Une patiente de 48 ans décède d'une embolie pulmonaire en post-opératoire d'une continuité intestinale. Analyse d'un cas clinique qui met en évidence l'absence d'enquête étiologique chez cette patiente à risque élevé.
En octobre 2016, après plusieurs poussées de diverticulite sigmoïdienne, une patiente de 48 ans subit une hémicolectomie gauche avec rétablissement de la continuité. Les suites sont marquées par une fistule de l’anastomose ayant entraîné une reintervention consistant en une opération d’Hartman avec réalisation d’une colostomie gauche.
En mars 2017, la patiente est revue en consultation par le chirurgien pour décider du rétablissement de la continuité.
Le 4 avril 2017, lors de la consultation préanesthésique, il est mentionné une obésité (88 kg pour 1,60 m, soit un IMC à 34), une BPCO post-tabagique, mais un antécédent de phlébite signalé par la patiente dans le questionnaire n'est pas retenu par l’anesthésiste, sans en indiquer la raison. La patiente est classée ASA 3.
Le 19 avril 2017, le chirurgien rétablit la continuité intestinale par une anastomose colorectale et pratique, en sus, une, salpingectomie en raison de la découverte d’une infection annexielle. L’intervention et l’anesthésie (Dr A.) se déroule sans problème particulier.
Les prescriptions post-opératoires comportent des perfusions (2000 ml Bionolyte + 3 ampoules d'Acupan®/I) pour 4 jours, une analgésie par morphine en PCA (analgésie contrôlée par le patient) après titration, associée au paracétamol et au tramadol, une oxygénothérapie, et une prévention de la maladie thromboembolique par Lovenox® 4000 UI SC 20 h et 8 h, pendant 2 jours. Absence de prescription de bas de contention.
Les suites sont assurées dans l'unité de surveillance continue (USC) de la clinique, sous la responsabilité des anesthésistes-réanimateurs. Dans son rapport, l’expert souligne que :
"L'analyse du dossier, surtout des transmissions, montre qu'il n'y a aucun écrit médical, tout se passe par téléphone, alors qu'il apparaît manifestement un certain nombre de problèmes. La reconstitution du séjour repose donc sur les transmissions infirmières."
Le 20 avril 2017 (J1)
Le 21 avril 2017 (J2)
FC | PA | FR | Sp02 | |
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20 h 40 - 21 h 55 | 116-130 | 125/64 | 36-53 | 100 |
21 h 55 - 22 h 50 | 113-135 | 122/73 | 39-53 | 80-99 |
22 h 50 - 23 h50 | 110-124 | 112/32 | 29-45 | 78-97 |
23 h 50 - | 103-124 | 94/47 | 24-38 | 34-92 |
22 avril 2017 (J3)
A noter que, dans les suites opératoires, la température n’avait pas dépassé 38°C, une injection SC de 4000 Ul de Lovenox® avait été faite le 19 avril à 22 h, le 20 avril à 8 h et 20 h, le 21 avril à 21 h (l’injection du 21 avril à 8 h n’avait pas été réalisée).
La famille de la patiente saisit la Commission de conciliation et d'indemnisation (CCI) pour obtenir réparation du préjudice qu'elle avait subi.
La sœur de la patiente stipulait d'emblée que :
"(…) elle n'avait aucun reproche à faire au chirurgien qui avait opéré sa sœur six mois auparavant et réalisé une intervention tout à fait parfaite et qui était connu pour son sérieux et ses compétences. Ses reproches allaient essentiellement à la clinique et notamment aux infirmières car elle estimait que sa sœur n'avait pas été surveillée correctement.
Lorsqu'elle était allée la voir, elle l'avait trouvée essoufflée, pas bien, très anxieuse et cela l’avait très inquiétée. Elle l’avait signalé à plusieurs reprises aux infirmières qui lui avaient dit qu'elles viendraient s'occuper de sa sœur mais manifestement elles ne s'en étaient pas occupées (...)".
La belle-sœur de la patiente était venue la voir le lendemain. elle avait constaté :
"(…) les mêmes choses que la veille, une agitation, un essoufflement, une sensation de mort imminente. Elle avait sollicité à plusieurs reprises les infirmières, aucune n'avait appelé ni un anesthésiste, ni un chirurgien et cela avait abouti au décès de sa belle-sœur dans la nuit. Elle estimait, comme toute sa famille, qu'il y avait eu soit un problème de surveillance, soit une erreur médicale (..)".
Pour les experts, l’un professeur émérite des universités, chirurgien digestif, l’autre, praticien hospitalier, anesthésiste-réanimateur :
"(…) L’indication opératoire de rétablissement de la continuité ne pose aucun problème, elle était justifiée. L’intervention a été réalisée par un chirurgien habitué à cette pratique chirurgicale. La lecture du compte rendu opératoire n'amène aucun commentaire. II en est de même pour le déroulement de l'anesthésie.
Concernant la préparation à l'intervention, il faut rappeler que la chirurgie colorectale expose à des complications thromboemboliques, embolie pulmonaire (EP) ou thrombose veineuse profonde (TVP). D’après la littérature, le risque de TVP distale, estimé par des examens paracliniques, varie entre 20 à 40 %, et celui de TVP proximale de 3 à 8 %. L'incidence des EP est de 1,5 à 4 % ; elle est de 0,4 à 1 % pour les EP mortelles. La prévention de ces complications est fondée :
- sur une antîcoagulation par Lovenox® 4000 Ul SC/24 h en cas de risque élevé et pour une durée de 7 à 10 jours,
- sur les moyens mécaniques (bas de contention) dont l’association avec les traitements anti thrombotiques est bénéfique.
La patiente, malgré un risque prévisible important de complications thromboemboliques (âge ≥ 40ans, sexe féminin, IMC ≥ 30, tabagisme) a eu un traitement anticoagulant préventif aléatoire (prescription arrêtée, puis reprise). Il n'y a pas eu de prescription de bas de contention.
Concernant la surveillance post-opératoire. En unité de surveillance continue (USC), le médecin anesthésiste d'astreinte est chargé d'une contre-visite le soir et intervient sur appel. Le chirurgien passe également le matin, voir la patiente.
Si le geste chirurgical n'a pas posé de problème, il n’en est pas de même des soins post-opératoires. Dès le 20 avril 2016, il est apparu des signes évoquant une complication thromboembolique : douleur d’une jambe, tachycardie, essoufflement, agitation, modification de la Sp02, qui devaient alerter le personnel soignant et le personnel médical. Ils n'ont pas été pris en compte malgré les alertes répétées de la famille.
Ces signes inquiétants n’ont fait l'objet que d'un banal traitement symptomatique, sans examen clinique et sans examen complémentaire à l’exception d'une biologie standard. Il n’a été prescrit ni gaz du sang, ni ECG, ni radiographie pulmonaire. La tachycardie soutenue a été traitée de façon purement symptomatique par un bêtabloquant, sans démarche étiologique. Ce médicament a pu jouer un rôle néfaste dans la survenue de l'arrêt circulatoire. De même, le traitement de l'agitation qui témoignait d'un manque d'oxygène cérébral a été traité de façon symptomatique et dangereuse par un neuroleptique.
En USC, les médecins, à savoir le chirurgien et les anesthésistes Drs A. et B. auraient dû s'inquiéter de l'état de la patiente dès le 20 avril. La prescription de Ténormine® et Loxapac® a été particulièrement inappropriée et témoigne de l'absence de démarche diagnostique. II en est de même de la prescription aléatoire d'antibiotiques à J1.
Les IDE de la clinique ont probablement manqué de bienveillance auprès de la patiente mais leur surveillance a été effective, avec des transmissions écrites et des appels aux médecins.
La réanimation de l'arrêt circulatoire par les IDE avant l’arrivée de l’anesthésiste n'a pas été conforme aux recommandations : absence de ventilation manuelle, absence de mise en place d’un défibrillateur utilisable par des IDE : défibrillateur semi-automatique (DSA) ou défibrillateur automatisé (DAE), mais ce type d’appareil n’existait pas dans la clinique.
Ces manquements ont entraîné, pour la patiente, une perte de chance de 90 % de ne pas avoir d'embolie pulmonaire et surtout de ne pas en décéder. Cette perte de chance est à partager pour :
- 80 % entre le chirurgien et les anesthésistes Drs A. et B. en raison d’une prévention insuffisante de la maladie thromboembolique chez une patiente à risque élevé, de l'absence de diagnostic et de prise en charge précoce de l'embolie pulmonaire. Il est impossible de segmenter entre les différents intervenants qui tous, à un moment donné, ont eu une responsabilité dans cette évolution. En outre, on relève l'absence de dossier médical depuis la sortie du bloc jusqu'au décès.
- 20 % pour la clinique, en raison d’un défaut d'organisation de la permanence médicale (absence de procédure), d’un défaut de matériel en USC (absence de défibrillateur automatique) et de l'absence de ventilation par les IDE dans la prise en charge de l'arrêt circulatoire. (…)".
La CCI retenait les conclusions des experts et confirmait le pourcentage de perte de chance qu’ils avaient proposé ainsi que sa répartition, soit :
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