Suite à des soins dentaires à visée esthétique, une patiente se plaint de douleurs inexpliquées. Il faudra huit ans pour poser le diagnostic. Découvrez l'analyse de ce cas clinique.
Une femme de 43 ans consulte un chirurgien-dentiste pour des motifs esthétiques : « elle souhaite refaire son sourire ».
La patiente est porteuse d’un bridge de 17 à 13 sur dents dépulpées, 12 et 11 sont indemnes, la dent 21 est restaurée par une couronne avec ancrage métallique, il existe un bridge 22-(23)-24 depuis une vingtaine d’années.
Les soins débutent en octobre 2008 par un blanchiment des dents 11 et 12. Puis le praticien reprend les traitements canalaires des dents 13 21 22 23. Rapidement les inlay-cores sont scellés sur ces dents.
La patiente se plaint de douleurs sur 21 et dans une moindre mesure sur 17.
Le praticien ne retrouve aucun signe objectif et poursuit les réalisations prothétiques et scelle en novembre un bridge 16-13, des couronnes sur 21 22 23 24 et 25.
Les douleurs sur 21 se poursuivent sans que le praticien ne trouve d’explication.
En février 2009 il prescrit des antibiotiques qui soulagent partiellement la douleur. Suspectant une fêlure, le praticien propose l’avulsion de 21. L’acte est réalisé en avril avec mise en place immédiate d’un implant avec une couronne provisoire en sous occlusion. La douleur diminue.
En mai 2009, la douleur en 21 réapparait. Le praticien demande la réalisation d’un scanner maxillaire qui n’objective aucune lésion.
La patiente consulte un confrère qui préconise la dépose de l’implant en site de 21, ce qui sera réalisé en juillet 2009.
La patiente consulte ensuite de nombreux praticiens qui vont réaliser l’injection d’anti-inflammatoire dans le pédicule incisif, des interventions chirurgicales, des soins parodontaux, la reprise du traitement canalaire de 17, une orthèse de libération occlusale.
Les traitements (et les praticiens) se succèdent sur près de 8 ans. Les éléments du dossier retrouvent plus de 300 consultations en rapport avec la douleur apparue depuis les soins dentaires.
Finalement le diagnostic de neuropathie est établi en 2017.
La patiente rapporte de nombreux arrêts de travail et un aménagement de son poste professionnel en rapport avec ses douleurs.
La dynamique, le nombre important d’intervenants, l’absence de données concernant les différents praticiens qui se sont succédé et le nombre d’années qui s’est écoulé depuis les faits ne nous permettent pas une analyse rigoureuse de l’ensemble des faits. Toutefois, il nous a paru intéressant de relever certains points.
Si les soins qui se sont avérés inadaptés proviennent de diagnostics erronés (fêlure, problèmes parodontaux, endodontiques…), l’évidence des erreurs n’apparaissent qu’à postériori.
Dans la dynamique des soins, ce qui semblait être une réponse favorable aux différents traitements et une demande pressante et continue de la patiente, ont contribué à une efficacité moindre de l’ensemble des barrières de sécurité tout au long de la prise en charge par les différents praticiens.
En particulier, une barrière importante est le questionnaire concernant le motif de consultation. Une question souvent négligée par l’ensemble de la profession est « Avez-vous déjà été traité(e) pour ce problème, comment et par qui ? ». Ainsi un faisceau de présomptions aurait pu orienter vers un diagnostic plus précoce.
Malheureusement, ce mécanisme qui a concerné le premier praticien étant intervenu, s’est reproduit par la suite, puisque la patiente a bénéficié de près de 300 consultations réalisées par plus d’une vingtaine de praticiens dont beaucoup ont réalisé des actes et des prescriptions inutiles.
Devant l'absence de cause objectivable et face aux douleurs, les praticiens qui ont pris en charge la patiente par la suite ont répondu par ce qu’ils connaissaient et ont réalisé des actes thérapeutiques dont ils ont l’expérience sans soulager la patiente.
Le retard diagnostic des neuropathies et les traitements inadaptés sont encore très fréquents alors que les conséquences en termes de qualité de vie sont très préjudiciables.
Ce cas illustre le fait que l’analyse au niveau d’un praticien est limitée et doit donc prendre en compte l’interaction de l’ensemble des intervenants tout au long du traitement afin de comprendre le rôle des barrières de sécurité du système médical.
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