Un ou des diagnostics « écran » qui brouillent le tableau malgré une prise en charge exemplaire…
ET VOUS QU’AURIEZ-VOUS FAIT ?
D’après le patient, « on continue sur la lancée de la sinusite » et il attend de passer cette IRM prescrite par l’ORL.
ET VOUS QU’AURIEZ VOUS FAIT ?
QUEL(s) DIAGNOSTIC (s) EVOQUEZ VOUS ?
DES ELEMENTS VOUS MANQUENT ILS ?
ET VOUS QU’AURIEZ VOUS FAIT ?
Le patient subira ultérieurement des examens du fait d’un ralentissement idéomoteur marqué avec instabilité dans un contexte dépressif, une anxiété avec repli sur soi ancienne.
Il s’avère, lors de l’expertise deux ans plus tard, que ce patient a un ralentissement idéomoteur marqué et quelques troubles mnésiques. Il s’accroche à la lecture de l’assignation en répétant laborieusement les termes écrits par son avocat. Sa femme l’aide à garder le fil de ses idées mais ne se souvient pas précisément de la chronologie de tous les faits : elle confirme néanmoins que la baisse d’acuité visuelle aurait été antérieure au geste de biopsie mais « qu’il était un peu perdu parce qu’il avait mal à la tête, qu’il était lessivé et attendait le RDV de la biopsie ».
Le discours du patient reflète une très bonne connaissance de la sémiologie de la maladie de Horton, facilement accessible à une recherche sur internet et répétera à plusieurs reprises « d’après internet… ». Il est donc difficile de se fier totalement à sa relation chronologique des faits, entachée de certaines incohérences. D’ailleurs, après la confirmation du diagnostic, il n’aura de cesse d’obtenir un avis sur l’adjonction d’un traitement anticoagulant mentionné, à ses dires « sur internet ». La réponse de 4 spécialistes différents, interrogés aussi par le MG, sera négative.
Deux points néanmoins feront l’objet d’amples discussions :
Quant à la date d’apparition de sa cécité droite, s’il est tout à fait possible qu’elle remonte au 22 septembre, on ne comprend pas qu’il n’ait pas spécifiquement consulté pour ce motif, en urgence : le patient déclare en avoir parlé ensuite, dans l’intervalle avec la confirmation histologique, à l’ophtalmologiste en accompagnant son épouse pour un RDV, à l’ORL lors de la biopsie, faits niés avec force par les médecins concernés. Cela n’aurait pas, pour autant, modifié le pronostic et fort heureusement, l’ischémie ne s’est pas bi latéralisée, éventualité toujours redoutée.
EXPERTISE JUDICIAIRE (2014)
Longue et laborieuse, elle a été menée avec patience et souci d’équité par les deux experts (ophtalmologiste et gériatre).
Ils concluent que « le traitement instauré par le MG (médecin généraliste) » était en adéquation avec le syndrome infectieux ORL.
L’enchaînement des consultations spécialisées a été rapide entre le 5 septembre (date de la consultation initiale) et le 21 septembre (demande de biopsie) dans ce contexte d’infection dont la partielle amélioration a motivé les consultations et les examens supplémentaires.
La pris en charge du MG a été persévérante… Le patient revu de façon très rapprochée, adressé au confrère ORL, sans délai après la confirmation radiologique, pour la prise en charge de sa sinusite après avoir eu une amélioration sur le plan local. L’IRM confirme un diagnostic compatible avec la symptomatologie présentée. De fait, il était logique d’attendre une amélioration par la thérapeutique prescrite. Ce d’autant que les signes visuels ont été très frustres (« scotome fluctuant, vision double »), masqués par la présence normale, à cet âge, de cataracte bilatérale, déjà diagnostiquée 5 ans auparavant, responsable d’une diplopie monoculaire droite, symptôme habituel.
Entre la consultation du neurologue et celle du MG après le résultat histologique, aucun nouveau symptôme visuel n’a été signalé : l’œil droit était perdu même en débutant une corticothérapie adaptée dès l’évocation du diagnostic par le neurologue et la corticothérapie n’entraine aucune amélioration visuelle après plusieurs heures de thromboses vasculaires (efficacité sur l’amaurose transitoire que le patient dit ne pas avoir ressentie). La réponse clinique sur les céphalées demande 48 à 72 heures de corticothérapie.
Le retard avec lequel le patient signale sa perte visuelle est à intégrer dans le ralentissement idéomoteur pour lequel il est suivi.
Ce patient dit avoir présenté tous les signes de la maladie de Horton depuis le début : aucune pièce ne justifie ses dires…Le patient décrit ses troubles de façon livresque, correspondant à une étude bibliographique faite a postériori. Les patients, souffrant de tels symptômes, ne s’expriment pas d’une telle façon (« douleurs au cuir chevelu », douleurs à l’appui sur l’oreiller », « hémicrânie », diplopie »). Aucun des médecins n’a confirmé des doléances aussi précises, sa perte de vue avant le 3 octobre, ni sa description quasi sémiologique de ses plaintes fonctionnelles. Il n’est pas crédible de dire qu’aucun médecin, à qui il aurait parlé de sa cécité brutale, n’aurait pas pris en compte cette information. La cécité dont il se serait plaint lors de sa visite auprès de l’ophtalmologiste avec sa femme, n’a pas été exposée lors de la réunion d’expertise, ni même par sa femme ; ce n’est qu’à posteriori que ce patient exprime l’avoir signalée. De même, ce fait ne figure ni dans les historiques préalables ou dans l’assignation. Une corticothérapie, instituée le lundi, (48 heures après sa survenue) n’aurait eu aucune efficacité sur l’œil perdu.
Ainsi, le déroulement évolutif a abouti au diagnostic de maladie de Horton, retardé par un syndrome infectieux ORL qui a été un frein non seulement au diagnostic, mais aussi à une thérapeutique sans preuve. L’instauration du traitement a permis la conservation de « l’œil adelphe ».
Aucune faute n’est retenue par les experts vis-à-vis des 4 médecins assignés lors de cette procédure : aucun n’a failli à son obligation de moyens.
L’affaire est restée sans suite après le dépôt du rapport définitif, précédé d’un pré rapport qui a permis au patient d’exprimer ces remarques sur le pré rapport.
Il n’est pas habituel qu’un patient fasse l’objet d’une prise en charge aussi coordonnée par 4 médecins MG /spécialistes dans ce court laps de temps.
On ne peut que saluer la persévérance du MG et l’avis de chaque spécialiste, tous prudents et encadrant leurs suspicions diagnostiques d’avis et d’examens complémentaires.
Néanmoins, on ne peut pas s’empêcher, à postériori, de constater que certains ont eu à un moment ou à un autre l’arrière-pensée du diagnostic : le MG, fugitivement devant des céphalées inhabituelles, l’ORL devant un tableau pas complétement satisfaisant dans sa spécialité, le neurologue au final.
C’est dire que cette maladie, « piégeante » est connue et redoutée, à cet âge.
Il me semble que l’œdème facial initial, (symptôme dont j’ai retrouvé à posteriori mention dans la littérature de la maladie de Horton en tant que signe révélateur), a focalisé l’attention sur la sphère ORL, ce d’autant que les examens radiologiques (comme souvent dans les problèmes sinusiens), n’étaient pas strictement normaux et que ce patient avait eu un métier qui l’exposait au risque de cancer de l’ethmoïde. Associé à une polynucléose 1/3 des cas) et à une fébricule, il y a de quoi s’y perdre, ce d’autant que ces deux signes font partie intégrante du Horton.
Si les signes visuels, intermittents ou fluctuants, sont des symptômes hautement évocateurs et que la diplopie est citée, elle est moins évocatrice que le scotome intermittent en terme d’alerte. La cécité irréversible peut inaugurer, en apparence, le tableau clinique.
Il est certain que l’hyperesthésie du cuir chevelu est assez caractéristique et volontiers déclenchée lors de l’effleurement de la peau par le peigne ou l’oreiller ; elle est parfois associée à la claudication intermittente de la mâchoire (toujours citée, souvent présente ?) et aussi à la PPR qui, présente dans 50 % des cas (douleurs des ceintures pelviennes et myalgies), est une façon de découvrir la maladie.
Malheureusement, si la présence d’une artère temporale anormalement saillante, indurée et non sensible sous une peau tendue et œdématiée, est décrite partout, elle n’est pas si fréquente (dans mon expérience de peu de cas, jamais), mais surtout son absence n’élimine pas le diagnostic. Dans certains cas, c’est sous le masque d’une altération de l’état général, d’une fièvre trainante que se révèle la maladie, avec autant d’errances diagnostiques.
Finalement, ce qui domine c’est la persistance de céphalées récentes et persistantes dans un contexte inflammatoire chez un patient âgé : céphalées pulsatiles ou continues, temporales mais aussi irradiant en occipital…. ou moins bien définies.
Si la VS supérieure à 100 mm est très évocatrice, voire « symbolique » comme alerte, il faut se rappeler que des VS inférieures sont constatées fréquemment dans d’authentiques Horton et que son augmentation n’est pas parallèle à la gravité de la maladie.
La difficulté réside dans la précocité du diagnostic qui conditionne l’évolution.
Mais, dans certains cas, la biopsie (geste simple sous AL) est négative… les anomalies sont segmentaires ; si le bloc de biopsie (d’au moins 1 mm, vire de 2 ou 3 mm) a été épuisé et est négatif… alors comment remettre en cause ce diagnostic, une fois la corticothérapie installée : cela rend parfois prudent ! Or c’est le seul examen de certitude.
Mention sur ce cas : si, dans ce cas précis, les échanges téléphoniques ont facilité l’obtention de RDV rapides, ils ont peut-être aussi été facteur d’une déperdition d’informations, chez ce patient qui ne rapportait pas à chacun les différents éléments du « puzzle ».
Bref, c’est la vraie vie… de médecins.
EXTRAITS :
« Un signe plus rare est la diplopie monoculaire : diplopie par dédoublement de l’image au niveau de l’œil atteint, ne disparaissant pas à l’occlusion de l’autre œil, contrairement à la diplopie binoculaire des paralysies oculo-motrices ».
« Les experts de l’American College of Rheumatology (A.C.R.) ont proposé en 1990 des critères de classification diagnostique de la maladie de Horton. Les critères retenus sont au nombre de 5 :
• début des symptômes après 50 ans,
• douleur nouvellement installée de l’extrémité céphalique, ou douleur de l’extrémité céphalique d’un type nouveau (pour les patients aux antécédents de céphalée),
• vitesse de sédimentation supérieure à 50 mm à la première heure,
• sensibilité de l’artère temporale à la palpation ou diminution du pouls temporal (non due à une artériosclérose cervicale),
• vascularite sur une biopsie artérielle caractérisée par un infiltrat à prédominance de cellules mononucléées, ou de type granulomateux (habituellement avec des cellules géantes multinucléées).
L’association de 3 des 5 critères accorde pour l’artérite temporale une sensibilité de 93,5 % et une spécificité de 91,2 % ».
les pièges diagnostiques pour la maladie de Horton - Revue revmed.ch
Les troubles visuels transitoires ... www.em-select.com
Maladie de Horton dans le grand âge www.chups.jussieu.fr
Maladie de Horton. Pr Magy-Bertrand www.chu-besancon.fr
www.chu-besancon.fr/geriatrie/5et6mai/HORTON.pd
Professeur Christian MASSOT (2002), La maladie de Horton www-sante.ujf-grenoble.fr/
Cataracte : ce qu’il faut savoir www.univ-st-etienne.fr/saintoph/
Très belle observation.Il faut remarquer la tenacité des généralistes rarement rapportée!
Très intéressant compte rendu de cette longue histoire, et du piège quasi imparable, sauf à y penser toujours devant une céphalée persistante, nouvelle, chez un sujet de plus de 50 ans.