Monsieur Z, 78 ans, se présente aux urgences, le jour J vers 16h00, adressé, par son médecin traitant, pour suspicion de pneumopathie franche lobaire aiguë...
Monsieur Z, 78 ans, se présente aux Urgences, le jour J vers 16h00, adressé, par son médecin traitant, pour suspicion de pneumopathie franche lobaire aiguë.
Il décrit le tableau clinique suivant : toux productive persistante, légère dyspnée, douleur latérothoracique, fièvre à 38°5, matité localisée à la base thoracique gauche, foyers crépitant à l’auscultation et une fatigue anormale depuis 4 jours.
Le courrier accompagnant le patient précise des antécédents d’hypertension artérielle traitée par LOXEN* 20 mg 3 fois par jour.
Ce malade est pris en charge à 16h30 par l’Infirmier d’Accueil et d’Orientation, puis par un interne en poste dans ce service à 17h00. Ce dernier confirme le tableau clinique du patient, demande une radio pulmonaire et un angioscanner des artères pulmonaires pour éliminer une embolie pulmonaire devant les signes paracliniques suivants : Fréquence cardiaque : 110 pulsations par minute, Saturation en oxygène : 92%, Tension Artérielle : 140/80 mm de Hg. Aucun signe clinique en faveur d’une thrombose des membres inférieurs.
Retour du service d’Imagerie Médicale vers 17h45. L’embolie pulmonaire est écartée, et le diagnostic de pneumopathie est objectivé par les résultats de la radio pulmonaire.
Le tableau clinique est stable, mais la dyspnée inquiète l’interne, et avec l’accord de son sénior, une hospitalisation est proposée au patient pour 2 à 3 jours, pour débuter une antibiothérapie par voie intra veineuse et une kinésithérapie respiratoire 2 fois par jour.
Monsieur Z est hospitalisé dans un service de médecine, monte dans le service avec les prescriptions suivantes :
- Pose de voie veineuse,
- AUGMENTIN 1g X 3 / 24H, par voie IV,
- Kinésithérapie 2 fois par jour,
- LOXEN 1 cp X 3 / 24H.
A son arrivée dans le service vers 18h30, le patient est pris en charge, le traitement antibiotique est mis en œuvre immédiatement, et il peut bénéficier d’une séance de kinésithérapie vers 19h15, avant que le repas du soir lui soit servi. Son traitement per os est dispensé, à savoir un comprimé de LOXEN. Le pilulier pour le lendemain est préparé par la même infirmière intérimaire.
La nuit se passe sans encombre, et l’état clinique du patient s’améliore sur le plan respiratoire.
Dans l’après midi, lors de la prise des constantes du malade vers 16h00, l’infirmière constate une hypotension modérée, à 90/60 mm de Hg, sans incidence clinique.
Le médecin en charge du service est prévenu, et lors de l’examen du dossier, il s’arrête sur la prescription de LOXEN* venant des Urgences, à savoir 1 cp X 3/24h. Il demande à l’infirmière de vérifier dans le pilulier la forme du traitement. Le pilulier n’ayant pas été complété à partir des nouvelles prescriptions du jour, on constate la présence de LOXEN* 50 LP pour la prise du soir. De plus, dans la pharmacie du service, il n’y a que du LOXEN* 50 LP, et pas de LOXEN* 20 mg.
Au final, le patient a reçu 150 mg de LOXEN* LP au lieu de 60 mg de LOXEN*.
La situation est expliquée au patient, et avec son accord, ce dernier est transféré pour 48 heures en Unité de Surveillance Continue pour pallier à une hypotension artérielle plus importante.
Le patient est sorti de l’Hôpital 72 heures plus tard, avec une tension artérielle normalisée, une fonction respiratoire cliniquement améliorée, un traitement antibiotique per os pour 8 jours et relais de la kinésithérapie respiratoire en ville.
Cet incident n’a eu aucune conséquence vitale pour le patient.
Mais devant des conséquences qui auraient pu être plus importantes, le chef de service de médecine demande une analyse plus approfondie de ce dysfonctionnement, identifié comme événement porteur de risque (E.P.R.).
L’exploitation de la fiche de déclaration d’événement indésirable par le groupe de professionnels chargé de la veille confirme la demande du chef de service, afin de rechercher les causes qui ont conduit à cet incident, sans conséquence majeure pour le patient, les comprendre et trouver éventuellement des actions correctrices à mettre en place.
Une analyse de risque a posteriori est donc réalisée.
Dans cette analyse, seuls les éléments contributifs à la recherche des causes de cette erreur de dispensation sont recherchés.
Facteurs liés au patient
Le patient présente des antécédents d’hypertension artérielle depuis 2 ans. Son traitement est équilibré, avec des chiffres tensionnels normalisés. Son traitement est dispensé en officine de ville, avec des médicaments génériques qui peuvent changer de laboratoire en fonction des moments. Ce malade, parfaitement orienté, est acteur dans son protocole de soins. Il ne connaissait pas cette forme de médicaments et a fait confiance à l’équipe soignante du service.
Cet incident semble ne pas l’inquiéter au vu des explications données et des risques formulés en lien avec cette erreur d’administration ; et il a parfaitement compris la problématique.
Facteurs liés aux tâches à accomplir
La dispensation du traitement per os ne s’appuie pas sur un protocole de soins, la dispensation d’un médicament faisant partie du cœur de métier de l’infirmière.
Facteurs liés à l’individu
L’interne des urgences qui a réalisé la prescription est un interne de 3° semestre, qui maîtrise cet exercice. La prescription manque néanmoins de précision.
L’infirmière qui a administré et préparé le traitement pour les 24 premières heures est un personnel intérimaire qui est venue pour la première fois, qui ne maitrisait pas l’organisation du service et les procédures et habitudes institutionnelles. Son expérience professionnelle reste modeste (moins d’un an de diplôme).
Facteurs liés à l’équipe
Les transmissions à l’arrivée de l’intérimaire ont été réalisées de façon macro, la charge de travail n’a pas permis un accompagnement optimal.
La collaboration entre les professionnels a été décrite comme « normale » ; chaque fois que l’infirmière intérimaire a demandé de l’aide ou des informations, l’infirmière coordinatrice en charge du secteur a pu l’orienter à chacune de ses sollicitations.
Il faut préciser que le dossier patient de cet établissement n’est pas encore informatisé (format papier). Il est probable qu’un support dématérialisé n’aurait pas permis cette prescription incomplète.
Lors des transmissions du soir, au départ de l’équipe de jour, il n’a pas été formulé un quelconque questionnement sur le traitement de Monsieur Z.
Les piluliers sont habituellement préparés par les équipes de nuit pour les patients hospitalisés présents dans la journée. Le traitement préparé par l’infirmière intérimaire pour le lendemain est parti d’une bonne intention, et n’a pas été vérifié par l’équipe de nuit.
Facteurs liés à l’environnement de travail
La charge de travail était lourde, avec de nombreux patients âgés dépendants. Malgré cet état de fait, il n’y a pas eu de retards dans le déroulement de la journée, et dans la réalisation des soins.
Le système documentaire du service permettait d’obtenir les informations nécessaires sur le médicament à délivrer au patient (VIDAL, accès internet, ….)
La dotation de médicaments du service : les deux formes de LOXEN* (20 et 50 LP) sont présentes habituellement, mais ce jour là, seule la forme 50 LP était disponible immédiatement. Le personnel intérimaire n’étant plus présent, il n’a pas été possible de l’interroger sur un questionnement possible sur ces 2 formes de présentation.
Les effectifs de l’équipe paramédicale étaient conformes au schéma d’organisation validé dans la structure.
Facteurs liés à l’organisation et au management
L’organisation du service a permis un encadrement sur les 2 tiers de la journée de l’infirmière intérimaire. Il faut néanmoins préciser que l’incident s’est produit en fin de journée, sur une période moins propice pour un accompagnement.
Le process général de distribution du médicament n’a pas été suivi : pas de vérification du pilulier par l’équipe de nuit, pas de vérification ad hoc lors de la dispensation du traitement par l’infirmière le lendemain, infirmière différente de la veille.
La question du pourquoi il n’y avait pas de LOXEN* 20 mg dans la pharmacie du service n’a pas eu de réponse précise formelle : il semble que ce soit une erreur de livraison au niveau de la pharmacie (fonctionnement en dotation globale). Cette hypothèse est plausible, puisque la dotation de LOXEN 50* LP était plus importante que celle du LOXEN 20 mg. Le professionnel de santé qui a réceptionné et rangé la commande de médicaments reconnaît ne pas avoir eu le temps de procéder au contrôle habituel (dénomination – dosage – quantité – rangement dans emplacement dédié).
Facteurs liés au contexte institutionnel
Cette structure est très attentive au dimensionnement des équipes soignantes. Comme de nombreux établissements de santé, l’équilibre financier est toujours plus difficile à trouver chaque année.
L’ensemble des responsables d’équipe est sollicité sur ce point.
Le suivi des événements indésirables graves au sein de cette structure montre une augmentation sensible des incidents sur ce thème ; chaque signalement correspond à une charge de travail limite.
- L’emploi de médicaments génériques au sein de l’établissement : les fournisseurs, en fonction de l’évolution des tarifs, changent régulièrement.
- La prescription de l’interne des urgences était imprécise, avec oubli du dosage.
- L’infirmière n’a pas réagi à la lecture de la prescription. Le double contrôle attendu dans le process du circuit du médicament n’a pas eu lieu. Il semble que l’infirmière ne s’est pas questionnée sur la posologie du traitement ; la posologie pour la forme à libération prolongée n’est pas habituelle.
-L’infirmière de nuit n’a pas vérifié le contenu du pilulier.
- L’infirmière en charge de la dispensation le lendemain n’a pas contrôlé la concordance entre prescription et médicament distribué.
- L’infirmière qui a réceptionné la commande de pharmacie n’a pas réalisé le contrôle attendu à réception des médicaments.
Un nombre conséquent de contrôles n’a pas été respecté dans ce cas précis. La charge de travail assez dense ne suffit pas à expliquer ce constat. L’ensemble des professionnels de santé l’a d’ailleurs admis volontiers.
L’analyse de cet incident est une démonstration concrète du modèle de Reason ; il est relativement rare qu’un incident soit dû à une cause unique. Comme nous l’avons mis en évidence ci-dessus, c’est un enchaînement d’erreurs humaines qui a constitué cet événement indésirable.
Collectivement, les pistes de réflexion suivantes ont été abordées :
Cette fois encore, les processus existaient, mais n’ont pas toujours été respectés.
La communication est essentielle autour de ce retour d’expérience pour faire comprendre à chacun que leur rôle est primordial dans ce système complexe de soins.
L’interdépendance des différents métiers permet les contrôles multiples. Il serait dommage d’en faire l’économie, le patient étant chaque fois en bout de chaîne, et donc vulnérable.