Dire que les pratiques de sécurité de l’aéronautique ont inspiré la médecine est une litote. 389 articles ont été publiés sur ce thème en moins de 10 ans, et une grande fraction de ces papiers concerne l’adoption des check-lists.
Les premiers transferts vraiment publicisés datent de 2007; ils concernaient la check-list recommandée pour la pose des cathéters centraux (Pronovost,2007), et la check-list opératoire célébrée mondialement par l’OMS (Hayes, Gawande, 2009). Depuis les applications des check-lists en médecine n’ont cessé de se multiplier. On arrive à 8 ans de recul pour certains.
Il est temps de se poser quelques questions simples. L’article de Cathpole cité en fin de ce texte introduit très bien ce débat.
Pour comprendre notre engouement pour ce matériel, il nous faut sans doute reprendre certaines raisons récurrentes qui ont poussé le développement les check-lists en aviation. Dans ce secteur industriel (comme dans bien d’autres de l’industrie), beaucoup de check-lists permettent (par une action ‘simple’) de parer à des défauts de conceptions complexes et rédhibitoires qu’on ne sait pas fixer. En d’autres termes, les check-lists servent souvent comme ultime contrôle pour bloquer (à pas cher) des problèmes énormes, bien identifiés, qui auraient du être bloqués par d’autres solutions plus coûteuses, mais ne l’ont pas été, faute d’avoir exprimé une volonté réelle à déployer toutes les solutions possibles techniques, humaines et organisationnelles avant ce dernier point de contrôle. C’est souvent aussi le cas en médecine.
Ensuite, quelques différences. La première concerne l’ampleur des check-lists. La totalité des check-lists de l’airbus A319 tient sur un 4 pages A4 (13 check-lists pour les situations normales et anormales), avec dans chaque check-list entre 2 et 17 items à vérifier, chacun n’étant décrit que par quelques mots pour être vite compris et dits à voix haute (3 mots en moyenne), et évidemment ne demandant aucune signature de validation… rien à voir avec les check-lists en santé. La check-list de prévention des infections sur cathéters centraux contient 18 items, aucun de moins de 4 mots (mais certains de 22), et concernent des taches qui ne sont pas à faire immédiatement ou dans les minutes ou heures suivantes et qui ne sont pas vérifiables au sens aviation (par exemple ‘encourager le staff’ à déclarer des anomalies).
La check-list chirurgicale contient 21 items, avec entre 3 et 16 mots par tâche, et mobilise plusieurs personnes.
Plus important encore, la cible diffère assez sensiblment. C’est peu dire qu’on a voulu poursuivre plusieurs buts en médecine en introduisant les check-lists, alors que l’usage des check-lists en aviation est toujours resté bien plus centré et modeste. On veut notamment se servir de la check-list en santé pour améliorer le travail en équipe et la communication (une sorte de cheval de Troie), ce qui n’est pas le but des Check-list l’aviation, qui restent très pragmatiques, centrées sur la sécurité du procédé.
Au final, on pense en médecine que la check-list améliore la sécurité, mais encore plus la communication, le travail en équipe, et plus encore.
Mais dans les faits, en dehors de biais méthodologiques évidents du type effet Hawthorn quand on met une équipe en avant pour sa checklist, on se demande ce qui est le résultat le plus important poursuivi par l’introduction de ces multiples check lists: vérifier réellement des items à haut risque (ce qui est finalement rarement le cas car on finit par rajouter plein d’items peu importants ou déjà vérifiés de façon certaine), ou juste un prétexte pour faire parler entre eux des gens qui n’en ont pas l’habitude. Pas étonnant que les résultats, d’une sorte ou de l’autre, ne soient pas au rendez vous, et pas seulement en France.
Pour aller plus loin
Catchpole K., Russ S. The problem with checklists BMJ Qual Saf 2015;24:545–549. Le problème avec les check-lists : lire l'article
Vidéo : la check-list, attention à la faille
Revue de questions thématiques : briefing et check-list au bloc
Bravo et merci pour cette analyse profonde de sens. L'usage permanent des check-list devient, un fine, contre productif. Au lieu de garnir nos systèmes de patch ou de hard stop, nous devons aller, pour améliorer la sécurité, vers une transformation plus profonde de notre culture et de nos outils de soins. Intégrer le patient dans les étapes de vérifications. Améliorer la communication entre les acteurs de soins. Faire converger nos artefacts numériques de soins. Contextualiser les supports numériques et les interfaces de communication homme machine. Construire des outils d'aide à la décision. Il devient urgent que nos sociétés savantes valorisent d'avantage la recherche dans ces domaines transversaux.