Un homme de 67 ans souffrant d'une maladie coronaire est pris en charge dans le cadre d'une intervention carotidienne non-urgente. Sur indication de l'anesthésiste, celui-ci interrompt son traitement antiagrégant plaquettaire, ce qui va entraîner son décès 3 jours plus tard. L'anesthésiste et le chirurgien voient leur responsabilité engagée en raison d'un défaut de communication.
Le 7 janvier 2017, un patient de 67 ans suivi depuis de nombreuses années pour une hypertension artérielle équilibrée par Coveram 5/5® consulte son cardiologue traitant, le Dr A…, pour un contrôle.
Lors de la consultation, l’examen clinique du patient, par ailleurs asymptomatique, est normal. L’électrocardiogramme retrouve de nombreuses extrasystoles auriculaires et une onde Q postérieure. Le cardiologue programme une échographie cardiaque et un test d’effort.
Le 1er février 2017, l’échocardiographie cardiaque est normale. L’échographie carotidienne retrouve une sténose carotidienne interne droite serrée à 70 % avec une plaque d’aspect mou. Un angio-scanner confirme ces données avec une sténose de 2 cm mesurée à 80 %, associée à une oblitération de la vertébrale droite. Absence de lésion à gauche.
Le 7 février, une épreuve d’effort sur cyclo-ergomètre permet d’atteindre 99 % de la FMT pour une charge de 150 W. Cette épreuve est considérée comme négative cliniquement et électriquement mais le passage en arythmie complète par fibrillation auriculaire lors de la récupération, associé à des triplés ventriculaires justifie la recherche d’une maladie coronaire sous-jacente.
Le même jour, le patient consulte un chirurgien vasculaire qui lui explique les bénéfices et les risques d’une endartériectomie de la carotide interne droite prophylactique. Le chirurgien insiste sur le fait que cette sténose est parfaitement asymptomatique, que le patient bénéficie maintenant d’une antiagrégation plaquettaire (aspirine 300 mg) et d’une statine (Atorvastatine® 40 mg) et que son état de santé ne doit pas faire remettre à plus tard les vacances qui sont prévues.
Sur la suggestion du cardiologue traitant et, en raison des troubles du rythme constatés lors de la récupération de l'épreuve d'effort, le chirurgien contacte un cardiologue interventionnel, le Dr B., exerçant dans la même clinique, pour programmer une coronarographie.
Le 8 février 2017, au lendemain de la consultation du chirurgien, le Dr B. réalise une coronarographie, qui met en évidence une maladie coronaire sévère associant une sténose significative calcifiée du tronc commun distal, une sténose significative de l’IVA proximale et moyenne, une atteinte significative diffuse de l’IVA distale, une sténose significative de la première diagonale, une sténose significative de la deuxième diagonale, des sténoses intermédiaires de la circonflexe proximale et moyenne, une sténose significative de la rétro ventriculaire et une occlusion chronique de la coronaire droite reprise par le réseau gauche. Ces constatations rendent difficile une option chirurgicale et après discussion, les angioplasticiens de la clinique optent pour la réalisation d’une revascularisation par angioplastie en commençant par la lésion du tronc commun.
Cette procédure est programmée pour le 13 février. Au décours de la coronarographie, le Dr B. rédige une ordonnance indiquant l’arrêt de l’aspirine 300 mg, l’introduction de Brilique® 90 mg deux par jour, de Kardégic® 160 mg 1 par jour, de Tenormine® 100 mg 1 par jour et de Tahor® 40 mg 1 par jour.
Le 10 février, soit deux jours plus tard, le patient se rend, dans la même clinique, à la consultation préanesthésique programmée pour l’intervention carotidenne du 27 février. L’anesthésiste ne semble pas avoir connaissance des résultats de la coronarographie et de la décision d’angioplastie coronaire programmée trois jours plus tard. Il a toutefois connaissance du traitement antiagrégant en particulier, du Brilique® dont il prescrit l’arrêt dix jours avant l’intervention sur la carotide, soit le 17 février 2017.
Le 13 février, comme prévu, la procédure d’angioplastie coronaire est réalisée chez le patient par le Dr B., associant "une angioplastie du tronc commun vers la circonflexe proximale par Rotablator avec mise en place d’un stent actif, POT et kissing avec l’IVA ostiale puis une angioplastie de l’IVA proximale et moyenne avec un stent actif". Le traitement de l’artère coronaire droite est programmé dans un second temps. Dans une lettre adressée au chirurgien, au décours immédiat de l’angioplastie coronarienne, le Dr B. propose de poursuivre la double anti-agrégation plaquettaire pendant au moins un an. Le patient peut rejoindre son domicile le lendemain de la procédure, les suites étant tout à fait simples.
Le 17 février, conformément à la prescription faite lors de la consultation préanesthésique, le patient interrompt la prise du Brilique®.
Le 20 février à 11 heures du matin, alors qu’il regarde la télévision, le patient est victime d’un malaise qui justifie l’appel du SMUR. A son arrivée, 30 minutes plus tard, le patient est en arrêt cardiorespiratoire. Un choc électrique externe est réalisé et une réanimation cardiaque entreprise durant 50 minutes.
Aucune reprise d’activité électrique n’étant constatée, le décès est déclaré.
Saisine de la Commission de Conciliation et d'Indemnisation (CCI), en janvier 2019 par la famille du patient pour obtenir réparation du préjudice.
D'après les experts, l’un cardiologue et l’autre anesthésiste-réanimateur, tous deux exerçant en libéral :
"(…) En l’absence d’autopsie, l’hypothèse la plus vraisemblable pour expliquer le décès est un trouble du rythme ventriculaire chez un patient présentant une maladie coronaire sévère, ayant bénéficié huit jours plus tôt d’une procédure complexe d’angioplastie avec un risque significatif de thrombose et ayant interrompu le traitement antiagrégant trois jours plus tôt, ce qui a favorisé une thrombose coronaire massive au niveau du tronc commun avec ischémie d’aval.
Concernant la prise en charge médicale du patient, dans le cadre d’un bilan cardiologique systématique chez un patient asymptomatique, ont été réalisés des examens complémentaires non invasifs qui ont mis en évidence une sténose carotidienne de 70 % avec une plaque molle et des lésions au niveau de la vertébrale homo latérale. La prescription d’une épreuve d’effort et d’une échocardiographie était légitime et justifiée.
Le chirurgien vasculaire proposait une endartériectomie de la carotide. Ce choix discutable était justifié sur les caractéristiques de la plaque susceptible d’embolisation, le degré de la sténose et l’existence de lésions associées. Le chirurgien en a explicité les avantages et les inconvénients au patient de manière claire, suivant en cela les recommandations. Dans le cadre de la démarche préopératoire, il a légitimement programmé une consultation préanesthésique.
En parallèle, suivant les recommandations du cardiologue du patient, il a programmé une coronarographie, bien que l’épreuve d'effort soit négative, mais qui était justifiée par l’existence du trouble du rythme constaté à la récupération. Cette coronarographie a été réalisée dans des conditions techniques parfaites, par le Dr B. cardiologue interventionnel, mais ses résultats avec mise en évidence d’une maladie tritronculaire sévère ont constitué une surprise qui changeait complètement le statut du patient. Ces lésions tritronculaires auraient dû justifier une information détaillée pour le patient afin de lui expliquer les modalités de la prise en charge qui en découlait avec la possibilité d’un pontage aorto-coronaire.
Il n’a pas été possible de nous fournir le résultat d’une réunion pluridisciplinaire entre le Dr B. et les chirurgiens cardiaques pour discuter du choix thérapeutique.
Le score Syntax (NB : évaluation pour chaque lésion coronarienne, de l’étendue du territoire à risque et de la sévérité de la lésion anatomique) du patient peut facilement être évalué, il est supérieur à 22, avec l’association d’une lésion du tronc commun et d’une occlusion de la coronaire droite. Dans ce contexte, le choix d’un pontage aorto-coronaire aurait été légitime.
Deux jours plus tard, le patient consultait l’anesthésiste dans le cadre du bilan préopératoire de sa sténose carotidienne. Celui-ci n’est pas au courant de la coronarographie réalisée deux jours plus tôt dans le même établissement, le patient n’est pas sensibilisé et ne lui en a pas fait part. Toutefois l’anesthésiste retrouve la notion de Brilique® dans l’ordonnance du patient. Il n’a pas la notion du motif de cette prescription, ni de la durée du traitement. Il ne recherche pas l’information, mais il va toutefois prescrire l’interruption du traitement 10 jours avant l’intervention sur la carotide pour le 17 février, sans enquêter plus avant.
Concernant l’information du patient, celui-ci a été correctement informé de l’existence de sa sténose carotidienne asymptomatique, des bénéfices et des inconvénients de l’endartériectomie selon les recommandations. Il ne semble pas avoir bénéficié d’une information sur la gravité des lésions coronaires et sur les conséquences de celles-ci. Il n’y a pas la notion d’une sensibilisation à ce type d’informations, ni d’un choix thérapeutique entre un éventuel pontage aorto-coronaire et une angioplastie. Le patient a-t-il rencontré au décours de la coronarographie et au décours de l’angioplastie le Dr B. ? Celui-ci a-t-il délivré au patient oralement l’information sur son état et les impératifs thérapeutiques ? Il ne semble pas. Ce manque est attesté par le comportement du patient lors de la consultation préanesthésique. Il ne fait pas état de la coronarographie et de ses résultats. Il ne semble pas avoir été non plus averti des risques de l’arrêt du Brilique® au décours de la procédure d’angioplastie.
L’anesthésiste, en prescrivant 10 jours avant l’intervention sur la carotide l’arrêt du Brilique®, ne répond pas aux recommandations qui suggèrent de remettre toute intervention non urgente, dans les 3 à 6 mois qui suivent une angioplastie avec pose de stents en raison du risque de thrombose.
Le chirurgien, qui a prescrit la coronarographie, aurait dû, en recevant le résultat, annuler l’intervention sur la carotide mais il a été rassuré par le courrier de l’angioplasticien. C’est lui qui a initié la double démarche en parallèle pour aboutir à son intervention non indispensable. Sa responsabilité peut être évaluée à 10 % de la perte de chance subie par le patient.
Le Dr B., cardiologue interventionnel, a réalisé des gestes techniques de très haut niveau mais à haut risque dont l’indication n’a pas été discutée avec les chirurgiens cardiaques malgré un score Syntax élevé. Par ailleurs, il n’a pas communiqué de manière explicite avec son patient, en particulier de l’impérieuse nécessité de ne pas interrompre le traitement antiagrégant. Sa responsabilité peut être évaluée à 70 %.
L’anesthésiste, chargé de la consultation préanesthésique, en constatant un traitement par Brilique®, aurait dû enquêter pour connaître le motif de cette prescription qui ne s’intégrait pas avec l’intervention sur la carotide avant d’arrêter ce traitement antiagrégant. Sa responsabilité peut être évaluée à 20 %.
Il apparaît clairement un problème de communication entre les différents intervenants exerçant, pourtant, dans la même clinique :
Concernant la perte de chance subie par le patient, ce dernier présentait une maladie coronaire sévère tri tronculaire dont l’évolution naturelle se fait vers l’aggravation avec survenue d’infarctus du myocarde, de mort subite et d’insuffisance cardiaque d’origine ischémique.
Il a bénéficié d’un traitement qui aurait dû retarder l’évolution de sa maladie. Toutefois la mise en place de stent après une procédure d’angioplastie constitue un traumatisme endo-artériel au niveau coronaire favorisant la survenue de thrombose, surtout au décours immédiat de la procédure, ce qui nécessite, pour diminuer le risque, une double anti-agrégation plaquettaire.
La maladie coronaire, la procédure d’angioplastie, l’arrêt précoce du Brilique® constituent les trois mécanismes ayant favorisé le décès du patient dans la proportion de 20 % pour la maladie coronaire, de 50 %, pour la procédure d’angioplastie et de 30 % pour l’arrêt du Brilique® (…)"
La Commission, après en avoir délibéré, considère que :
"(…) L’indication d’endartériectomie de la carotide par le chirurgien vasculaire était conforme aux recommandations, lorsqu’elle a été posée à l’issue de la consultation du 7 février 2017. En outre, il était conforme de programmer une consultation préanesthésique en vue de cette chirurgie et de programmer en parallèle une coronarographie à la recherche d’une éventuelle maladie coronaire sévère sous-jacente.
Contrairement à l’avis des experts, le maintien de l’indication de la chirurgie carotidienne ne peut être considéré comme contraire aux bonnes pratiques dans la mesure où cette indication avait été rediscutée avec le cardiologue, que le chirurgien avait connaissance de la double anti-agrégation plaquettaire récemment instituée et qu’il lui appartenait, dès lors, de décider d’opérer ou non le patient dans ce contexte. Néanmoins il aurait dû revoir son patient afin de l’informer de cette nouvelle situation, des implications d’une chirurgie sous double anti-agrégation plaquettaire et des risques spécifiques d’une intervention dans ce contexte. En outre, le chirurgien aurait dû prévenir l’anesthésiste de ce changement et prévoir une nouvelle consultation d’anesthésie préopératoire.
Dès lors, le comportement du chirurgien n’a pas été conforme aux règles de l’art.
Ce comportement non conforme et le défaut d’information du patient qui en a résulté, ont directement participé à l’arrêt du Brilique® par le patient. Cet arrêt du traitement antiagrégant plaquettaire a exposé le patient à un risque accru de thrombose dans un contexte récent d’angioplastie coronaire. Ainsi, si la faute commise par le chirurgien n’a pas été directement à l’origine du décès du patient, qui résulte très probablement de la survenue d’une thrombose coronaire massive, elle a fait perdre une chance de l’éviter.
Le Dr B. cardiologue interventionnel a réalisé, selon les experts, la coronarographie du 8 février et l’angioplastie du 13 février 2017 dans les règles de l’art. Le dossier médical du patient a été renseigné, en particulier s’agissant du nouveau traitement antiagrégant instauré, dont le Dr B. a informé le chirurgien avec lequel il a rediscuté de l’indication de la chirurgie carotidienne.
Il a renouvelé la prescription de Brilique® dans les suites du geste d’angioplastie, conformément aux recommandations en vigueur, en informant le patient de l’impérieuse nécessité de ne pas l’arrêter et de le poursuivre pour une durée d’au moins un an.
La prise en charge du patient par le Dr B. a été conforme aux règles de l’art.
Dès lors, en l’absence de preuve d’une faute commise par ce praticien, les conditions légales pour établir sa responsabilité ne sont pas établies.
L’anesthésiste qui a assuré la consultation de préanesthésie du 10 février 2017 programmée pour l’intervention de chirurgie carotidienne du 27 février 2017, a prescrit l’arrêt du traitement antiagrégant par Brilique®, dix jours avant l’intervention sur la carotide.
Lors de cette consultation, ni la réalisation deux jours auparavant de la coronarographie diagnostique, ni la procédure d’angioplastie prévue trois jours plus tard ne sont évoquées. Avant d’interrompre le Brilique®, l’anesthésiste aurait dû prendre connaissance du dossier médical du patient auquel il avait accès, interroger ce dernier pour connaître les motifs de prescription du traitement antiagrégant et contacter son confrère cardiologue interventionnel qui exerçait au sein du même établissement pour décider, en concertation, de la conduite à tenir.
En l’absence de ces investigations complémentaires, l’anesthésiste a prescrit l’arrêt du Brilique®. Cette prescription n’était pas conforme aux règles de l’art dans ce contexte d’angioplastie récente. L’arrêt du Brilique® par le patient quelques jours plus tard, conformément à la prescription de l’anesthésiste, a favorisé la survenue de la thrombose coronaire massive et a ainsi participé à la survenue de son décès.
Ainsi, si la faute commise par l’anesthésiste n’a pas été directement à l’origine du décès du patient, qui résulte très probablement de la survenue d’une thrombose coronaire massive, elle a fait perdre une chance de l’éviter.
Dès lors, la responsabilité de l’anesthésiste est engagée.
Le décès du patient résulte de l’évolution défavorable de la maladie coronaire sévère tritronculaire qu’il présentait et qui l’exposait à un risque de mort subite, d’infarctus du myocarde et d’insuffisance cardiaque d’origine ischémique.
Mais les fautes commises par le chirurgien et l’anesthésiste ont conduit à l’arrêt du traitement antiagrégant plaquettaire, exposant le patient à un risque accru de thrombose coronaire, d’autant qu’il venait de bénéficier d’une angioplastie avec mise en place d’un stent, ce qui constitue un traumatisme endo-artériel au niveau coronaire avec un risque majoré de survenue de thrombose au décours de la procédure.
Il est possible d’estimer que le décès du patient est imputable à son état antérieur et à la maladie coronaire sévère qu’il présentait à hauteur de 70 % et à l’arrêt du Brilique® à hauteur de 30 %.
Dès lors, les fautes ayant conduit à l’arrêt du Brilique® ont fait perdre au patient une chance globale de 30 % d’éviter la survenue du décès qui doit être partagée à part égale entre le chirurgien à hauteur de 15 % (soit 50 % de 30 %) et l’anesthésiste à hauteur de 15 % (soit 50 % de 30 %) (…)".
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