Plusieurs articles viennent de sortir sur le futur de la télémédecine, après la pandémie de Covid, particulièrement dans la presse anglo-saxonne.
L’idée est remarquable, mais les obstacles à la pérennisation nombreux. Cet article résume la situation aux Etats-Unis, mais nous partageons largement en Europe les mêmes problèmes.
L'un des principaux changements positifs survenu pendant la pandémie Covid-19 est la montée en flèche de l'utilisation de la télémédecine.
Elle est devenue un outil précieux pour maintenir l'accès des patients aux soins.
Cette augmentation soudaine et substantielle de l'utilisation de la télémédecine se constate en Australie, au Canada et aux États-Unis (Mehrotra 2021) , et évidemment dans toute l’Europe (Blanford, 2020).
À son apogée en avril 2020, la télémédecine a été responsable de 38 % de toutes les visites ambulatoires dans le cadre du programme australien Medicare1, de 42 % de toutes les visites ambulatoires pour les personnes assurées par un assureur commercial américain, et de 77 % de toutes les visites ambulatoires chez les personnes en Ontario, au Canada.
Depuis ce pic, l'utilisation de la télémédecine a diminué dans les 3 pays, mais l'utilisation reste nettement plus élevée que les niveaux pré-pandémiques.
De nombreuses visites de télémédecine ont été effectuées par téléphone, ce qui représente 90 % des visites de télémédecine au Canada et en Australie.
Cette accélération de la télémédecine a été facilitée en partie par des changements dans les politiques gouvernementales qui ont temporairement étendu les services de télémédecine pouvant être remboursés.
Reste la question de ce qui va se passer après la pandémie
Les patients et les cliniciens sont enthousiasmés par la commodité et la capacité de la télémédecine à améliorer l'accès.
Comment alors les nations peuvent-elles s'appuyer sur cet enthousiasme sans désavantager ou nuire aux patients ou sans entraîner une augmentation insoutenable des dépenses de santé ?
Il existe une incertitude dans chaque pays quant à la durée des extensions temporaires des paiements.
Après la montée en flèche initiale du recours à la télémédecine, il semble que de nombreux cliniciens aient abandonné la télémédecine, en partie à cause de l’incertitude entourant la viabilité financière de cette pratique.
Les décideurs sont face à une recherche d’équilibre difficile.
Les avantages potentiels sont évidents.
La commodité de la télémédecine peut améliorer l'accès aux soins pour tous les patients et, en particulier, pour les populations mal desservies, comme celles des communautés rurales.
Mais la pratique à distance à ses limites. La télémédecine n’est pas la panacée…
Bien que les résultats d'essais randomisés montrent que la télémédecine est de qualité égale à la consultation en face-à-face dans certaines conditions, la visioconférence et les visites téléphoniques sont limitées par l'incapacité de passer un examen physique complet et d'effectuer des tests auxiliaires.
Par exemple, il est impossible de diagnostiquer de manière fiable une infection de l'oreille chez un nourrisson sans examiner l'oreille et, sans surprise, les visites de télémédecine pour une infection de l'oreille sans une telle imagerie entraînent une plus grande utilisation d'antibiotiques. Ou encore, il n'est pas possible de mesurer la tension artérielle en vidéoconférence et l'hypertension reste un problème mondial.
La possibilité d'une surutilisation inutile des soins et d'une augmentation des commandes frauduleuses de tests et d'équipements de diagnostic ont été d'autres obstacles à l'expansion de la télémédecine.
Un exemple de surutilisation : les cliniciens peuvent planifier des visites téléphoniques fréquentes mais plus courtes qui n'améliorent peut-être pas les résultats, mais augmentent les dépenses de santé.
On craint également que la télémédecine ne puisse aggraver les disparités si ce service est utilisé de préférence par des patients urbains plus riches plutôt que par des patients ruraux et à faible revenu qui sont moins susceptibles d'avoir accès à un ordinateur, à un smartphone ou à Internet haute vitesse.
La voie à suivre est probablement d'étendre la couverture de la télémédecine au-delà de ce qui était disponible avant la pandémie, sans pour autant maintenir l'expansion actuelle de la télémédecine.
Comment atteindre ce compromis ?
Les américains (Mehrotra 2021) pensent que la décision doit être basée sur la valeur. À l'instar de toutes les technologies médicales, la télémédecine augmentera généralement les dépenses.
Dans un cadre de valeurs, la question est de savoir quelle valeur (amélioration des résultats ou de l'accès aux soins) est observée et à quel coût.
Le but est d'encourager les applications de télémédecine à plus forte valeur et de décourager les applications de moindre valeur.
Les décideurs peuvent utiliser plusieurs stratégies pour encourager des soins de grande valeur.
La couverture peut être limitée à certaines populations de patients, à certaines modalités de visite de télémédecine ou à certaines conditions.
Avant la pandémie, des limites avaient déjà étaient recommandées dans toutes ces dimensions (Dunham 2018) notamment la limitation des visites aux résidents ruraux, aux visites par vidéoconférence ou aux visites pour troubles liés à l'usage d'opioïdes.
Une autre question est de savoir si les visites de télémédecine uniquement audio (c'est-à-dire les visites téléphoniques) devraient être remboursées par l'assurance maladie.
Du point de vue de la qualité et des dépenses, on craint que le manque d'indices visuels lors d'une visite téléphonique entraîne des soins inférieurs dans certains scénarios cliniques et que les visites téléphoniques soient plus susceptibles d'être surutilisées.
Cependant, les visites téléphoniques sont probablement raisonnables dans de nombreuses situations et, du point de vue de l'équité, sont importantes pour les patients qui ne peuvent pas avoir de visite par vidéoconférence.
Aux États-Unis, le débat est animé par 2 perspectives différentes.
Le contre-argument est que les gouvernements devraient payer moins pour les visites de télémédecine afin de dissuader la surutilisation.
Les décideurs devront équilibrer les deux perspectives.
Outre la question à court terme de savoir comment payer pour la visioconférence et les visites téléphoniques après la pandémie, il y a aussi les problèmes à long terme sur la façon de payer pour les nombreuses autres formes de télésanté, y compris la surveillance à distance et les messages de portail asynchrones.
Le paiement de chaque interaction entre le patient et les cliniciens devient beaucoup plus complexe et probablement coûteux.
Il faut probablement une approche modulée population et groupe de patients/pathologies.
> Opportunities and challenges for telehealth within and beyond a pandemic, Lancet PublicHealth, published on line August 2020, Blandford A., Wesson J. Amalberti R., Al Hazmz R.,Al Lwihan R.
> The support for Patients and Communities Act: expanding Medicare coverage of telehealth services to combat the opioid crisis. National Law Review. November 6, 2018. Accessed January 7, 2021, Dunham CC, Sprankle MP.
> Paying for telemedicine After the Pandemic. JAMA.2021;325(5):431–432. doi:10.1001/jama.2020.25706, Mehrotra A, Bhatia RS, Snoswell CL.