Ce retour d’expérience montre que l’interruption de tâche, considérée comme habituelle et normale dans nos contextes de travail de soins, génère des risques pour le patient, et donc pour le soignant. Pourtant, en s’organisant pour sanctuariser certains actes identifiés comme vulnérables, on gagnerait en sécurité pour le patient.
Mr D., 39 ans, consulte un chirurgien orthopédiste sur la recommandation de son médecin traitant, pour une douleur au genou gauche à la déambulation et parfois des blocages.
Le praticien interroge le patient dans un premier temps sur les circonstances de survenue de cette douleur : ce dernier explique qu’il a ressenti une vive douleur lors d’un match de football, et plus précisément lors d’un mouvement de rotation brusque sur sa jambe gauche, jambe d’appui. Il décrit des douleurs à la marche, une diminution de la mobilité, mais également une sensation de craquements.
L’examen clinique retrouve un déficit d’extension avec impossibilité pour le patient d’étendre complétement son genou, des douleurs localisées lorsque l’on met la jambe en extension, un épanchement au niveau de l’articulation.
Le praticien demande alors une Imagerie Résonnance Magnétique (IRM) pour confirmer une lésion méniscale. Cet examen objective une lésion du ménisque externe.
Le chirurgien propose alors un traitement chirurgical (résection méniscale) sous arthroscopie, accepté par le patient.
La consultation d’anesthésie ne relève aucun antécédent médical chez cet homme sportif, et seulement une entorse de cheville droite opérée sous anesthésie loco-régionale, il y a 8 ans, avec des suites simples et un très résultat fonctionnel, mais un souvenir de l’ambiance opératoire qualifiée de "traumatisante".
Une anesthésie générale (AG) est donc proposée au patient qui accepte et préfère ce protocole anesthésique, car il se décrit comme une personne inquiète et sensible à l’environnement du bloc opératoire.
Le jour prévu de l’intervention, l’entretien pré-opératoire à l’arrivée du patient au bloc opératoire ne relève aucune non-conformité par rapport aux prescriptions et aucune contre-indication à la réalisation de l’acte chirurgical sous AG.
L’induction anesthésique est débutée. Le Médecin Anesthésique Réanimateur (MAR) administre 15 mcg de Sufenta®, et demande à l’Infirmier Anesthésiste Diplômé d’État (IADE) de continuer la pré oxygénation avant d’administrer le narcotique.
1 à 2 minutes après l’injection du médicament, le patient s’agite et signale qu’il a du mal à respirer. Le MAR prend alors la décision d’injecter le narcotique qui agit rapidement. Après une discussion rapide avec l’IADE, il met en route le monitorage de la curarisation et réalise un Trent of Four (TOF) qui objectivera une curarisation certaine.
L’équipe d’anesthésie comprend alors qu’il y a eu inversion des médicaments (analgésiques/curares) lors de la préparation du plateau de drogues (erreur d’étiquetage).
A aucun moment, le pronostic vital n’est engagé. Le patient est rapidement ventilé, puis intubé.
L’anesthésie ne pose plus de problème particulier et le malade peut bénéficier de l’intervention chirurgicale prévue.
L’intervention terminée, le chirurgien ferme les micro-incisions et réalise le pansement.
Le patient est réveillé sans aucune difficulté.
En Salle de Surveillance Post-Interventionnelle (SSPI), il lui est expliqué l’inversion de médicament. Il manifeste son vif mécontentement, car il a stressé ne comprenant pas ce qui lui arrivait.
Les suites de sa prise en charge restent simples : pas de prolongation d’hospitalisation. Le parcours ambulatoire n’est pas remis en question. Il regagne son domicile avec sa compagne après avoir été revu par le chirurgien et le MAR qui ont autorisé et validé tous les deux une aptitude à la rue.
Cette erreur médicamenteuse a eu comme conséquences :
L’exploitation de la fiche de déclaration d’événement indésirable par le groupe de professionnels chargé de la veille a retenu leur attention : cette erreur médicamenteuse (EM) et ses conséquences interpellent les professionnels de santé du Comité Qualité et Gestion des Risques qui souhaitent connaitre les raisons qui ont conduit à cet incident, les comprendre et trouver éventuellement des actions correctrices à mettre en place.
Une analyse de risque a postériori est donc réalisée par le gestionnaire de risques de l’établissement et le pharmacien.
La méthode REMED, proposée par la Société Française de Pharmacie Clinique (SFPC), recommandée par la Haute Autorité de Santé, est retenue.
Cette méthode est décrite dans le classeur REMED mis à disposition sur le site de la SFPC. Pour cette analyse, les outils suivants ont été choisis :
La liste des questions a permis de résumer les faits relatés ci-dessus.
8 domaines de facteurs contributifs : M = produits de santé – P = patient – S = professionnel de santé – PP = pratiques et procédures opérationnelles – E = équipe – CT = environnement de travail – O = organisation et management – I = institution) |
Les facteurs contributifs retenus avec leurs justifications :
Le niveau de gravité retenu pour cette EM est celui de majeur. N’ayant pas atteint le niveau critique ou catastrophique, les actions d’amélioration seront priorisées à la suite du COPIL.
Cette erreur médicamenteuse a fait prendre conscience au collectif de la vulnérabilité générée par l’interruption de tâche.
C’est par la prise de conscience des soignants que les comportements peuvent changer. Une fois que le message est intégré, il restera à évaluer son impact sur les pratiques et les messages à répéter pour une déclinaison opérationnelle de l’action d’amélioration mise en place.
Pour aller plus loin
Interruptions de tâche lors de l’administration des médicaments - Outils de sécurisation et d’auto-évaluation de l’administration des médicaments - HAS >
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