Le médecin traitant d'une patiente omet de mentionner son allergie médicamenteuse à l'établissement auquel il l'adresse. Cette omission, ainsi que le défaut de communication interservices de l'établissement, causent le décès de la patiente.
Le 9 décembre 2010, une femme de 79 ans reçoit un traitement par Pyostacine® pour, semble-t-il, un ulcère variqueux infecté. Cette patiente vit chez son fils. Elle est autonome pour les actes de la vie quotidienne et se déplace avec l'aide d'une canne. Elle bénéficie d'une aide à la toilette.
Le 10 décembre, apparaissent des lésions cutanées.
Le 13 décembre, la patiente est hospitalisée pour une altération de l'état général dans un contexte de diarrhée.
Lors de l’admission, il est noté une éruption maculo-papuleuse, localisée au niveau du siège, du thorax, de la racine des cuisses et des genoux, avec un signe de Nikolsky positif (tendance de la peau à se décoller par simple pression ou frottement). Un prurit est associé aux lésions. Il n'est pas retrouvé d'atteinte des muqueuses.
Le bilan biologique montre un syndrome inflammatoire avec une CRP à 198 mg/L.
Le 14 décembre, les lésions se majorent avec des signes de décollement faisant suspecter un syndrome de Lyell. Toutes les thérapeutiques sont arrêtées et un avis est pris dans le service de dermatologie du CHU.
Le diagnostic de toxémie bulleuse grave avec un décollement au niveau des pieds et du siège était évoqué.
Un traitement par des soins locaux avec des pansements au tulle gras et une douche quotidienne au Plurexid® est mis en œuvre. Une déclaration de pharmacovigilance était faite.
La patiente reste hospitalisée jusqu'au 17 janvier 2011 dans le service de médecine infectieuse, date à laquelle elle est transférée dans le service de gériatrie du centre hospitalier.
Grâce aux soins locaux, les lésions cutanées évoluent favorablement avec une ré-épidermisation quasi complète.
Le 10 février 2011, elle regagne son domicile.
Le courrier de sortie, envoyé à son médecin traitant, mentionne : "Reprise de l'autonomie de marche et guérison d'une toxémie bulleuse post-antibiothérapie, chez une femme âgée de 79 ans, obèse et suivie pour hypertension."
Un livret nutritionnel ainsi qu'une fiche avec les médicaments "mal tolérés" étaient remis à la patiente.
Dans les suites de cette hospitalisation, la patiente continue d’être suivie, de façon régulière, par son médecin traitant, environ tous les 2 mois, notamment pour le renouvellement de ses ordonnances. Il n'y a pas d'exploration complémentaire ou de bilan allergologique.
Le 17 février 2014, un traitement par Augmentin® est prescrit à la patiente par son médecin pour une bronchite aiguë.
En raison d'une diarrhée, l’Augmentin® est remplacé par de la Rocéphine® pour une durée de 7 jours (du 21 au 28 février) associé à du Solupred® pendant 3 jours.
Le 28 février, de l'Oroken® est prescrit en association à un traitement par Pulmicort®.
Le 1er mars, le médecin traitant juge que l’état de la patiente nécessite son hospitalisation dans la polyclinique proche de son domicile. Après un entretien téléphonique avec le SAMU, le transfert s’effectue en ambulance. Dans le courrier adressé au service d'urgences, il n'est pas noté d'allergie.
A l’admission, il existe une hypotension artérielle à 60/40 mmHg, une fréquence cardiaque à 127/min en arythmie et une hypothermie à 35,5°C. L'auscultation pulmonaire retrouve des ronchus bilatéraux. Biologiquement, hypoxie à 80 mmHg avec une hypocapnie à 23 mmHg, syndrome inflammatoire majeur et insuffisance rénale.
Le scanner thoracique révèle des abcès pulmonaires bilatéraux et distaux.
Sur la fiche d’admission remplie par le médecin urgentiste et l'infirmière s'occupant de la patiente, il est noté dans la case allergies/intolérances: "Pyostacine ? Augmentin ? Allergie à un antibiotique, lequel ?".
Sur une observation informatisée saisie le même jour, à 15 h 52, par l'infirmière, il est écrit "Notion d'allergie à un antibiotique non identifié par la famille".
A 17 h, tension artérielle à 107/50 mmHg, fréquence cardiaque à 129/ min, température à 36,5°C. SaO2 à 97 %.
A 21 h, tension artérielle à 97/52 mmHg, fréquence cardiaque à 99 /min.
Après la réalisation de prélèvements bactériologiques, un traitement associant Rocéphine® et Pyostacine® est débuté à 21 h 10.
Le 2 mars à 7 h, dégradation de l'état clinique avec survenue d'une hypotension associée à un rash. La patiente est transférée en réanimation avec maintien de la tension artérielle par une perfusion de noradrenaline. SaO2 à 94 % sous 10 litres d'oxygène. Mise sous Tazocilline® et Zyvoxi®
Le 3 mars, amélioration de l’état clinique mais apparition de phlyctènes au niveau du dos.
Le 5 mars, évolution favorable de l’état infectieux mais progression des lésions cutanées qui deviennent bulleuses avec un exanthème et un signe Nikolsky positif. Instauration d’un traitement local sur prescription d'un dermatologue.
Présence d’un Staphyloccocus sp multi-sensible dans les hémocultures prélevées le 1er mars 2014 et d’un Pseudomonas aeruginosa à la culture de l’expectoration et du prélèvement effectué au niveau d’un ulcère variqueux.
Le 5 mars, transfert dans le service des brûlés du CHU, devant l'extension des lésions cutanées.
Le courrier de sortie de réanimation conclue à : "Etat de choc mixte, d'une part choc anaphylactique à la Pyostacine® et d'autre part choc septique en rapport avec des abcès pulmonaires dont la porte d'entrée est probablement cutanée."
A l’admission au CHU, la patiente était confuse, mais eupnéique en air ambiant, avec une tension artérielle stable sous perfusion de noradrénaline (en cours de sevrage).
Le diagnostic posé est: "(…) Epidermolyse nécrosante suraiguë avec décollement cutané supérieur ou égal à 30 %. Nécrolyse épidermique (score TEN à 4) (…)". La surface totale brûlée était estimée à 37 %.
Poursuite du traitement par Tazocilline® et Zyvoxid® jusqu’au 10 mars, associés à des antalgiques. Au cours de l'évolution, le décollement était estimé à 80 % de la surface cutanée, les lésions restant stables mais sans ébauche de cicatrisation.
Le 14 mars, apparition brutale d'une défaillance multi-viscérale avec une hypotension artérielle associée à des passages en arythmie par fibrillation auriculaire, à une anurie et à une insuffisance respiratoire par encombrement bronchique. Décès rapide malgré la mise en route d’une réanimation cardio-circulatoire et respiratoire.
Assignation du médecin traitant et de la polyclinique par les proches de la patiente pour obtenir réparation des préjudices qu’ils avaient subis (novembre 2015) :
L’expert, anesthésiste-réanimateur exerçant en libéral, estimait que :
"(...) La prise en charge du médecin traitant au domicile avait permis d'hospitaliser rapidement la patiente aux urgences. Il avait téléphoné au SAMU pour évaluer, avec le médecin régulateur, le moyen de transport le plus adapté à l'état clinique de la patiente. Seulement, il avait omis de citer dans son courrier, l'antécédent de toxidermie bulleuse à la Pyostacine®. Lors de l’expertise, il disait "avoir la notion d'une allergie mais ne savait plus laquelle". Il n'avait pas essayé de rechercher celle-ci. S'agissant du médecin traitant de la patiente qu’il voyait de façon régulière, environ tous les 2 mois, cet oubli est fautif. En effet, la connaissance de cet antécédent aurait permis de ne pas administrer de Pyostacine® lors de son hospitalisation ultérieure.
Le médecin urgentiste de la polyclinique avait obtenu par un remplissage vasculaire adapté et la mise sous oxygène, une stabilisation puis une amélioration de l'état de la patiente. Il avait alors pris la décision de réaliser des examens complémentaires dont un scanner thoracique pour confirmer le diagnostic d'infection pulmonaire grave. Pour adapter le choix des antibiotiques à la localisation du foyer infectieux, un avis spécialisé avait été pris auprès d'un médecin pneumologue. L'association d'une céphalosporine de 3e génération avec un macrolide fait partie des schémas thérapeutiques pour la prise en charge des infections pulmonaires graves. L'administration parentérale des deux antibiotiques aurait été plus adéquate, sans que l'administration orale de Pyostacine® soit une faute.
D'après le dossier, le médecin des urgences n'avait pas la connaissance de l'allergie à la Pyostacine®, ni d'une toxidermie bulleuse post antibiotique lors de la prescription de cet antibiotique. La notion d’une allergie à la Pyostacine® n’apparaissait dans l’observation médicale de la patiente que le 2 mars à 9 h 29, soit après la survenue de la réaction allergique. En effet, c’était le 2 mars à 7 h 03 qu’était apparue chez la patiente une hypotension associée à un rash.
Cet effet analogue à la toxidermie bulleuse survenue en décembre 2010 rendait vraisemblablement la responsabilité de la Pyostacine® qui, comme mentionné dans le dictionnaire Vidal, peut donner des éruptions bulleuses. La Pyostacine® était alors arrêtée après la seconde prise et un transfert en réanimation était réalisé pour la poursuite de la prise en charge.
En conclusion, le médecin traitant avait commis une faute en omettant de signaler l'allergie grave à la Pyostacine® sur son courrier de liaison aux urgences. Cette faute avait entraîné une perte de chance de survie de 50 %.
Le dossier médical de la polyclinique montrait que le médecin des urgences n'avait pas connaissance de l'allergie lors de la prescription et de l'administration de la Pyostacine®. La prise en charge médicale à la polyclinique s'était faite de manière consciencieuse, attentive et conforme aux données acquises de la science (…)".
Le tribunal considérait que:
"(…) Le médecin traitant de la patiente, qui la voyait régulièrement en consultation, a commis une faute en ne mentionnant pas son allergie à la Pyostacine® dans le courrier qu'il a rédigé le 1er mars 2014 pour l'adresser au service des urgences de la polyclinique, alors même qu'il avait connaissance de cette allergie.
Il est en outre établi par le rapport d’expertise que le décès de la patiente résulte d'une défaillance multiviscérale, liée à l'état septique et aggravée par les lésions graves de toxidermie bulleuse post-administration de la Pyostacine®. L'administration de la Pyostacine® a donc entraîné chez la patiente une perte de chance de survie de 50 %.
Il y a donc lieu de déclarer le médecin traitant responsable des préjudices subis par les proches de la patiente et de fixer à hauteur de 50 % sa part de responsabilité.
La responsabilité de la polyclinique est également recherchée par les proches de la patiente, qui considèrent qu'il y a eu un dysfonctionnement fautif dans la transmission de l'information relative à l'allergie de la patiente à la Pyostacine®.
Il ressort des pièces versées à la procédure mais également de la chronologie des faits rappelée par l'expert que, lors de l'admission aux urgences de la patiente, une feuille d'accueil a été remplie par le médecin urgentiste sur laquelle était mentionné « Pyostacine ? Augmentin ? Allergie à un antibiotique, lequel ? ».
De même, l'expert note qu'une observation informatique a été saisie le 1er mars 2014 à 15 h 52 par l'infirmière procédant aux admissions indiquant le motif de l'admission et précisant également "Notion d'allergie à un antibiotique non identifié par la famille".
Il est en outre indiqué par l'expert que la Pyostacine® a été administrée à la patiente, le 1er mars à 21 h 10, que cette administration s'est faite dans une délai raisonnable après la confirmation du diagnostic de sepsis grave à point de départ pulmonaire et que, d'après le dossier, le médecin des urgences n'avait pas la connaissance de l'allergie à la Pyostacine®.
Si effectivement, comme le relève l'expert, aucune faute technique n'est susceptible d'être reprochée à la polyclinique dans le diagnostic, la prise en charge et le choix thérapeutique qui ont été mis en œuvre, il est cependant établi par les observations qui précèdent que le personnel médical a été averti dès l'admission de la patiente de l'existence d'une allergie à un antibiotique, et possiblement à la Pyostacine®, sans que cette information ne soit ni relayée, ni vérifiée.
Or, l'absence de transmission de cette information caractérise une mauvaise coordination des services de la polyclinique, constitutive d'une faute.
Il conviendra donc également de déclarer la polyclinique responsable des préjudices subis par les proches de la patiente et de fixer à hauteur de 50 % sa part de responsabilité (…)".
Par ces motifs, Le tribunal déclarait que le médecin traitant et la polyclinique avaient chacun commis une faute ayant entraîné chez la patiente une perte de chance de survie de 50 % et les condamnaient, in solidum, à verser à ses proches la somme de 35 500 €.