Prévenir les événements indésirables graves (EIG) en chirurgie bovine dans une démarche active de qualité et de sécurité des actes se confond aussi, d’une certaine manière, avec la maîtrise des facteurs de risque. Cela revient, si l’on veut, à un inventaire des facteurs de réussite.
Cette maîtrise des facteurs de risque passe par l’identification préalable des principaux dangers de la chirurgie. Il conviendra de tenir compte de ceux auxquels est affecté un risque significatif de se réaliser.
Nous discernons quatre groupes de dangers :
• Les accidents de contention :
- Danger pour l’homme ;
- Danger pour l’animal opéré ;
• Les accidents d’anesthésie et de réanimation ;
• Les accidents intimement liés à l’acte chirurgical : perforation accidentelle d’un organe, hémorragie, rupture de sutures…
• Les complications infectieuses.
Nous les aurons résolument présents à l’esprit en examinant les moyens de prévenir les EIG au cours des phases pré-, per- et post-opératoires.
Trois facteurs sont déterminants pour la prévention des EIG et la réussite chirurgicale :
-un bon diagnostic ;
-un bon pronostic ;
-une bonne préparation de l’intervention.
Exactitude et précision du diagnostic :
ll s’agit évidemment de l’idéal vers lequel il faut tendre. Il ne faut jamais oublier que la démarche du diagnostic constitue la base de l’expertise du vétérinaire. L’examen clinique est déterminant en chirurgie bovine, les examens biologiques pré-opératoires ne constituant un complément utile que dans des cas rationnellement limités.
Dans le cas particulier de la laparotomie exploratrice, assez courante en pratique bovine, dont l’objectif premier est de réaliser un diagnostic, celui-ci ne précède pas l’acte chirurgical. Du moins se réduit-il à des hypothèses ou encore sa précision n’est-elle pas assurée avant d’entreprendre l’opération.
En obstétrique, dans le cas d’une disproportion fœto-pelvienne, la sécurité du diagnostic est fondamentale pour la prise de décision d’une césarienne. Ici c’est le plus souvent aujourd’hui la non-réalisation de l’acte chirurgical qui est susceptible d’être à l’origine de l’EIG.
Un exemple me paraît illustrer la nécessité d’un diagnostic clinique irréprochable, c’est celui de l’amputation de l’onglon (2ème et 3ème phalanges) : la rigueur du diagnostic lésionnel est déterminante pour le succès de l’opération, un bilan d’extension de l’infection étant indispensable à la prise de décision efficace.
Importance du pronostic :
Son importance économique est évidente, son importance psychologique est encore plus déterminante pour la réputation du vétérinaire chirurgien. Il est d’abord lié à la qualité du diagnostic.
Pronostic et diagnostic se conjuguent efficacement pour l’établissement d’une bonne indication opératoire.
La recherche mentale des contre-indications chirurgicales éventuelles est une étape indispensable de la démarche précédant la décision opératoire. Exemple : la chirurgie de l’omphalo-phlébite (état général de l’animal, absence de polyarthrite…). Il s’agit aussi d’éviter les deux écueils extrêmes que constituent d’une part la chirurgie facile parce qu’en fait inutile et d’autre part la chirurgie aventureuse, de pronostic désespéré, chronophage et coûteuse pour l’éleveur… et, en termes d’image, le vétérinaire.
C’est à ce stade que la discussion avec l’éleveur permet de recueillir son consentement. Il convient d’abord de lui décrire l’affection, de lui en expliquer les causes et les conséquences, de lui en évaluer le pronostic en fonction de la nature du traitement, de lui décrire les solutions thérapeutiques et leur coût probable. Après quoi c’est à lui seul « éleveur payeur » de décider. Dès lors, le praticien a recueilli son consentement éclairé, gage de suites favorables à une relation sereine dans le cadre du contrat tacite de soins. C’est une façon de prévenir l’EIG.
La mise en cause du praticien en ce qui concerne l’information due au client est un volet en plein développement de sa responsabilité civile d’une part mais également disciplinaire. C’est d’autant plus à souligner que, contrairement à ce qui prévaut en matière de démonstration de la faute, de la réalité du préjudice et de la relation de causalité entre faute et préjudice, ici c’est au vétérinaire qu’incombe la charge de démontrer qu’il a bien donné toute l’information utile.
Cela est vrai de la façon la plus aiguë en obstétrique comme précédemment évoqué, bien qu’en réalité, dans ce domaine, on peut encore avoir affaire à certains éleveurs qui tentent de faire prendre au vétérinaire la décision d’extraction forcée là où la césarienne paraît d’emblée recommandée, décision qu’ils ne manqueront pas de lui reprocher…avant même l’achèvement difficile de l’extraction du fœtus.
Ces questions de responsabilité n’ont été ci-dessus évoquées que parce qu’elles sont intimement liées à la question première de la qualité et de la sécurité des actes qui nous importent d’abord et avant tout ici.
Une bonne préparation :
• Bonne préparation de l’animal :
Selon les cas, il peut s’agir de la diète, d’une réhydratation, d’une antibioprophylaxie, de mesures concernant l’hygiène cutanée (tonte, toilette…)
C’est par exemple le cas dans la chirurgie du cordon ombilical du veau nouveau-né, lequel peut être concerné par toutes ces mesures à la fois.
Autre exemple : la vache sur laquelle on pratique une césarienne est principalement concernée par les mesures concernant l’hygiène cutanée, l’hygiène vulvo-vaginale, celle également des membres extériorisés du fœtus. D’autres mesures peuvent être prises concernant cette femelle à césarienne telles que l’administration d’un tocolytique (bêta-agoniste), dans de très rares cas d’un tranquillisant.
• Bonne préparation de l’environnement opératoire et du matériel :
Quand l’opération a lieu sur l’exploitation, situation dans laquelle nous allons résolument nous placer, il est avantageux de donner au préalable des instructions relatives à la préparation de l’environnement opératoire : choix du local, nettoyage, rangement, aménagement, éclairage, table, matériel de contention, etc…Le lieu choisi doit être propre (le sol, le plafond…), aéré, à bonne température et bien éclairé.
Quant au matériel chirurgical lui-même, il doit être conditionné et stérilisé.
• Bonne préparation du chirurgien :
En clientèle, la première mesure de préparation est celle de la programmation de l’opération et de la gestion du temps. Il faut se préparer de bonnes conditions psychologiques. En d’autres termes, il ne faut pas surcharger ses programmes opératoires !
Il est indispensable, quand il s’agit d’une intervention que l’on n’effectue pas en routine, de relire tranquillement au préalable le manuel opératoire ou au minimum d’en faire une relecture mentale.
Un bon environnement opératoire :
La chirurgie bovine en clinique vétérinaire offre l’avantage de déterminer une fois pour toutes les conditions de l’environnement opératoire et surtout d’en avoir la pleine maîtrise. Il y a incontestablement gain de temps sur les temps de préparation, pas forcément sur les temps post-opératoires. Il y a deux inconvénients à ne pas sous-estimer :
- le microbisme (il est, selon nous, plus facile au praticien de se désinfecter entre chaque exploitation que de désinfecter la salle d’opération);
- le transport post-opératoire de l’animal : celui-ci constitue assez souvent un stress en fonction des conditions de transport.
La sécurité du chirurgien, des personnes qui l’aident et qui l’entourent doit être assurée. Les règles classiques de contention ne doivent pas être galvaudées. Elles concernent non seulement l’animal opéré mais également parfois les animaux dont l’inévitable proximité est susceptible à tout moment de constituer un danger. C’est un facteur important d’engagement potentiellement lourd de la responsabilité du praticien, d’autant que dans le domaine des dommages causés à un tiers par l’animal sous la garde juridique du vétérinaire, sa responsabilité change de nature : de contractuelle, elle devient délictuelle et n’est plus à démontrer par le tiers lésé, la charge de la preuve étant inversée.
Le confort du chirurgien (espace suffisant, notamment pour disposer de façon rationnelle le matériel) est un facteur de réussite.
La contention de l’animal ne doit pas s’exercer au détriment du propre confort de cet animal, lequel constitue aussi, indépendamment de la question éthique de son bien-être, un facteur de réussite.
Une bonne préparation aseptique de l’animal constitue un facteur évident de prévention des EIG, un facteur classique de réussite.
Une bonne anesthésie :
Les protocoles qui ont été successivement proposés sont innombrables et l’anesthésiologie est une discipline aussi passionnante dans l’espèce bovine que dans les autres espèces. Toutefois la réglementation LMR (Règlement européen sur les limites maximales de résidu) a considérablement réduit les possibilités actuelles.
En définitive il faut utiliser des médicaments autorisés dans l’espèce bovine, dans le cadre d’un protocole éprouvé et surtout auquel le praticien est bien habitué, la meilleure anesthésie étant celle que l’on connaît le mieux.
L’anesthésie ne devant jamais être véritablement dissociée de la réanimation, il peut être utile, voire indispensable de perfuser l’animal au cours de l’intervention, en tout cas de disposer d’une voie veineuse pendant l’intervention.
Une bonne technique chirurgicale :
Ici encore la préférence ira à une technique éprouvée et habituelle.
Le choix de la voie d’abord la plus appropriée résulte encore souvent de la précision du diagnostic pré-opératoire, d’où son importance qu’il convient de rappeler.
A efficience égale, une technique rapide est à préférer à une technique longue.
Le choix des ligatures est important. Il faut également avoir à l’esprit les conditions de leur conservation (influence du facteur « voiture du praticien » avec les variations thermiques) surtout avec les matériaux synthétiques résorbables.
Le choix du type de suture n’est jamais neutre. Il faut savoir remettre en cause sa technique de réalisation des nœuds.
En chirurgie bovine à la ferme, nonobstant le nécessaire usage limité et prudent des antibiotiques, on ne peut généralement échapper à une antibiothérapie per-opératoire ou à l’administration d’un bolus antibiotique intraveineux pré-opératoire.
Prescription du praticien et son observance par l’éleveur :
L’ordonnance, légalement et réglementairement obligatoire (articles L.5143-5, L.5143-4 et R.5141-111 du code de la santé publique) pour une majorité de médicaments vétérinaires en pratique, reste vivement recommandée pour toute prescription médicamenteuse et, de notre point de vue, pour l’ensemble de la prescription du chirurgien.
La prescription du praticien comporte en effet également le plus souvent des mesures de contention et des mesures hygiéniques (soins de confort), des mesures sanitaires parfois, des mesures nutritionnelles souvent… Dans tous les cas elle comporte l’énumération d’indicateurs de surveillance (« clignotants ») donnés à l’éleveur, lui permettant d’assurer la surveillance post-opératoire et de déclencher à temps l’intervention utile du praticien. Il peut s’agir de repères concernant par exemple la reprise spontanée de l’alimentation, la reprise de la mobilité, etc…
Toutes ces consignes, notamment quand il s’agit d’une opération inhabituelle pour l’éleveur, gagnent à être formalisées par écrit. Cette formalisation écrite s’inscrit du reste de plus en plus souvent dans des démarches volontaires d’assurance de la qualité. Elles sont de surcroît le plus souvent protectrices du praticien quand sa responsabilité se trouve ultérieurement mise en cause. Mais elles sont d’abord un gage de qualité de ses actes.
La surveillance immédiate effectuée par l’éleveur comporte notamment le cas échéant la surveillance du réveil anesthésique. Il est donc important de lui donner des critères simples et limités d’évaluation de la progression normale du réveil, adaptés à l’anesthésie pratiquée.
La surveillance comporte aussi celle, plus large, de l’état général (habitus, appétit, couleur des muqueuses, fréquence respiratoire, température rectale…).
La liste des principales complications immédiates doit lui être indiquée ou rappelée.
Les soins de confort consistent le plus souvent en des mesures aussi simples que le paillage, les conditions d’ambiance atmosphérique, l’abreuvement, les conditions de reprise des mouvements, de l’alimentation…
Suivi vétérinaire :
Selon les cas, il est systématique sous forme de visite unique ou multiple de contrôle de l’animal opéré ou bien il est conditionné à l’appel de l’éleveur sur la base de critères de déclenchement de cet appel, clairement énoncés comme précédemment indiqué.
Le lien avec la responsabilité civile mais aussi et surtout avec la responsabilité déontologique du praticien est ici très fort: il s’agit de démontrer que l’administration de soins consciencieux et attentifs ne s’arrête pas à la réalisation du dernier point cutané mais va jusqu’à la constatation du résultat final de l’intervention. Ces considérations s’inscrivent en effet pleinement dans les exigences de respect de l’animal et de respect du client. De respect de soi-même aussi dans une vraie démarche de qualité et de sécurité de ses actes et donc de prévention efficace des EIG.
Evaluation du résultat
Le suivi des cas en vue de l’évaluation des résultats, nécessitant indéniablement un minimum de formalisation écrite, s’inscrit dans une démarche de recherche de la qualité. L’analyse des résultats peut conduire – et conduit le plus souvent - dans une vraie « démarche qualité » à une évolution des protocoles opératoires.
Elle peut aboutir à la remise en cause même d’une indication opératoire. Par exemple, pour certains praticiens la remise en cause de l’opération de l’arqûre chez le veau. Pour d’autres, toujours chez le veau, l’opération de la laxité patellaire d’origine obstétricale…
La connaissance des facteurs de réussite en chirurgie bovine, avant, pendant et après l’intervention, en vue de leur maîtrise, a pour objectif l’efficacité et l’innocuité maximales des techniques employées. C’est une façon de prévenir les EIG.
Accessoirement pour notre propos mais très utilement, elle contribue largement à l’élévation du seuil de mise en cause du praticien en termes de responsabilité, aux plans civil et disciplinaire.
Une telle efficacité est génératrice de satisfaction et contribue même au plaisir du chirurgien lors de la réalisation de l’acte opératoire.
Le recours à la démarche de l’assurance qualité, susceptible de faire appel le cas échéant au concept de la démarche HACCP, est de nature à constituer, dans le cadre strict d’une démarche purement volontaire du praticien, un outil de progrès appréciable, qui suppose l’acceptation d’une culture de l’écrit, à savoir du principe d’écrire ce que l’on prévoit de faire, de faire ce qu’on a écrit puis de vérifier, d’évaluer, de réfléchir et d’améliorer.
Bibliographie :