Retrouvez l'analyse de la presse internationale sur le risque médical par le Professeur Amalberti. À la une ce mois-ci : une proposition de guide de consentement éclairé du patient, les variations de qualité des soins entre hôpitaux, une nouvelle définition intégrée de la médecine générale, les résumés médicaux écrits par l'IA, le droit pour les patients de consulter leur dossier médical électronique, utilité et bénéfice des RMMs...
La sécurité du patient plaide depuis longtemps pour une co-production de sécurité impliquant le patient et ses proches. Cette co-production suppose l’écoute réciproque des impératifs et souhaits des professionnels et des patients dans la construction et la sécurisation de la prise en charge thérapeutique. Le concept est séduisant et fait sens, son application l’a été moins. Les actions et préconisations dédiées à cet objectif restent élusives.
Cette équipe mixte australienne et saoudienne nous propose un formulaire de consentement éclairé et participatif du patient (Patient safety consent, PSC) qui répond à cet objectif d’engager le patient et ses proches comme contributeurs actifs aux soins et à la sécurité de ces soins.
Ce consentement suppose une bascule dans la façon des professionnels à envisager le traitement, puisqu’il peut infléchir les solutions jugées préférées par le professionnel vers des solutions préférées par le patient. Pour ce faire, il faut partager les informations sur le fond (diagnostic, options de traitement et leurs conséquences attendues, risques associés à ces traitements) puis partager l’engagement et la surveillance de ces soins en discutant des points et symptômes à surveiller, des auto-évaluations et le calendrier de leur répétition, des précautions à prendre, des façons de le faire, des procédures de rappel prévues vers le professionnel selon l’état constaté, etc.
Dans le détail, le consentement éclairé de participation s’inscrit dans le cadre d’un parcours de soins.
Il repose sur une phase initiale réalisée avant l’admission à l’hôpital où le professionnel établit un profil du patient avec son niveau de compréhension des consignes et explications données, son habitude de suivi des traitements, et son profil émotionnel. Selon le profil global obtenu, la discussion avec le patient et ses proches va tenter de déterminer les responsabilités potentielles que chacun est prêt à assurer (professionnel et patient-famille) lors de l’admission hospitalière. Cet engagement du patient d’adhésion et de coparticipation dans son traitement et sa sécurité n’est pas éternel. Il a vocation à être rediscuté par les soignants pendant la phase d’hospitalisation, puis à nouveau à la sortie pour son retour à domicile. C’est un véritable apprentissage pour toutes les parties.
Côté plus, les résultats montrent que cette solution a l’immense avantage d’améliorer le pronostic médical en augmentant l’adhésion du patient à son traitement et en en faisant un vrai partenaire, mais sur son côté moins, elle demande (beaucoup) plus de temps au professionnel au départ, un temps qui doit être prévu et budgété dans le système de soins.
Les autorités de santé de tous les pays souhaitent garantir une Qualité des soins la moins variable possible entre établissements. Les facteurs souvent cités et redoutés dans les différences observées sont le type de patients pris en charge (pathologie, milieu social), la qualité et le nombre de professionnels, les types de services et les classes d’hôpitaux. Pour autant, on ne connait pas très bien les chiffres réels de ces variations, pas plus que le poids de chaque facteur contributif. Cette revue de littérature fait le point sur le sujet.
Elle a porté sur toutes les publications entre 2010 et 2023 ayant décrit une mesure de différence inter-hospitalière à partir d’indicateurs de la Qualité des soins. Au total, on compte 8 373 études traitant en totalité et partiellement le sujet, mais seules 44 ont finalement répondu à tous les critères méthodologiques attendus.
Au travers de ces 44 études, ce sont 144 indicateurs de Qualité qui ont été mobilisés pour comparer les hôpitaux, divisés en 5 types : indicateurs de résultats cliniques intermédiaires, indicateurs de résultats cliniques finaux, indicateurs de process, indicateurs de satisfaction des patients, et indicateurs de ressenti des patients sur leur maladie. 8 études ont aussi évalué les résultats en fonction des variations d’effectifs de médecins.
Finalement, les variations de Qualité attribuables simplement au type d’hôpital (rural, général, CHU) sont assez limitées (3 à 9 %). Ces variations de Qualité inter-hospitalières sont plus élevées en regard des process de soins en place (10,8-33,5 %), mais restent modérées pour les résultats finaux (1,4 à 4,2 %) et les jugements des patients (1 à 1,5 %). Le type de pathologie pris en charge ne semble pas jouer dans les distinctions.
En conclusion, les auteurs soulignent que la variation mesurée de la Qualité des soins entre hôpitaux, jugée par plusieurs familles d’indicateurs dans la littérature, s’avère finalement assez modeste.
Mais cela ne veut pas nécessairement dire qu’il n’existe pas de différences, particulièrement dans le détail et la spécificité de certaines prises en charge ; le résultat montre simplement que les indicateurs retenus, peut-être trop généraux et remplis de façon souvent quasi administrative, ne les voient pas.
La WONCA (World Organisation of National Colleges and Academic Associations of General Practitioners/Family Physicians (GP/FP) a proposé à son congrès 2023 - et voté à l’unanimité - une nouvelle définition de la médecine générale et de famille.
La révision porte sur 3 dimensions nouvelles :
Le moteur de ces changements est l’interdépendance fondamentale de la santé avec toutes ces dimensions. Il ne serait plus raisonnable d’isoler la santé et pire, de la traiter en stratégie prioritaire locale (de pays riche), indépendamment des causes systémiques qui l’altèrent (inégalités, climat, zones polluées, etc.), avec le risque en retour d’options thérapeutiques qui nuiraient et aggraveraient ces facteurs causaux systémiques (production médicales inutiles ou polluantes/déchets mal traités, populations fragiles exclues devenant réservoir actif de pathologies, etc.).
Les chiffres montrent que la santé impacte déjà en moyenne l’environnement pour 5 % du total des nuisances constatées. L’épisode Covid a largement nourri cette motivation.
Les conséquences de cet élargissement de la définition sur l’exercice quotidien de la médecine générale ne sont pas mineures.
Elles doivent conduire à une médecine durable, qui évite les prescriptions et visites inutiles, prend en compte les effets secondaires sur l’environnement des traitements prescrits, travaille sur les agendas médicaux (regrouper les rendez-vous, éviter de déplacer le patient dix fois pour économiser le bilan carbone, etc.). Ce besoin de co-bénéfice du traitement du patient et de la préservation de la planète doit faire partie de la médecine de tous les jours et des domaines partagés et expliqués au patient pour justifier les propositions thérapeutiques.
Le stade suivant reste à concevoir par une approche globale où les aspects intégrés (prévention de la santé, préservation de la planète, durabilité) relèveraient d’une éthique obligatoire proposée aux citoyens par les services au sens large, acteurs médicaux, mais pas seulement. Inutile de dire que cette approche, votée à l’unanimité par les médecins présents au congrès international de médecine générale, suppose des actions de formation de nos futurs médecins, sur des sujets quasiment encore absents des cursus médicaux.
De plus en plus de médecins et de cabinets médicaux utilisent les logiciels d’Intelligence Artificielle générative (IA générative) utilisant les principes de ChatGPT et dérivés, pour rédiger des comptes-rendus médicaux, parfois directement à partir de l’enregistrement de la consultation, avec une capacité de synthèse impressionnante prenant tout autant en compte les propos du médecin, du patient, que les résultats acquis dans le dossier récemment et anciennement. La technique est infiniment plus rapide que toute rédaction manuelle ou saisie numérique, évite un secrétariat dédié (avec hélas sa possible conséquence sociale…), et a déjà prouvé largement sa qualité. Les versions les plus avancées peuvent rédiger en un temps record une courte synthèse pertinente pour une suspicion de pathologie donnée, extraite du dossier et ciblée sur les accumulations de faits contributifs dans les consultations et examens médicaux (radiologie, biologie), synthèse qui servirait par exemple à préparer une hospitalisation ou une demande de visite spécialisée. Pire, l’offre est immédiatement disponible et vient en simple ajout des outils informatiques existants (achat de logiciel compatible et relativement bon marché), sans devoir changer son matériel.
Le succès est donc garanti à très court terme avec un véritable changement d’ampleur des pratiques. Pour autant, les autorités américaines de santé (Food and Drug Administration - FDA), alertent sur le travail de contrôle qu’il faut exercer sur les résumés ainsi rédigés automatiquement. Un guide doit être publié et la question légale reste centrale pour la FDA qui se demande s’il ne faudrait pas certifier ces nouveaux outils en tant que nouveaux outils médicaux, tant ils peuvent filtrer, et orienter une vision médicale sur les stratégies de diagnostic et les traitements prescrits.
En l’état, les autorités envisagent plutôt celle d’une procédure de mise sur le marché simplifiée par exception, dans la mesure où ces outils s’expriment en langage courant et non en langage spécialisé, mais cette tolérance passera par des conditions, notamment :
Certains actes médicaux sont pratiqués très marginalement dans certains hôpitaux. L’article s’intéresse au possible (sur) risque médical pour les patients concernés.
L’étude porte sur une cohorte de 950 079 patients (74,4 ans de moyenne, 59,2 % de femmes) relevant du régime national de prise en charge gratuite accordé aux plus de 66 ans (Medicare) et ayant subi une des 10 interventions lourdes les plus courantes (chirurgie aortique abdominale, chirurgie du poumon, de l'œsophage, du pancréas, colorectale, des valves cardiaques, chirurgie de prothèses genou et hanche) dans 2 469 hôpitaux américains répartis en 382 réseaux entre 2016 et 2018. On mesure le volume d’actes de chaque hôpital, les complications postopératoires, le taux de ré-hospitalisation à 30 jours, et le taux de mortalité.
Sur les 382 réseaux d’hôpitaux, quasiment tous (99,5 %) avaient au moins un site avec des faibles volumes pratiquant au moins l’une des 10 interventions retenues. 79,4 % des interventions réalisées dans ces hôpitaux a bas volumes, auraient pu être effectuées dans un autre hôpital ayant un volume bien plus important sur ces mêmes interventions et situé dans un périmètre de 29 miles (écart type 12-60) (soit 48 kilomètres). La variation de volume entre hôpitaux dont on parle va de 1 à 43 fois plus.
Les résultats postopératoires sont clairement plus mauvais, toutes données ajustées, pour les hôpitaux à faibles volumes (mortalité de 8,1% en moyenne dans les faibles volumes contre 5,1% dans les hôpitaux atteignant des volumes recommandés et standards (pas nécessairement ceux qui ont les plus forts volumes).
Compte tenu de la différence significative de risque, la question de la réorientation des patients vers les sites proches et plus qualifiées prend tout son sens, avec à la clé la fermeture des sites à risques.
Les patients anglais ont obtenu récemment (2022) le droit de consulter leur dossier électronique médical de médecine générale. La mesure est encore en test et n’est pas généralisée sur toute l’Angleterre.
Cette enquête auprès de 400 généralistes anglais (la plus grande réalisée dans le monde à ce jour) essaie de dresser un premier bilan de cette autorisation vue des professionnels de santé. Une minorité de ces professionnels (130,33 %) pensent que ce droit accordé aux patients est une bonne idée. La plupart sont (très) inquiets (91 %) et considèrent que l’accès au dossier médical sera plus source de confusion que de bénéfices pour les patients (85 %).
La plupart des généralistes pensent aussi qu’une majorité de patients lisant dans le détail toutes les notes accumulées dans un dossier finira par y trouver des erreurs, voudra y retrouver son plan de soins sous forme compréhensive, et se sentira ainsi plus en contrôle de leurs soins. La conséquence en sera forcément un allongement du temps de consultation pour répondre aux demandes des patients, sur des sujets souvent anciens et sans lien avec la nécessité immédiate du soin (89 % des généralistes le pensent). Une autre crainte pour 62 % des généralistes interrogés est l’augmentation des plaintes et poursuites de tous ordres qui pourraient résulter de ces consultations de dossiers. La façon de remplir les dossiers devraient rapidement s’en ressentir, en allant forcément vers le "moins" disant pour réduire sa vulnérabilité et les questions des patients.
Les médecins interrogés reconnaissent aussi que la mesure peut avoir du bon, que les patients en sont très demandeurs, mais il faudra un sérieux accompagnement pour qu’un tel changement radical des pratiques soit réussi.
Les chercheurs et les autorités continuent à s’interroger sur le bénéfice - et même la possibilité technique - d’une combinaison, d’une logique de règles et de procédures telle qu’elle existe en santé et d’une touche de résilience (de sécurité 2 pour reprendre le mot d’Hollnagel) qui autoriserait à déroger à ces règles en situations imprévues.
Ces auteurs internationaux très connus, Australiens et Norvégiens, tous issus de la communauté scientifique de la résilience, introduisent le mot de "réglementation résiliente" pour plaider cette solution.
La réglementation résiliente vise une flexibilité qui réponde à la réalité d’un terrain médical toujours plus instable et perturbé dans la réalisation des actes par le fait des difficultés quasi généralisées de manque de ressources humaines et matérielles, le tout en garantissant un bon niveau de sécurité.
L’idée centrale de la construction de cette réglementation résiliente est une démarche collaborative d’écoute de toutes les parties engagées dans le soin permettant une nouvelle manière de produire du règlement qui soit plus en conformité avec la réalité du terrain, plutôt que seulement "vu d’en haut", quitte à ce que la préconisation ne soit pas optimale dans l’absolu.
C’est donc en premier grand effort demandé aux autorités et faiseurs de règlement de recueillir du rex positif sur la réalité des vrais pratiques de terrain qui permettent de délivre les soins en situations difficile ; et de s’engager dans cette phase d’écoute et de modifications des injonctions réglementaires de sorte qu’elles représentent mieux ce qui est faisable dans le contexte du soin actuel, et pas un idéal totalement irréaliste et finalement dangereux parce qu’impossible à suivre.
Le système s’en trouverait plus efficace et mieux accepté et observant ; il réconcilie "réglementation et résilience", "le réglé et le géré", autant de concepts vus souvent comme antagonistes.
Il reste à développer de la recherche et des essais en grandeur nature pour prouver définitivement le bénéfice de l’approche.
Cette analyse de littérature porte sur tous les articles publiés jusqu’en 2022 en anglais et en allemand.
Sur le total de 884 études identifiées initialement, 18 ont seulement été retenues au final pour leur qualité méthodologique répondant aux exigences des auteurs. Les taux de mortalité rapportés dans 10 de ces publications vont de 0,4 % à 7,8 %. Les revues de morbidité-mortalité ont été établies dans 10 établissements avec une procédure à plusieurs niveaux incrémentaux qui reste adaptable à chaque cas. Dans 7 autres établissements, les revues de mortalité obéissent à une logique plus formelle.
Dans tous les cas, le succès de leur mise en place dépend en premier du nombre et de la bonne représentativité des personnes impliquées dans les différents métiers, en libérant du temps professionnel pour cette activité, et en adaptant au long cours les ressources.
En conclusion, les auteurs soulignent que le concept est maintenant acquis mais que les pratiques restent rares, la mise en route étant exigeante en ressources et compétences.
À noter qu’une autre revue de littérature, conduite par une équipe australienne, parue le même mois, quasiment sur le même sujet est résumée dans cette revue de presse.
Les RMMs sont devenues un standard quasi imposé dans tous les pays occidentaux. Cette revue de littérature reprend les articles publiés sur le sujet de 2012 à 2021.
Au total, 824 études identifiées, 16 retenues finalement pour leur qualité. Dans la majorité des cas, les articles évaluent les RMMs par le retour de satisfaction des participants sur le processus, et pas souvent par le résultat et son utilité pour le patient.
On parle beaucoup, pour la standardisation de ces pratiques, des critères de sélection des cas médicaux à inclure, et des aspects procéduraux et administratifs de conduite de l’analyse, de traces écrites, et de protection des résultats. L’amélioration de la Qualité des RMMs et les questions de formation sont souvent vus comme nécessaires mais parfois en conflit, comme si l’objectif de formation dusse accepter une qualité moindre.
Un bon climat de sécurité dans l’établissement, tant pour la sécurité du patient qu’organisationnel avec une gouvernance ouverte à l’analyse des causes sans chercher immédiatement des responsables, sont des facteurs favorisant les meilleurs résultats.
À noter qu’une autre revue de littérature, conduit par une équipe allemande, parue le même mois, quasiment sur le même sujet est résumée dans cette revue de presse.
Un article de collègues Belges francophones sur la mise en place d’un programme d’évaluation des centres de santé Belges francophones fondé sur une participation des professionnels de l’établissement, d’évaluateurs externes et laissant aussi une place aux usagers. Ces évaluations co-produites par tous ces acteurs sont souvent très influencées par les spécificités locales, l’habitat, la richesse, les pathologies et les sociologies locales. Le programme était appelé LABEL mais a été requalifié en DEQuaP pour prendre en compte un élargissement des objectifs et des méthodes pour traiter de cette particularisation des jugements dans le cadre d’une fédération.
L’article s’appuie sur une revue documentaire et des interviews des professionnels.
Les résultats questionnent les débats sur la façon de rendre compte dans les évaluations ces motivations et spécificités de chaque centre, tout en gardant à l’esprit qu’il s’agit d’une fédération de centres qui justifie une politique comparable et raisonnablement unifiée demandée par les responsables du réseau.
Les auteurs résument ces tensions par l’existence d’un professionnalisme politique qui se frotte à un professionnalisme pragmatique de terrain, les deux dimensions devant être articulées par un processus de dialogue de compromis comprenant le terrain et suffisamment clair pour toutes les parties.
Les erreurs de diagnostic conduisent souvent à des transferts en réanimation et au décès du patient. L’étude vise à comprendre les causes et les conséquences de ces erreurs.
L’analyse part d’un panel représentatif de 2 438 dossiers patients adultes hospitalisés et transférés en réanimation en CHU en 2019 (âge moyen 63,9, 45,6 % de femmes).
Au total, 550 patients (23 %) de cette cohorte avaient subi dans leur service d’origine un diagnostic manquant, retardé ou erroné avant l’admission en réanimation, on observe à la fin 436 décès.
Plus globalement, sur le total de 1 863 patients (parmi les 2 438 de la cohorte) finalement décédés en réanimation, 121 ont un lien direct évident avec l’erreur de diagnostic à l’entrée. Les diagnostics n’avaient pas été posées par le fait de patient difficile à examiner, d’examens et bilans complémentaires manquants, pas demandés, ou pas lus à leur retour.