Le problème de la critique des collègues n’est pas nouveau, et en rien une exclusivité des docteurs, mais s’aggrave dans le temps. Les soignants font pareil. Les enquêtes à grandes échelles conduites aux USA montrent que l’effets de tels comportements, critiques ouvertes en des mots choisis et blessants, attitudes condescendantes sur les carrières des uns et des autres, impactent les choix de carrière, les cessations ou réorientations d’activité, les départs du service, et in fine la sécurité du patient sont avérés par toutes les études réalisées.
En analysant sur le fond les modifications sociologiques qui pourraient expliquer cette évolution négative des comportements professionnels, l’auteur propose plusieurs pistes
- L’effet générationnel : on est passé de la génération vétéran (1900-1945) qui, atteint par la profonde crise de 29, avait pour logique de tout accepter, pour préserver le travail et la sécurité de la famille. Puis la génération de ‘Baby boomer’ (46-64) loyaux à leur organisation, cherchant l’ascenseur social par tous moyens y compris l’acceptation d’attitudes déplacées. Puis la génération Xyers puis Yers (65-80/ 81-99) misant sur la technologie comme la résolution de tous les problèmes, plaidant l’équipe, le réseau plutôt que l’autorité, sensible aussi à la qualité de vie, et globalement beaucoup plus sensible à tout ce qui agresse.
- L’effet sexe avec des hommes plutôt individualistes, orientés sur la tâche, dominants, et des femmes plus collectivistes, recherchant plutôt des consensus sociaux. Les hommes agressés se replient encore plus sur l’individualisme, alors que les femmes agressées cherchent plus le support du groupe
- La culture : plus de 50% des professionnels de santé US ne sont pas nés sur le territoire US
- Les personnalités avec de grandes différences dans la gestion de l’agression et des stress, et très peu de formations
- Les facteurs externes : fatigue, frustration, burnout sont évidemment à la fois des conséquences et des accélérateurs des comportements délétères
L’auteur résume l’état des connaissances avec plusieurs directions d’action corrective
- Le leadership organisationnel : pour corriger, il faut que l’organisation soit au courant, ce qui suppose que le management s’intéresse au problème et accepte de valider une politique active de non tolérance à ces comportements
- Conscience, responsabilité : il faut arriver à mieux responsabiliser chacun dans ses actes. Une enquête d’opinion conduite en interne (par questionnaire ou entretiens) peut aider à mettre les problèmes en débat, à condition bien sûr d’éviter soigneusement toute sanction ou attitude assimilée quand on est à cette étape de restitution et de débat
- Formation : former sur les conséquences de ces comportements en les évoquant en staff, ou en cours, avec une approche claire
- Communication et équipe : les comportements de ‘bashing’ se réduisent quand les personnes se connaissent mieux et connaissent mieux le travail de l’autre. On peut penser à SBAR ou à d’autres outils qui peuvent aussi aider à mieux se parler et se comprendre
- Conduite exemplaires : le fait d’avoir un médecin (de préférence) qui prend la parole sur ce sujet et relève publiquement les abus commis en montrant l’exemple est toujours un plus
- Confrontation et sécurité du patient: un vrai intérêt pour des réunions formelles où sont discutés par des pairs les abus des uns et des autres en leur présence (staff). Le plan d’amélioration de la sécurité du patient devrait incorporer ces aspects
- Les interventions sont toujours plus efficaces avant (prévention) qu’après. L’identification de professionnels à risques sur ce domaine est une étape importante, en les confrontant à leur comportement, et en les adressant à des formations ad hoc. L’intervention de personnes neutres et externes peut aussi aider à la résolution du problème.