Injection accidentelle de chlorure de potassium à l’origine d’un décès en service de médecine. L’analyse de cette erreur médicamenteuse montre que la charge de travail a un impact sur le respect des procédures organisationnelles et protocoles de soins…
Mr R. est admis en service de Médecine en raison d’une altération de son état général. C’est un patient veuf, âgé de 85 ans, qui vit en Établissement d’Hébergement pour Personnes Âgées Dépendantes (EHPAD) depuis bientôt 6 mois dans les suites d’une hospitalisation pour bilan de chutes à répétition à domicile. Ce bilan a retrouvé une origine cardiaque, à savoir une arythmie complète par fibrillation atriale (ACFA) traitée par antiarythmiques et diurétiques.
Dans ses antécédents, on retiendra également plusieurs épisodes de décompensation respiratoire (qui nécessiteront de multiples hospitalisations) et une cirrhose éthylique suivie par un médecin interniste du Centre Hospitalier (CH) de proximité.
Début août, il est adressé aux Urgences du CH par le médecin référent de l’EHPAD en raison d’une altération de son état général. Il soupçonne une infection pulmonaire.
Le médecin urgentiste, qui le prend en charge, s’oriente, après un examen clinique, vers une nouvelle décompensation respiratoire d’origine infectieuse : le patient présente une toux productive avec des crachats sales, de la fièvre et est essoufflé.
Les constantes prises à son admission montrent une saturation en oxygène à 91 % nécessitant une oxygénothérapie à la lunette nasale de 3 litres par minute.
Le bilan sanguin montre une élévation des polynucléaires et une C-réactive protéine (CRP) augmentée, une alcalose modérée, une kaliémie subnormale à 4,7 mEq/L, un syndrome hépatique modéré.
La tomodensitométrie (TDM) retrouve une hyperdensité étendue des 2 bases pulmonaires confirmant l’infection pulmonaire.
Le médecin urgentiste prend contact avec son confrère interniste. Ils proposent collégialement au patient une hospitalisation en secteur de médecine pour débuter une antibiothérapie probabiliste en attendant la réalisation d’un lavage broncho-alvéolaire en vue de réaliser un examen bactériologique pour antibiogramme pour orienter la thérapeutique antibactérienne.
Mr R. est donc accueilli en service de Médecine, installé dans une chambre individuelle et une fois les prescriptions effectuées, la prise en charge est mise en œuvre :
Lors du tour de soins du début de nuit, l’Infirmière Diplômée d’Etat (IDE) en charge du service procède à l’administration d’1 g d’Augmentin® en IV direct. Le patient présente, dans les quelques dizaines de secondes qui suivent, une perte de connaissance brutale.
L’infirmière, après avoir examiné le patient, conclut à un arrêt cardiorespiratoire (ACR). L’équipe paramédicale alerte le médecin réanimateur, qui arrive très rapidement et poursuit les mesures conservatoires initiées, sans succès. Le décès du patient est prononcé après 30 minutes de réanimation.
Dans les suites du débriefing à chaud réalisé par les acteurs de la prise en charge de l’ACR, à la recherche d’une cause pouvant expliquer cet événement, on retrouve, dans le collecteur d’objets piquant coupant tranchant (OPCT), une ampoule de 1 g de potassium (KCl), mais également 2 autres ampoules du même produit, mélangées aux ampoules d’eau pour préparation injectable (EPPI) sur le chariot de soins…
Cette erreur médicamenteuse, classée comme Événements Indésirables Graves (EIG), aura eu comme conséquences :
Cette erreur médicamenteuse a été très difficile à gérer par le et les professionnels de santé impactés par cet accident. De plus, l’annonce de cet événement indésirable au sein de l’équipe a généré de nombreuses réactions. Certaines professionnelles ont pris conscience que cela aurait pu les impacter tout comme leur collègue directement impliquée.
Devant les réactions de l’ensemble des professionnels de santé de cette unité, la responsable paramédicale et le chef de service de cette unité de soins sollicitent une analyse approfondie du contexte ayant permis cette erreur.
L’objectif de ce retour d’expérience est de comprendre le mécanisme de cet événement et d’éviter de renouveler ce type d’incident dans l’avenir.
Une analyse de risque a posteriori est donc réalisée.
Dans cette analyse, seuls les éléments contributifs à la recherche des causes conduisant à cette erreur seront recherchés. La méthode ALARM est retenue.
Les données analysées proviennent des éléments recueillis au préalable auprès des professionnels de santé qui sont intervenus dans la prise en charge de ce patient : recueil réalisé lors d’entretiens individuels, analyse de documents, lecture du dossier.
Cause immédiate
C’est l’arrêt cardio-respiratoire du patient qui a permis de détecter la cause de cet EIG.
Causes profondes
Partant de cette analyse, il est important de mettre en évidence les barrières de défenses qui ont été déficientes.
Barrière qui a détecté l'incident
Barrières qui n'ont pas fonctionné et qui ont permis l'incident
Partage pour une communication institutionnelle sur l’événement pour sensibiliser l’ensemble des professionnels de santé sur les erreurs médicamenteuses.
Réflexion institutionnelle sur la gestion des médicaments à risque : leur identification, leur approvisionnement, leur distribution, leur rangement avec des containers spécifiques, leur étiquetage dans l’armoire à pharmacie pour les repérer, les précautions d’utilisation…
Rappel des bonnes pratiques sur les points de contrôles à réaliser tout au long d’une préparation médicamenteuse administrée par voie parentérale. Les recommandations de bonnes pratiques préconisées par la Haute Autorité de Santé doivent être rappelées à l’ensemble des professionnels, du prescripteur à la personne qui va administrer le traitement.
Rappels sur les règles de reconditionnement des chariots de soins de manière générale pour alerter sur le risque d’erreur de répartition des médicaments dans les casiers attribués aux différents médicaments : rigueur, absence d’interruption de tâche, ambiance de travail calme…
Réflexion sur la dotation des chariots de soins pour proscrire tous médicaments à risque, qui devront être préparés uniquement en salle de soins.
Incitation à la déclaration des surcharges de travail comme événement indésirable pour alerter les managers de proximité, mais également les managers de direction.
La charge de travail doit être prise en compte dans l’organisation du travail, au risque de générer des modes dégradés dans la réalisation des tâches quotidiennes. Ces modes dégradés peuvent générer des erreurs avec des conséquences gravissimes.
Mais le respect des règles de sécurité pour ce qui concerne la prise en charge médicamenteuse doit rester la norme et ne jamais bénéficier de mode dégradé.
Ces précautions permettre de prévenir les accidents graves, mais également l’effet seconde victime du soignant.