Un résultat de biopsie ganglionnaire est classé dans le dossier du patient sans lui être communiqué. Il s'en suit un retard diagnostique de 19 mois d'une maladie de Hodgkin. Découvrez l'analyse détaillée de ce cas clinique dans lequel plusieurs médecins sont mis en cause.
Un homme de 34 ans est victime d'un accident de scooter durant l'été 2014. Dans les suites, il se plaint de douleurs thoraciques prédominant à droite, associées à des épisodes de sueurs qui l’amènent à consulter son médecin traitant. Ce patient exerce la profession d’ouvrier maçon mais semble ne plus avoir d’activité régulière depuis 2012. L’interrogatoire retrouve une intoxication alcoolo-tabagique ancienne et, en 2004, une pleuropneumopathie du lobe inférieur gauche ayant conduit à une pleurésie enkystée, traitée par décortication en juillet 2005.
Le 7 septembre 2014, un scanner thoracique est réalisé à la demande du médecin traitant, concluant à :
"Présence d'adénopathies médiastinales d'allure primitive. Par ailleurs, très volumineuse masse ganglionnaire dans le creux axillaire droit, mesurée à 35 mm".
Le 15 septembre 2014, le médecin généraliste évoque la nécessité d'un nouveau scanner thoracique et souhaite un avis pneumologique.
Le 18 septembre 2014, de sa propre initiative, le patient consulte le pneumologue l’ayant pris en charge en 2004 pour sa pleuropneumopathie. Ce dernier confirme l'existence de volumineuses adénopathies axillaires droites et médiastinales. Il propose un traitement par antibiotique et corticoïde (Augmentin® - Celestene®) dans l'hypothèse d'un "hémothorax post-traumatique".
Le 25 septembre 2014, le médecin traitant évoque une mononucléose infectieuse mais aucun bilan biologique n'est réalisé dans ce sens.
Le 21 novembre 2014, un nouveau scanner thoracique, réalisé par le même radiologue montre la persistance des lésions précédemment décrites et qui semblent avoir légèrement augmenté de volume.
Le 24 novembre 2014, le pneumologue revoie le patient. Les adénopathies persistent et ont même augmenté de volume. Il envisage une biopsie sous échographie ou chirurgicale et propose d’en discuter avec le radiologue (absence de courrier).
Le 28 novembre 2014, le radiologue, réalise la biopsie par ponction sous échographie d'une adénopathie axillaire droite. Elle est envoyée au laboratoire d'anatomo-pathologie. Aucun courrier n’est adressé au médecin généraliste, ni au pneumologue.
Le compte rendu de l’anatomopathologiste, en date du 10 décembre 2014 conclue à :
"Biopsie axillaire d'interprétation difficile ne permettant pas d'éliminer ou d'affirmer un processus inflammatoire de type mononucléose infectieuse ou une lésion lymphomateuse. Le prélèvement est envoyé au chef du service d’anatomo-pathologie pour avis".
Ce compte rendu est adressé, par coursier, au radiologue. Il est envoyé par courrier au médecin traitant et au pneumologue.
Le 24 décembre 2014, le chef de service d’anatomopathologie du CHU adresse le complément de réponse suivant :
"Lésion suspecte d'un lymphome hodgkinien. Cependant une mononucléose infectieuse ne peut être exclue. Prélèvement à refaire".
Ce nouveau compte rendu est donné, par coursier, au radiologue Il est envoyé par courrier au médecin traitant et au radiologue.
Le médecin traitant déclare ne pas avoir reçu directement ce compte-rendu et évoque la possibilité d'une numérisation de ce document directement dans le dossier informatique du patient. Le pneumologue, selon ses dires, n'a pas reçu ce document.
Le radiologue range ce document dans le dossier du patient, sans donner suite. L’anatomo-pathologiste fournit, lors de l'expertise, l'attestation de l'envoi de ce document par son secrétariat, qui est jugée comme étant "difficilement compréhensible" par l'ensemble des participants à l'expertise.
Le 12 décembre 2015, soit un an plus tard, le patient consulte aux urgences du CHU pour des douleurs thoraciques :
"Patient apyrétique, auscultation normale, radio thorax normale, bilan biologique normal. Prescription de Topalgic® et de paracétamol".
Ce traitement atténue les douleurs et ce n’est que 6 mois plus tard, le 4 juin 2016, que le patient reconsulte son médecin traitant pour, à nouveau, une volumineuse adénopathie axillaire droite associée à du prurit.
Une échographie est demandée et confirme le diagnostic clinique. A la suite de ce résultat, et devant la forte insistance du patient, le médecin traitant fait une recherche plus attentive dans son ordinateur et parvient à retrouver le compte rendu de la biopsie ganglionnaire de décembre 2014.
Le 10 juillet 2016, un PET scan conclue à :
"Hyper métabolisme ganglionnaire sus et sous diaphragmatique suspect, compatible avec une pathologie lymphomateuse".
Le 4 août 2016, le patient est adressé à un oncologue médical qui programme un prélèvement ganglionnaire.
Le 17 août 2016, ce prélèvement ganglionnaire est réalisé par voie chirurgicale en clinique. L’examen anatomopathologique retient le diagnostic de maladie de Hodgkin classique scléro-nodulaire, résultat confirmé par le chef du service d’anatomopathologie.
Le 9 septembre 2016, le patient est adressé en consultation d’hématologie où le diagnostic retenu était celui de maladie de Hodgkin stade III Aa, avec une atteinte sus et sous diaphragmatique mais en l'absence de signes généraux et de signes biologiques d'inflammation. Il ne semble pas qu’une biopsie ostéomédullaire ait été faite.
Le 14 septembre 2016, lors d’une hospitalisation en clinique, une chambre implantable (dispositif PAC) est posée en situation jugulaire droite.
La chimiothérapie de type ABVD est débutée le 20 septembre 2016 et poursuivie sur 6 cures.
Le 19 octobre 2016, changement de PAC en raison de douleurs sur le premier dispositif.
Le 23 novembre 2016 (après deux mois de chimiothérapie, un nouveau PET scan donne des résultats très satisfaisants avec quasi normalisation de la fixation des adénopathies sous-pectorales et axillaires droites, disparition des autres foyers et absence d'apparition de nouveau foyer suspect.
Le 28 février 2017, fin de la chimiothérapie (6 cures ABVD).
Le 22 mars 2017, le PET scan est normal.
Le 18 décembre 2017, consultation d’hématologie :
"On peut conclure à la persistance de la rémission complète".
Le patient saisit la Commission de Conciliation et d'Indemnisation (CCI) pour obtenir réparation du préjudice qu'il a subi. Il déclarait :
"En Décembre 2014, suite à des douleurs thoraciques j’avais consulté mon médecin traitant, ainsi que le pneumologue m’ayant pris en charge lors de mon épisode de pleurésie purulente opérée en 2005. Après quelques examens, radios, scanners, Il avait été décidé de me faire faire une biopsie par le médecin radiologue, biopsie dont je n'ai jamais pu récupérer les résultats. Le laboratoire ayant refusé de me les remettre, arguant que s'il y avait un souci, les médecins me contacteraient, les résultats ayant été envoyés à mon médecin traitant, à mon pneumologue et au radiologue ayant réalisé la biopsie. Je ne me suis donc pas inquiété, pensant qu'en effet s'il y avait un problème au moins un des 3 médecins, m'aurait alerté... Et que je récupérerais les résultats à ma prochaine visite chez mon généraliste. Entre temps, les douleurs thoraciques et d'horribles démangeaisons persistant, j'ai également consulté, le service des urgences du CHU, fin 2015 mais là aussi, rien de particulier si ce n'est un traitement antalgique. Je suis retourné voir mon médecin traitant et lui ai réclamé les résultats de la biopsie de décembre 2014. Mais ce dernier m'a répondu qu'il ne les avait pas. Compte tenu que ceux-ci avaient été transmis également au pneumologue et au radiologue, je me suis dit que s'il y avait eu un souci dans tous les cas, ces derniers en auraient informé mon médecin traitant. Courant avril 2016, j’ai constaté une masse énorme sous mon aisselle droite, tout en continuant de souffrir de démangeaisons, non calmées par l'Atarax®. Je vais donc consulter mon médecin traitant... Sur mon insistance, car je suis inquiet, il décide de me faire passer une échographie, qui dure d'ailleurs un long moment, et au cours de laquelle, je vois le radiologue « changer de tête ». De plus en plus soucieux, sentant que quelque chose n'allait pas, je réitère une fois de plus ma demande concernant la biopsie de décembre 2014. Mon médecin traitant cherche un peu plus sérieusement sur son écran d'ordinateur et s'écrie « je l'ai ! » Il me l'imprime et à la lecture des résultats, je le vois « se décomposer », Il décide aussitôt de m'envoyer consulter un oncologue. Dans la salle d'attente, je lis et relis attentivement les conclusions de la biopsie de décembre 2014 et m'aperçois qu'il y avait à ce moment là une suspicion de maladie de Hodgkin. Je suis stupéfait qu'aucun des 3 médecins ayant reçu les résultats n'ait cru opportun de me prévenir et de me faire passer des examens complémentaires, d'autant que le scanner de septembre 2014 laissait apparaître des adénopathies importantes. A partir de la première consultation avec l'oncologue, commence le parcours du combattant, bilans sanguins, PET scan, nouvelle biopsie et hélas le verdict tombe c'est bien un lymphome de Hodgkin stade 4, qui sera requalifié de stade IIIAa par l'hématologue, nécessitant une chimiothérapie assez lourde, protocole ABVD, qui débutera le 20/09/16. Depuis le 25 juillet 2016, je suis en rémission ainsi qu’en arrêt de travail (ALD), avec la reconnaissance d'un handicap de plus de 80 %. Je souffre toujours de violentes douleurs abdominales, j’ai perdu 30 kg et suis considérablement affaibli. De plus, cette négligence du corps médical m'a occasionné une méfiance dont j'ai du mal à me débarrasser et une peur panique de la rechute. Je vois un psychiatre depuis 2 mois car j'ai beaucoup de mal à digérer tout ça. Qu'est ce qui permet à ces médecins d'affirmer que le diagnostic tardif (19 mois) n'a pas de conséquence ? Je reste pour ma part persuadé que si la maladie avait été prise en charge plus tôt j'aurais été à un stade moins avancé, et aurais évité pas mal de souffrances, moins de chimio etc... et surtout je n'aurais pas eu cette perte de confiance envers le corps médical…" |
L’expert, praticien hospitalier, onco-hématologue estimait que :
"(...) Le patient, âgé de 34 ans au moment des faits a été atteint d'une maladie de Hodgkin diagnostiquée en août 2016, au stade IIIAa, traitée par chimiothérapie exclusive de type ABVD donnée sur 6 cures, entre le 20 septembre 2016 et le 26 février 2017. Le résultat thérapeutique est satisfaisant. Le PETscan du 22 mars 2017 est normal. La rémission se maintient sur le contrôle du 18 décembre 2017. Ce diagnostic a été retardé par une absence de prise en charge, après le premier prélèvement ganglionnaire réalisé par ponction le 28 novembre 2014. Le retard au diagnostic et à la mise en place du traitement a été de 19 mois. L'information donnée au patient semble avoir été réelle lors des explorations réalisées en septembre 2014. Elle a été donnée par le pneumologue et par le radiologue qui a effectué, sous échographie, la ponction biopsie du ganglion le 28 novembre 2014 (une biopsie chirurgicale aurait été préférable dans le contexte). L'information concernant le résultat de l'examen anatomopathologique a été absente, cette absence étant préjudiciable et totalement anormale. Quelle est la responsabilité des différents médecins intervenus ?
La responsabilité du patient doit également être évoquée car il aurait été logique qu'il cherche à se procurer ce résultat auprès de l'un de ces trois médecins. Les dires de la mère du patient, rassurée par les propos de la secrétaire de l’anatomopathologiste ("si vous n'avez pas les résultats, c'est qu'on n’a rien trouvé") ne sont pas à prendre en considération. Quel a été le préjudice subi par le patient à la suite de ces fautes ? En décembre 2014, la maladie était localisée dans la région axillaire droite et au niveau du médiastin ; il n'y avait pas de signes généraux (fièvre, amaigrissement), pas de signes biologiques d'inflammation. Il s'agissait donc d'un stade IIAa, susdiaphragmatique. Cependant, il n'y a pas eu d'étude des ganglions sous diaphragmatiques par scanner ou PETscan. Il n’est donc pas possible de se prononcer, à cette date, sur l'existence d'un stade II ou d'un stade III (avec atteinte des ganglions sous diaphragmatiques). Ce bilan d'extension a été réalisé le 10 juillet 2016, peu avant le diagnostic de certitude apporté par le prélèvement ganglionnaire du 17 août 2016. L'atteinte des ganglions sus et sous diaphragmatiques faisait retenir le stade III Aa (toujours sans signes généraux ni signes d'inflammation biologique). Le pronostic d'une maladie de Hodgkin au stade II ou au stade III est peu différent, la guérison étant obtenue dans 90 % des cas lors d'un stade IIAa, et dans 80 % des cas lors d'un stade IIIAa. En cas de stade III Aa, le traitement comporte 6 séances de chimiothérapie et, seulement 3 cures de chimiothérapie en cas de stade II Aa mais qui sont suivies de 33 séances de radiothérapie sus-diaphragmatique. Chez le patient, l'amélioration très rapide du PETscan, après deux cures de chimiothérapie était de bon pronostic, de même que l’absence d'évolution 10 mois après la fin de la chimiothérapie. Le traitement par chimiothérapie a été de tolérance acceptable et n'a pas induit de séquelles physiques significatives. En revanche, le retentissement psychologique du retard apporté au diagnostic doit être pris en charge et faire considérer un Déficit Fonctionnel Permanent (DFP) de 10 % (syndrome dépressif nécessitant une prise en charge spécialisée récente) (…) ». |
Se fondant sur les conclusions du rapport d’expertise, la Commission de Conciliation et d'Indemnisation (CCI) considérait que la prise en charge tardive de la maladie de Hodgkin diagnostiquée chez le patient en août 2016 mais largement suspectée en décembre 2014, relevait d'une prise en charge non conforme aux bonnes pratiques et avait été préjudiciable pour ce dernier.
Elle confirmait les fautes commises par le médecin traitant, le pneumologue et le radiologue. En revanche, elle excluait toute faute commise par l’anatomopathologiste qui avait a examiné le ganglion prélevé le 28 novembre 2014 :
"(…) Il avait reconnu le caractère suspect du ganglion prélevé qui ne semblait pas correspondre au diagnostic évoqué de mononucléose infectieuse. Il avait pris l'avis du chef du service d’anatomopathologie qui avait confirmé la suspicion de maladie de Hodgkin. La réalisation d’un deuxième prélèvement était indispensable, sous forme d’une biopsie chirurgicale. Les résultats avaient été adressés au médecin traitant et au pneumologue par courrier postal et au radiologue par coursier. Il résultait des éléments du dossier que les résultats des examens avaient été communiqués à l'ensemble des médecins appelés en la cause. La responsabilité du l’anatomopathologiste ne peut donc être engagée en l'espèce (…)". |
Pour la CCI, ces différents manquements ont été à l'origine d'un retard de diagnostic et donc, a fortiori, d'un retard de prise en charge à l'origine d'un traitement plus lourd comprenant trois cures de chimiothérapie supplémentaires.
Ils ouvrent droit à la réparation des préjudices qui en découlent, à hauteur de :
A lire aussi
Retard de diagnostic d'une appendicite
Retard de diagnostic de cancer pulmonaire
Choc septique non pris en compte