Le Lean management a totalement pénétré le domaine de la santé en moins de 10 ans; comme souvent la conjoncture s’y est prêtée fortement avec au moins trois facteurs déterminants :
• Une usure de concepts bâtis sur des idées généreuses, particulièrement les discours sur la culture de sécurité, mais dont on ne voit pas les résultats immédiats dans les services : les coûts augmentent, les patients ne sont pas très adhérents aux traitements prescrits, et le taux d’EIG ne recule guère ;
• Une « médecine de flux » qui prend le pas sur une « médecine de séjour » : on échange plus de de patients contre des patients qui restent moins longtemps hospitalisés. Il faut redessiner les organisations, s’adapter, changer les critères usuels de qualité et les indicateurs ; or le Lean est une méthode industrielle reconnue pour l’amélioration de la Qualité et de la performance dans toutes les tâches de flux
• le côté attractif, en partie magique et vendeur d’une ‘nouvelle’ méthode apparemment simple et de bon sens venu de l’industrie
• une méthode qui nous vient de l’industrie automobile (Japonaise).
• La méthode repose sur la suppression des gaspillages de tous ordres (le waste) pour mieux satisfaire le client: gaspillage de temps, de défauts de qualité, d’insatisfactions diverses.
• Cinq principes réduisent ce gaspillage : définir la Qualité et ses valeurs selon les critères du client, identifier toutes les étapes qui produisent de la valeur, et éliminer toutes celles qui n’en produisent pas. produire en flux vers le client en continu et sans obstacle, écouter le client pour ce qui n’est pas encore faisable, mais doit le devenir dans la prochaine amélioration du système (amélioration continue)
• Une première revue de question assez décevante a été publiée en 2009 (Vest JR, Gamm LD. A critical review of the research literature on Six Sigma, Lean and Studer Group’s Hardwiring Excellence in the United States: the need to demonstrate and communicate the effectiveness of transformation
strategies in healthcare. Implémentation Sci 2009;4:35) : La revue avait sélectionné 207 articles mais seulement 19 étaient suffisamment documentés (9,2%), et tous se sont avérés très limités dans l’analyse des résultats. On notait cependant quelques succès (moins d’erreurs, plus de satisfaction patient, coûts réduits), notamment une implémentation au Canada (Health Quality Council de la province du SasKatchewan)
• Une seconde revue de question a été publiée en 2016 sur tous les articles en littérature ouverte ou grise (Moraros J. Lemstra M., Nwankwo C. Lean interventions in healthcare: do they actually work? A systematic literature review International Journal for Quality in Health Care, 2016, 28(2), 150–165).
o Au total la revue a sélectionné 1056 articles avec comités de lecture, dont 169 étaient des doubles publications dans différents journaux, 768 des articles sans lien avec la production de soin, et 76 qui ne remplissaient pas les critères minimums. Sur les 48 articles restants, 22 seulement avaient une méthodologie suffisamment robuste (mais aucun n’avaient un niveau de preuve A, avec essai randomisé)
• Sur les 4 articles qui ont mesuré des effets médicaux sur le patient (et pas seulement la satisfaction), un seul avait retrouvé un effet positif au Lean ; la plus grande étude avait tout de même impliqué 6 millions de patients ayant eu un infarctus, une insuffisance cardiaque aigue, ou une pneumopathie grave. Ces patients venaient de deux types d’hôpitaux, ceux enrôlés dans un programme de Lean avec paiement à la performance, et ceux témoins non enrôlés dans ce programme (appelé PREMIER). L’étude ne retrouve aucun effet sur la réhospitalisation à 30j. Jha AK, Joynt KE, Orav EJ et al. The Long-term effect of premier pay for
performance on patient outcomes. New Engl J Med 2012;366:1606–15.
• Sur les 15 études qui se sont limités à mesurer les effets du Lean management sur le processus (temps gagné, flux et performance augmentés, satisfaction augmentée, productivité), deux seulement ont retrouvé un effet positif
• Enfin, sur les 3 études qui ont évalué à la fois l’effet médical et l’effet sur le processus, un seul article a retrouvé un effet positif du Lean dans le cas de la surveillance du risque de récidive d’AVC.
Au total, on ne manque pas de papiers décrivant des essais d’implémentation du Lean management.
• Que la très grande majorité de ces essais ne sont pas correctement mesurés dans leurs effets, de sorte que l’on ne peut rien dire de leur valeur. Mais c’est peut-être à mettre à l’honneur des habitudes d’évaluation des démarches en santé par rapport aux pratiques industrielles. L’industrie clame souvent des succès qui ne sont pas rigoureusement évalués. La médecine a l’habitude d’évaluations plus sérieuses… et le résultat observé n’est peut être pas étranger à cette culture.
• Si l’on s’en tient aux résultats obtenus avec des évaluations sérieuses :
o Peu de succès
o Pas de gain significatif de satisfaction du patient
o Une corrélation plutôt négative avec le coût (surcoût plutôt que réduction) et avec la satisfaction des professionnels
o Un gain possible de performance (flux patients) et sur quelques points particuliers (lavage des mains par exemple)
Moraros J. Lemstra M., Nwankwo C. Lean interventions in healthcare: do they actually work? A systematic literature review International Journal for Quality in Health Care, 2016, 28(2), 150–165
http://intqhc.oxfordjournals.org/content/intqhc/28/2/150.full.pdf
Bonjour
Je suis expert en santé publique avec une spécialité politique et système de santé. Je m'investis suffisamment dans la prévention et contrôle des infections en milieu hospitalier, communication pour un changement e comportement et la sécurité du patient dans les soins de santé. Je m’intéresse davantage au management et la gestion des risque surtout en milieu hospitalier et votre article m'a assez fasciné avec cette publication sur le
"LEAN MANAGEMENT'''et je voudrais une ligne de collaboration scientifique et pratique dans le domaine de la recherche.
Salutations cordiales.
Josias AHAMIDE
il faut aussi évoquer les risques organisationnels du Lean Management sur la santé au travail : voir : http://www.officiel-prevention.com/protections-collectives-organisation-ergonomie/psychologie-du-travail/detail_dossier_CHSCT.php?rub=38&ssrub=163&dossid=470