Décès suite à chirurgie non justifiée pour lithiase rénale

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Décès suite à chirurgie non justifiée pour lithiase rénale

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La pertinence de l’indication d’un traitement chirurgical de lithiase rénale doit impérativement tenir compte de la nature du calcul. Par ailleurs, un patient complexe, diabétique de surcroit, avec un antécédent de choc septique récent, doit faire l’objet d’une réelle réflexion avec avis d’infectiologue en cas de nécessité absolue de réintervention.

Auteur : le Dr Christian Sicot / MAJ : 18/03/2025

Cas clinique

En mai 2020, une patiente de 70 ans consulte son médecin traitant pour hyperthermie et douleurs abdominales. Le bilan sanguin met en évidence : Hb 11,9 g/dl, GB 6 300/mm3, VS 45mm/h, Créatininémie 85 µmol/l, CRP 27 mg/l. ECBU : urines troubles, leucocyturie > 100 000, hématies 24 000 et 10 00 000 UFC/ml. E coli sensible à tous les antibiotiques. L’infection est traitée par Bactrim®.

En novembre, un scanner abdomino-pelvien est prescrit par le médecin traitant : "lithiase coralliforme du rein droit ainsi que lithiase du bassinet gauche mesurant 15 mm. Infiltration liquidienne péripyélique. Lithiase rénale bilatérale qui pourrait s‘accompagner d'une pyélite aigue".

Quelques jours plus tard, la patiente est adressée par son médecin traitant à un chirurgien urologue "... Découverte suite à un épisode fébrile d’une lithiase rénale bilatérale. Asymptomatique depuis la mise sous Bactrim®. Absence d'antécédents lithiasiques. Diabète non insulinodépendant. Pour le traitement des calculs révélés par le scanner, il faut commencer par l'unité rénale la plus simple c'est-à-dire mettre en place une sonde JJ du côté gauche. Au-delà, une fragmentation de la lithiase par endoscopie sera nécessaire". Consentement à l’intervention signé à la suite de la consultation. Absence d’uroculture de contrôle avant l’intervention. 

Fin novembre, compte rendu d’hospitalisation en ambulatoire : "... Vessie normale... Opacification rétrograde pour visualiser le calcul pyélique gauche. Mise en place sous contrôle scopique d'une sonde JJ 6/26... Suites opératoires simples. Traitement de sortie : Spasfon®, Dafalgan®, Topalgic®, Oflocet® 5 jours... Rendez-vous de consultation pour dans 7 jours avec une radiographie d’ASP pour programmer une urétéro-rénoscopie pour la fragmentation de ce volumineux calcul du côté gauche. Du côté droit, le calcul est encore plus volumineux et complexe. Nous nous en occuperons une fois le côté gauche "stonefree"...".

Début décembre, compte-rendu ASP : "Sonde JJ en place. Absence de calcul mis en évidence en regard des voies excrétrices gauches. Présence d'un calcul ovoïde de 22 mm se projetant en regard du bassinet droit".

Consultation chirurgien urologue : "Je revois en consultation Mme Z. une semaine après la mise en place de la sonde JJ du coté gauche, qu'elle supporte bien. J'organise donc le temps endoscopique de fragmentation au laser de son volumineux calcul rénal". Consultation d’anesthésie au décours avec signature du consentement à la chirurgie. Un ECBU est pratiqué : urines légèrement troubles, GB > 100 000/mm3, GR > 100 000/mm3, culture stérile.

La patiente est hospitalisée en clinique : "Sous anesthésie générale... Retrait de la sonde JJ gauche. Introduction de l’urétroscope souple. Fragmentation complète de la lithiase pyélique au laser en très petits débris. Mise en place sous contrôle scopique d’une sonde JJ 6/26. Du côté droit, mise en place sous contrôle scopique d’une sonde JJ 6/26". En peropératoire administration de 420 mg de Gentamicine®. Antibioprophylaxie postopératoire par Amoxicilline® + Oflocet®.

Dans les heures suivant la sortie du bloc opératoire, la PA de la patiente passe progressivement de 11/8 à 6/ pour remonter à 10/6 en fin d’après-midi, après remplissage vasculaire. Absence d’hyperthermie. Hémocultures et ECBU reviendront stériles.

Le lendemain vers 8 h, nouvelle chute de la PA à 06/. Décision du chirurgien de transférer la patiente dans une polyclinique proche, disposant d’un service de soins continus : "… en raison d’une hypotension réfractaire sans signe de sepsis important, ni autres problèmes…".

Pendant 5 jours, hospitalisation à la polyclinique suivie d’un retour à domicile. Lettre de sortie adressée au chirurgien : "Patiente hospitalisée dans les suites d’une urétéroscopie en rapport avec un calcul du rein gauche, pour une hypotension réfractaire au remplissage. Il s'agissait probablement d'un état septique malgré un ECBU préopératoire stérile. La lithiase coralliforme du rein gauche contenait certainement des bactéries, il a été nécessaire de mettre en place une voie veineuse centrale et une triantibiothérapie associant aminoside, ceftriaxone et fluoroquinolone ainsi que de traiter l’hypotension par des amines vasopressives. L’évolution a été satisfaisante. La patiente est porteuse de 2 sondes JJ. Il faudra la revoir en consultation avec un scanner abdominopelvien sans injection pour programmer l'ablation de la sonde du côté gauche et le temps de fragmentation de ce volumineux calcul pyélique droit. Il faudra envisager la prochaine intervention avec précaution et prévoir une éventuelle antibiothérapie préalable ainsi que le support des Soins continus si nécessaire". Traitement à la sortie : Oroken® pour 10 jours.

Fin décembre, bilan sanguin confirmant l’amélioration des paramètres : GGT 61 UI/L, créatininémie 108 µmol/l.

Fin janvier 2021, scanner abdomino-pelvien "Arbre urinaire gauche : sonde JJ en place, pas de dilatation pyélocalicielle. Persistance d'un calcul résiduel d'aspect fragmenté presque linéaire au niveau de la tige calicielle inférieure et allant jusqu’au départ du pyélon sur une longueur d'environ 20 mm avec une épaisseur de 3 mm pour une densité de 200 à 300 UH, pas de calcul identifié sur le trajet de la sonde jusqu’en endovésical. Arbre urinaire droit : sonde JJ en place. Présence d'un volumineux calcul coralliforme venant mouler le pyélon et les tiges calicielles inférieure et supérieure mesurant environ 53 mm de hauteur, 23 mm de profondeur avec une densité d’environ 400 UH, pas de calcul sur le trajet urétéral ou en endovésical...".

Consultation chirurgien urologue : lettre au médecin traitant : "... Mme Z. récupère doucement après la fragmentation de son calcul du rein gauche. Dans les suites, elle a présenté un sepsis urinaire qui a nécessité sa prise en charge en Soins continus. Comme souvent, après ce type d’épisode, elle met du temps à récupérer mais elle a surtout été gênée par des troubles de l'équilibre qui ont été explorés au CHU et pour lesquels il n'a pas été retrouvé de problème particulier. Sur le scanner abdominal, le résultat du côté gauche est satisfaisant avec simplement une accumulation de débris. Dans la tige calicielle inférieure. Il faut maintenant envisager la prise en charge de son volumineux calcul coralliforme du côté droit. Cependant le risque septique existe aussi et je pense qu'il faut s’éloigner un peu de l’épisode récent, j'envisage de le faire dans 2 mois et pourrait la revoir en consultation dans 6 semaines. Par ailleurs, elle est gênée sur le plan urinaire par les sondes JJ et je lui conseille un traitement par Vesicare® 5 mg".

Début mars, demande de consultation du médecin traitant au chirurgien urologue pour dégradation des paramètres biologiques (Hb 9,1 g/dL, créatinémie 148 µmol/l). Réponse du chirurgien urologue "Mme Z. reste encore très fatiguée. Du côté gauche, il persiste quelques fragments caliciels. Je pense que l'on peut lui proposer l'ablation de la sonde et de mettre propre le rein gauche pour avoir cette sécurité. Actuellement elle me semble encore trop fragile pour pouvoir prendre le risque d'un sepsis urinaire après fragmentation du calcul du côté droit. Je pense donc simplement changer la sonde JJ à droite et nous programmerons plus tard le temps opératoire de ce côté". 

Cependant, transmission par le laboratoire biologique des résultats de l’ECBU pratiqué le par le médecin traitant : urines troubles, GB et GR >100 000/mm3. Culture : Candida albicans 10 000 UFC/ml. Ce résultat aurait été interprété comme flore saprophyte périnéale.

Mi-mars, hospitalisation clinique en ambulatoire. Gentamicine 390 mg en préopératoire. "Sous anesthésie générale. Urétéroscopie rigide gauche. On retrouve 2 petits débris lithiasiques extraits avec une Dormia. Dans le calice inférieur, quelques débris extraits à la Dormia. La muqueuse est très fragile et inflammatoire. Rapidement on a des caillots dans le pyélon qui limite la visibilité. Mise en place d'une sonde JJ 6/24. Du côté droit, lithiase pyélique avec sténose filiforme de l’uretère lombaire proximal. Changement de la sonde JJ droite. Pose d'une 6/24". Sortie sous Oroken® pour 10 jours et proposition de consultation dans 3 mois. 

Début avril, hospitalisation en urgence à la clinique, à la demande du médecin traitant pour perturbation du bilan biologique : CRP 198 mg/l ; Hb 7,6 g/dl, Créatinémie 146 µmol/l. Examen Urgentiste : "... Asthénie, pas de fièvre ni frissons ni sueurs. Pas de douleur thoracique, bruits du cœur irréguliers... Pas de signes urinaires, fosses lombaires libres. Troponine < 10, CRP = 110... Urines : leuco ++, sang +, protéines. ECBU envoyé". Scanner abdomino-pelvien : sonde JJ bilatérale en place. À droite il existe un volumineux calcul coralliforme occupant le bassinet et également les calices supérieur, moyen et inférieur et mesuré à 48 mm dans son plus grand axe. À gauche il existe plusieurs fragments lithiasiques mesurés à 3,3 mm au niveau du calice moyen, 4 mm au niveau du bassinet et 4 mm au niveau du calice inférieur du rein. À gauche il existe une dilatation modérée du bassinet qui est mesurée à 24 mm dans le plan transversal. À droite, pas de dilatation évidente des voies excrétrices. Pas de lithiase intravésicale…".

Urgentiste : "Pas de fièvre ce matin, TA normale, pas de marbrure, Hb de contrôle 9,6 g/dL après 2 culots globulaires. Antibiothérapie probabiliste par Ceftriaxone®. Uroculture : urines troubles GB>500 000/mm3 ; GR 10 000. Contamination ou flore polymicrobienne ? À contrôler si le contexte le justifie". Un échange téléphonique entre le chirurgien urologue et la fille de la patiente aurait évoqué la possibilité de l’ablation du rein droit. Suite au traitement, la patiente va bien, apyrétique, non algique. Poursuite de l’antibiothérapie. Bloc opératoire prévu "Sous anesthésie générale, urétéroscopie rigide jusque dans le rein droit. Le calcul est obstructif à la jonction pyélo-urétérale. Inflammation urothéliale importante. Fragmentation de la lithiase dans l'axe de l’urétéroscope rigide. On peut créer un espace suffisant pour l’urétéro-rénoscopie. Extraction à la Dormia de caillots et débris de l'uretère lombaire. Mise en place d'une gaine d'accès. Introduction de l'urétéro-rénoscope. Fragmentation complète de la lithiase au laser. Les fragments sont repoussés dans le calice supérieur. Fragmentation la plus complète possible des fragments lithiasiques... Décaillotage à la poire de Hellick. Patiente conduite dans de bonnes conditions dans la salle de réveil".

3 h après l’intervention, hypotension résistante à l’expansion volémique, hypothermie 35,9°C. Choc septique. Pose d’une voie veineuse centrale. Mise sous noradrénaline. Hémocultures (qui s’avéreront positives à Candida albicans). Prescription de Tienam® et Amiklin®. Absence d’amélioration hémodynamique. Transfert en unité de réanimation à la Polyclinique.

Le lendemain, décès de la patiente dans un tableau de défaillance multiviscérale irréversible. Les 3 hémocultures pratiquées à la polyclinique seront positives à Candida albicans et à Candida glabrata. 

En conclusion de l’hospitalisation : "Mme Z. a été réhospitalisée le 2 avril pour une anémie et un syndrome inflammatoire. Ceci était en rapport avec sa lithiase coralliforme du rein droit. Du côté gauche la lithiase était traitée. Une sonde JJ était en place de chaque côté. Elle a bénéficié de la transfusion de deux culots globulaires. Sous antibiothérapie par Ceftriaxone, le syndrome inflammatoire s'est rapidement normalisé et elle avait bien récupéré. Son état général était bon. J’avais initialement proposé de reporter le plus possible cette chirurgie étant donné le sepsis sévère qu'elle avait présenté dans les suites du traitement du calcul de son rein gauche au mois de décembre dernier. Cependant, étant donné le contexte d’altération de l'état général et de perte d'autonomie à domicile, en concertation avec sa fille, j'ai pris la décision de réaliser cette chirurgie du rein droit. J'ai pu réaliser une fragmentation complète du calcul qui était très volumineux et responsable d'une importante inflammation pyélique. Dès le post opératoire en salle de réveil la patiente a présenté des signes de sepsis grave. Elle a été prise en charge aux soins continus postopératoires. Une antibiothérapie à large spectre a été prescrite. Son état a pu être stabilisé pendant 24 heures mais a nécessité son transfert en réanimation à la Polyclinique pour hémofiltration devant une oligoanurie réfractaire et des paramètres biologiques de sepsis sévère. Quand elle a été transférée dans la soirée, son état était plutôt stable dans le service de réanimation pour débuter l’hémofiltration cependant l'évolution a été rapidement défavorable dans la nuit et la patiente est décédée. Malgré tous ces soins, il n'a pas été possible de prévenir cette évolution dramatique et difficile à accepter".

Saisine de la Commission de Conciliation et d’Indemnisation (CCI) par les ayants droit de la patiente pour obtenir réparation des préjudices subis (mai 2022).

Les enfants de la patiente ont exprimé leur attente d’une explication à l’évolution défavorable de la prise en charge du problème urologique de leur mère. Ils se sont étonnés de la dégradation de son état général après l’intervention de décembre 2020 sans récupération réelle avant les reprises chirurgicales. Ils ont contesté la notion de concertation avancée par le chirurgien urologue avant la décision d’intervention début 2021.

Expertise

Pour les deux experts, professeurs des universités, l’un chirurgien urologue et l’autre infectiologue :

"(…) La cause du décès de la patiente est une défaillance multi-viscérale au cours d’un choc septique postopératoire. Il s’agit d’une infection à levure (Candida albicans) présent dans les urines depuis mai 2012. Ce décès est directement imputable, exclusivement à l’acte de soins (urétéroscopie d’avril 2021). Il ne s’agit pas de l’évolution de la pathologie initiale et/ou d’antécédent de la patiente. Cette observation amène à s’interroger sur : la gestion de la lithiase et la gestion des épisodes infectieux.

Concernant la lithiase

Son mode de découverte est une complication infectieuse sur obstacle pyélique gauche. La douleur, l’hyperthermie, l’infection urinaire et l’infiltration péripyélique gauche vue au scanner constituent une situation à risque de complication septique grave et la décision de drainage du rein gauche est justifiée en urgence. Elle sera faite après 10 jours de traitement par le Bactrim®.

Le traitement de la lithiase, par la suite, prête à discussion : il s’agit d’une lithiase bilatérale développée en 1 an (l’échographie faite pour les douleurs abdominales en amont montrait des reins normaux). La préoccupation d’une perturbation métabolique urique ou calcique imposait la connaissance de la calcémie, de la phosphorémie et de l’uricémie. Le chirurgien urologue a confirmé qu’aucun examen n’avait été réalisé sur les 2 années de suivi.

L’ASP ne reconnaît pas d’image lithiasique à gauche alors que le scanner déclarait la présence de calculs bilatéraux volumineux. L’hypothèse d’un calcul d’acide urique (calcul radio-transparent) n’a pas été soulevée. La mesure de la densité du calcul pouvait être faite a postériori sur le scanner pour orienter les traitements ultérieurs.

La fragmentation de la lithiase offre la possibilité d’une analyse biochimique du calcul. Cet examen ne sera pas réalisé tout au long du parcours de soins.

Le scanner apporte l’information d’un calcul de densité très basse (200 à 330 UE) donc la signature d’une lithiase urique. La décision de poursuivre une option chirurgicale première pour traiter le calcul n’est alors plus justifiée et l’est d’autant moins que l’épisode septique dans les suites de la première intervention a été sévère.

Les recommandations de l’Association Française d’Urologie (AFU), du Comité de lithiase et de l’Association Européenne d’Urologie sont concordantes sur la nécessité de tenir compte de la nature du calcul pour adapter le traitement et de la nécessité d’un essai de dissolution des calculs radio-transparents.

En conclusion, malgré des informations radiologiques répétées, la nature urique de la lithiase n’a jamais été évoquée. En écartant de ce fait une solution médicale pour tenter de dissoudre le calcul on constitue une perte de chance d’éviter le recours à la chirurgie. La littérature rapporte 90% de dissolution des lithiases uriques. Compte tenu de la présence de zones de densité plus élevée au niveau du calcul droit, la perte de chance sera ici évaluée à 75% de l’ensemble du parcours chirurgical.

Concernant la gestion des épisodes infectieux

C’est une infection des voies urinaires (à E. Coli) qui a conduit à la découverte d’une lithiase rénale lors du scanner de 2020.

3 jours avant une nouvelle intervention, on note des urines hématuriques et une leucocyturie massive > 100 000/mm3 avec une culture stérile. La patiente avait déjà eu une antibiothérapie par Bactrim® pendant 10 jours, puis Oflocet® pendant 5 jours. L’intervalle libre d’antibiothérapie a été de 6 jours avant le constat d’un culot urinaire très perturbé.

Les suites de cette intervention se compliquent d’un premier choc septique sévère non documenté sur le plan microbiologique avec insuffisance rénale et transfert dans un secteur de réanimation. Cet épisode nécessitera une hospitalisation de 10 jours.

Vu l’importance de l’état inflammatoire franc des voies urinaires et du contexte, il aurait été prudent de vérifier la stérilité des urines 48 h avant l’intervention.

L’ECBU demandé par le médecin traitant montre un sédiment urinaire très anormal avec une franche leucocyturie et une culture pure de 10 000 levures/ml. Ce résultat ne sera pas pris en compte ni pour le changement de sonde qui sera fait avec une antibioprophylaxie classique complétée par une antibiothérapie par Oroken® de 10 jours, ni lors d’une nouvelle hospitalisation marquée par un syndrome inflammatoire net (CRP 198 mg/L) et un ECBU très pathologique. La notion d’uroculture positive à Candida albicans n’aurait été constatée par le chirurgien qu’au moment de l’intervention, au bloc opératoire.

Le compte rendu du biologiste mentionnait : "Leucocytes > 500 000/mm3. Hématies 10 000/mm3. Bactériologie : contamination lors du prélèvement ? À contrôler sur un nouveau prélèvement si le contexte le justifie".

Les recommandations de l’AFU concernant la candidurie préconise son traitement en cas de geste invasif sur les voies urinaires pour limiter le risque de candidémie. 

Quand le chirurgien intervient pour traiter la lithiase rénale droite, le schéma d’antibioprophylaxie n’est pas modifié et le traitement du choc septique orienté vers une origine bactérienne de l’infection.

Cette intervention va se compliquer dans les heures suivantes d’un choc septique rebelle qui aboutira au décès. Le même jour, les hémocultures mettent en évidence une levure Candida albicans, non prise en compte dans le traitement anti-infectieux.

Certes, il s’agit d’un dossier complexe mais vu l’antécédent de choc septique dont la patiente ne s’est jamais réellement remise, il aurait été nécessaire de prendre en compte tous les examens microbiologiques effectués et notamment celui montrant une levure, mais aussi celui effectué pour lequel le biologiste évoquait un contrôle en fonction du contexte.

Dans sa lettre, le chirurgien mentionnait : "Il faudra envisager la prochaine intervention avec précaution et prévoir une éventuelle antibiothérapie préalable ainsi que le support des soins continus si nécessaire". 

L’analyse infectieuse n’a donc pas été complète, ni exhaustive et attentive. De ce fait l’antibiothérapie du choc septique responsable du décès a été celle d’une infection grave à bacille Gram négatif (association de Tienam® et d’Amikacine®) et n’a pas couvert les levures. 

Par ailleurs, l’absence de réponse à l’antibiothérapie probabiliste bien conduite justifie, au plus tard à 48 heures, un élargissement du traitement anti-infectieux aux levures. La mortalité des candidoses systémiques dans la littérature est de 40%. 

Il y a donc eu une négligence et une insuffisance dans la prise en charge du syndrome septique. La perte de chance d’éviter le décès peut être évaluée à 50%.

Les soins n’ont pas été conduits conformément aux règles de l’art et aux données acquises de la science médicale à l’époque où ils ont été pratiqués, en particulier :

  • Le choix du traitement chirurgical pour un calcul radio-transparent dont les caractéristiques radiologiques sont celles d’une lithiase urique. L’option du traitement médical par alcalinisation des urines n’a jamais été évoquée. Elle avait 75% de chance de dissoudre le calcul et éviter le recours à la chirurgie.
  • La présence d’une culture pure de levures dans les urines n’a pas été prise en compte dans l’antibioprophylaxie et le traitement du choc septique. L’information découverte tardivement par le chirurgien n’est pas intégrée dans le risque septique. 
  • L’absence de réponse à l’antibiothérapie probabiliste lors du choc septique, aurait dû conduire à élargir le traitement aux levures.
     

Au total, passé la prise en charge en urgence de l’obstacle lithiasique du rein gauche, l’attitude médicale du chirurgien urologue n’est pas conforme tant dans la gestion des calculs (absence de recherches pour établir la nature urique de la lithiase) que dans la gestion des épisodes infectieux postopératoires (méconnaissance de la candidurie, pas d’adaptation de l’antibiothérapie malgré la non-réponse du choc septique au protocole initial).

Les manquements fautifs aux règles de l’art sont responsables du décès de la patiente par complication septique postopératoire. Ils constituent une perte de chance de :

  • 75% d’éviter le recours à la chirurgie (réponse au traitement médical non invasif)
  • 50% d’éviter le décès par choc septique à levures. (…)"

Avis de la CCI

Pour la Commission :

"(…) La réparation des préjudices subis par les ayants droit de la patiente incombe à l’assureur du chirurgien urologue selon l’évaluation faite par les experts au terme de leur rapport (…)".

Commentaire

Les experts énumèrent les différents motifs qui auraient dû conduire le chirurgien urologue à retenir le diagnostic de lithiase urique et à ne pas privilégier la chirurgie comme traitement des calculs.

Il en est de même, sur l’absence de reconnaissance de l’état septique à Candida, manquement fautif encore plus grave puisque directement responsable du choc septique ayant entraîné le décès de la patiente. 

En fait, dès le premier choc septique survenu dans les suites immédiates de la fragmentation du calcul rénal gauche, la prise en charge anti-infectieuse aurait dû associer, selon les recommandations internationales : "un traitement empirique à large spectre comportant un ou plusieurs antimicrobiens couvrant l’ensemble des pathogènes suspectés (bactéries et potentiellement champignons" (1). De même, l’ECBU révélant un nombre élevé de levures 10 000/ml aurait dû faire prescrire immédiatement, dans un tel contexte, un traitement anti-levures, à titre même prophylactique, bien que le taux élevé de levures rendît peu probable qu’il s’agisse d’une contamination par une flore périnéale saprophyte (2) et ce, sans attendre les résultats d’un ECBU de contrôle qui aurait, à l’évidence compte-tenu de l’évolution clinique, confirmé la réalité d’une candidurie. 

Ce diagnostic n’avait rien d’étonnant car la patiente possédait plusieurs facteurs de risque : outre son diabète, une antibiothérapie anti-bactérienne à large spectre et inefficace, la présence d’un matériel intra-urinaire (sonde JJ intra-urétérale) et la réalisation de manœuvres intra-urinaires (et notamment une fragmentation lithiasique qui peut libérer bactéries et levures, ce qui explique vraisemblablement l’apparition d’un choc septique dans les heures suivant les interventions)".

Références

(1) CRE de la SRLF. Recommandations internationales sur la prise en charge du sepsis et du choc septique : du neuf en 2016 . Société de Réanimation de Langue Française (SRLF) 08 O7 2017.
(2) T. Fraisse, L. Lachaud, A. Sotto, J-P. Lavigne, G. Cariou, J-P. Boiteux, L. Escaravage, P. Coloby, F. Bruyère, Recommandations du comité d’infectiologie de l’AFU. Diagnostic, traitement et suivi des candiduries. Prog Urol, 2011,21, 5, 314-321.

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