Un médecin généraliste est appelé au chevet d'une patiente de 58 ans présentant des troubles digestifs. Une gastro-entérite aiguë est diagnostiquée. La patiente décèdera 24 heures plus tard à son domicile.
Dans la soirée du 31 octobre 2016, au lendemain d’une fête d’anniversaire qui s’est bien passée, une femme de 58 ans est prise de vomissements et de diarrhée. Dans ses antécédents médico-chirurgicaux, on note des pathologies ORL et respiratoires banales (broncho-pneumopathie en 2003, sinusite, rhinite), une sciatalgie (2005), une cholécystectomie (2012), et un diabète non insulino-dépendant découvert en 2012 mais très modéré (HbA1c = 6,1 %).
Cette femme n’a pas d’activité professionnelle. Elle s'occupe de sa maison, de son jardin et est très active.
Les troubles digestifs durent moins de 24 heures, mais la patiente se sentant très fatiguée, son mari décide, au bout de 48 heures, d’appeler le Dr A., médecin généraliste qui la suit.
Le 3 novembre, le Dr A. étant indisponible, c’est le Dr B. qui fait partie du même cabinet de groupe qui, vers 14 h, examine la patiente à son domicile. Dans son compte-rendu de visite, il indique : "(…) motif de consultation : nausées, douleurs abdo et frissons depuis 2-3 jours ; examen : pas de fièvre, pas de défense abdominale, auscultation normale, nauséeuse ; conclusion : Gastro-entérite aiguë (…)". Lors de l’expertise, le Dr B. ajoutait : "(…) avoir examiné la patiente dans sa chambre, son mari et lui-même la soutenant pour marcher. Elle présentait des douleurs diffuses des membres inférieurs, un abdomen sensible, des nausées, une sécheresse buccale, sans autre signe de déshydratation. Il avait prescrit Spasfon®, Vogalène® et paracétamol (…)".
Le 4 novembre, dans la matinée, le mari rappelle le Dr B. car son épouse ne s’est pas hydratée depuis hier et tient des propos incohérents. Ce dernier lui conseille d’appeler le 15. Ultérieurement, le Dr B. précisait "avoir souhaité privilégier la réhydratation par voie intraveineuse et, celle-ci n'étant pas organisable à domicile, il avait opté pour une admission hospitalière, raison pour laquelle il avait demandé au mari de contacter le 15".
A 15 h 08, le mari appelle le SAMU en indiquant au régulateur que : "(…) son épouse est alitée, qu'elle avait été vue par un médecin généraliste la veille qui a décelé une gastro-entérite assez sévère, que le problème qui l’inquiétait était qu'il n'arrivait pas à l'hydrater car elle restait allongée et avait très mal lorsqu'il tentait de la mobiliser. En outre, elle avait également des épisodes de troubles de vigilance et parfois des propos incohérents". Le médecin régulateur propose l'envoi d'une ambulance privée pour que la patiente soit examinée dans un service d'urgence mais pas nécessairement hospitalisée. Le mari interroge sur l'attente, présumée longue, aux urgences. Le régulateur explique qu’il existe deux possibilités pour réaliser l'hydratation demandée : l'admission dans un service d'urgence ou l'organisation de cette hydratation au domicile par le médecin traitant qu'il faut donc recontacter.
A 15 h 16, le médecin régulateur conclue son observation : "femme alitée, gastro, pas de vomissement ni de diarrhée, a vu médecin hier, fébrile, veut une solution pour hydrater son épouse ; conseil : rappeler médecin traitant".
Après cet appel au 15, le mari contacte le cabinet du groupe médical. C’est le Dr A. qui lui répond. Ce dernier lui conseille de faire boire du bouillon à son épouse et l’informe qu'il passera vers 20 h après ses consultations.
Au décours de cet appel, le mari reste presque en permanence auprès de son épouse, elle dort et respire normalement. Cependant à un moment, il constate qu'elle ne respire plus et appelle immédiatement les sapeurs-pompiers, en tentant de pratiquer un massage cardiaque externe avant leur arrivée.
A 18 h 14, le Centre de Traitement de l'Alerte des sapeurs-pompiers reçoit l'appel du mari de la patiente et engage une équipe secouriste pour un arrêt cardiorespiratoire. Simultanément, il prévient le SAMU qui, à 18 h 18, faisait partir une équipe du SMUR.
Sur les lieux à 18 h 46, le médecin urgentiste du SMUR, relaye l'équipe secouriste des sapeurs-pompiers et engage une réanimation cardiopulmonaire associant massage cardiaque externe, oxygénation pulmonaire à haut débit par sonde d'intubation et six injections itératives d'adrénaline. La réanimation est inefficace et le décès est déclaré à 19 h.
Le médecin du SMUR signale notamment dans son observation médicale : "douleur du mollet et des muscles depuis la veille, fatigue extrême avec gêne respiratoire ce jour, marbrures importantes des membres inférieurs et expectoration sanglante par la sonde d'intubation".
Les diagnostics étiologiques évoqués sont un sepsis ou une embolie pulmonaire.
Selon le mari de la patiente, le médecin du SMUR aurait proposé de demander une autopsie tout en précisant que ce serait long. Le certificat de décès est finalement signé en mort naturelle.
Absence d’autopsie.
Le mari de la patiente reprochait :
L’expert, praticien hospitalier, anesthésiste-réanimateur et urgentiste, estimait que :
1. Lors de la visite du Dr B., le 3 novembre 2016
"Le tableau clinique décrit par les participants à l’expertise et tracé par le Dr B… est compatible avec celui d’une gastro-entérite sans gravité. Un traitement symptomatique à domicile est prescrit".
"La décision du Dr B. est conforme aux bonnes pratiques".
2. Lors de l’appel téléphonique au Dr B., le 04 novembre 2016 au matin
"Informé de l'absence d'hydratation depuis la veille et de l'apparition de propos incohérents, le Dr B. oriente vers le SAMU-Centre 15 en vue de permettre la réhydratation intraveineuse. D'une manière générale, une telle réhydratation peut être réalisée à domicile, de préférence après des examens biologiques, ou au cours d'un séjour en milieu hospitalier. Il revient au médecin prescripteur de l'organiser. Le Dr B. déclare que la réhydratation intraveineuse à domicile n'était pas réalisable dans son secteur géographique, d'où son choix de l'admission hospitalière dont il a confié l'organisation au mari de la patiente. Les bonnes pratiques d'un médecin traitant sont d'organiser le parcours de soins. La pratique très souvent constatée est de confier les missions simples au patient ou à son entourage et de se décharger sur les SAMU-Centres 15 pour les situations qui ne peuvent pas être différées. Cependant, le médecin traitant aurait dû insister auprès du mari de la patiente sur la nécessité de l'admission hospitalière. Il ressort des éléments du dossier que le mari de la patiente ne l'avait pas compris".
"La décision du Dr B… est insuffisante au regard des bonnes pratiques".
3. Lors de l’appel au SAMU le 4 novembre 2016 à 15 h 08
"Le mari de la patiente contacte le SAMU afin d'organiser l'hydratation de sa femme, demandée par le médecin qui l'a examinée. Deux solutions peuvent être et sont proposées par le médecin régulateur du SAMU : l'admission dans un service d'urgence par le biais d'un transport sanitaire en ambulance privée compte tenu de la fatigue, ou le recours au médecin généraliste pour organiser la perfusion. Le mari de la patiente refuse la première en raison de l'attente qu'il craint aux urgences et qui ne lui est pas expliquée (les patients sont évalués dès leur arrivée et l'ordre de prise en charge dépend de leur gravité)".
"L'analyse de la conversation met en évidence deux problèmes :
"La décision du médecin régulateur n'est pas conforme aux bonnes pratiques".
4. Appel au Dr A., le 4 novembre 2016
"Le Dr A. n'est pas mis en cause par le mari de la patiente. D’après ce qu’il dit lui avoir été décrit, en l'absence de signes patents de gravité, la visite du médecin après ses consultations quelques heures plus tard est une solution convenable".
"La décision du Dr A est conforme aux bonnes pratiques".
5. Appel aux sapeurs-pompiers le 4 novembre 2016 à 18 h 14, transmission au SAMU et délai d’intervention du SMUR
"Le traitement de cet appel par les sapeurs-pompiers et sa transmission au SAMU est conforme aux bonnes pratiques ainsi que le délai d’intervention du SMUR".
6. Cause du décès
"Faute d'autopsie, la cause précise du décès de la patiente ne peut pas être établie.
Plusieurs causes peuvent être évoquées :
On ne dispose d'aucun élément qui permette de trancher, si bien qu'il est impossible d'apprécier si un caractère d'évitabilité peut être retenu. Cependant, l'existence d'une perte de chance est hautement probable sans que son intensité ne puisse être évaluée : une prise en charge hospitalière aurait permis de mieux évaluer l'état clinique et biologique, d'assurer une surveillance et probablement une prise en charge thérapeutique adaptée avant l'arrêt cardiorespiratoire qui est survenu".
"Le caractère évitable du décès est possible mais ne peut absolument pas être chiffré en l'absence de cause établie de décès. (…)".
La CCI retenait les conclusions du rapport d’expertise. Compte-tenu des incertitudes sur les causes du décès, elle estimait à 50 % la perte de chance d'éviter le décès de la patiente, qui devait être répartie entre le Dr B., médecin généraliste, et le régulateur du SAMU, chacun à hauteur de 25 %.
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