie puisqu'elle a signé deux documents intitulés "prise en charge chirurgicale d'urgence" et "consentement pour une anesthésie générale", que dans le second de ces documents, le risque de "traumatisme lors du relever" est spécifiquement mentionné de même que la majoration des risques anesthésiques dans une chirurgie d'urgence. »
« S'agissant de l'accident survenu lors de la phase de réveil qui relève encore du contrat de soins conclu entre le propriétaire du cheval et l'équipe vétérinaire, il appartient aux appelants qui mettent en cause la responsabilité du Dr R. et de la clinique […] de rapporter la preuve d'une faute commise par l'un et/ou l'autre dans la prise en charge du cheval lors de la phase post-anesthésique, le praticien et l'établissement de soins, même spécialisés, n'étant tenus que d'une obligation de moyens. »
L'expert judiciaire dont le rapport ne supporte aucune critique quant à la compétence du technicien, au déroulement des opérations et à la qualité du raisonnement intellectuel, conclut en ces termes : « les soins donnés par l'équipe des Docteurs R. et D. ont assuré au cheval […] des soins attentifs, consciencieux et conformes aux données acquises de la science vétérinaire, compte-tenu des controverses inhérentes à la matière, et de la notion de risques attachée à toute décision. (...) Nonobstant, je ne constate pas que la gestion de l'intervention et de l'anesthésie, malgré leurs conséquences fatales, ait été négligente ou fautive en regard de l'état des techniques vétérinaires. »
Il résulte par ailleurs de ce rapport d'expertise judiciaire les éléments suivants :
Au surplus, il doit être observé que la possibilité de soulever le cheval et d'ainsi sécuriser son relever par la pose de longes sous l'abdomen n'a pas été envisagée par l'expert judiciaire comme étant une pratique usuelle et n'apparaît pas, en tout état de cause, adaptée pour un cheval ayant subi une chirurgie abdominale.
Par ailleurs, il y a lieu de suivre le Dr R. lorsqu'il affirme qu'il est illusoire de vouloir empêcher un cheval de se relever et prévenir sa chute, s'agissant d'un animal pesant environ 600 kg pour lequel la position couchée n'est pas naturelle et peut engendrer des lésions musculaires.
Enfin, l'absence de notes prises par l'équipe vétérinaire pendant la phase de réveil alors que le temps opératoire a été régulièrement renseigné ne peut à elle seule disqualifier l'ensemble des diligences faites par l'équipe vétérinaire et n'est pas constitutive d'une faute en lien avec l'accident subi par le cheval. »
L’information préalable du propriétaire ou du détenteur de l’animal, tant par le vétérinaire généraliste qui réfère un animal que par le vétérinaire –éventuellement spécialiste- à qui l’animal est référé, est incontournable. Elle porte sur l’affection, son traitement et son pronostic.
S’agissant des moyens du traitement, leurs risques doivent être exposés, surtout dès lors qu’ils sont graves, même s’ils sont exceptionnels.
Et même en situation d’urgence, notamment dans le milieu du cheval, les propriétaires se montrent exigeants, y compris jusqu’à la démesure.
Si cette information n’empêche généralement pas la réalisation d’EIG, elle contribue à en atténuer la perception et en faciliter la gestion. Elle gagne à être formalisée par écrit.
Le consentement écrit, ainsi éclairé, gagne à être recueilli dans tous les cas par le praticien. Ce nécessaire formalisme paraît de plus en plus important, particulièrement en pratique équine.
La prévention des accidents traumatiques lors du relever du cheval après anesthésie se réalise jusque très en amont du moment de ce relever, dans les heures précédentes.
La contention du cheval lors de l’assistance au relever dans la phase de réveil d’une anesthésie ne peut plus être improvisée aujourd’hui. Elle nécessite des équipes formées, compétentes, expérimentées.
Références :
https://making-of.afp.com/un-reveil-brutal
WEINHARD (L)- Anesthésier un cheval pour une castration : quels sont les risques pour le cheval et le vétérinaire ? Thèse de doctorat-vétérinaire VETAGRO SUP ENVL 2016