Depuis quelques années, la communauté médicale et de gestion des risques n’imagine plus pouvoir progresser sans une participation beaucoup plus active des patients. Cependant, les difficultés ne manquent pas, en France comme à l’étranger...
La gestion des risques en médecine est un sujet de grande actualité souvent ponctué ou réactivé par des scandales. C’est aussi un sujet jeune, dans la mesure où le terme même de sécurité du patient n’a guère plus de 20 ans. Il est né aux USA, et dans la réalité, officialisé par le rapport Américain To err is Human de l’académie de médecine publié en 1999 (Kohn et al 1999). C’est depuis cette date que les enquêtes nationales ont confirmé répétitivement dans tous les pays l’incroyable fréquence des évènements indésirables liés aux soins (ils concernent 1 entrant sur 10 à l’hôpital, sans préjuger de la gravité le plus souvent mineure), et l’importance émotionnelle et économique de ces évènements.
Les efforts n’ont pas manqué depuis 12 ans pour améliorer la situation, essentiellement l’organisation du système de santé et ses fragilités, mais le traitement a été surtout organisationnel et procédural, n’impliquant pas au premier rang le patient. On pense à la certification, à l’accréditation, et aux lois, décrets et arrêtés multiples sur la prise en compte et la réduction des risques.
Depuis quelques années, la communauté médicale et de gestion des risques n’imagine plus pouvoir progresser sans une participation beaucoup plus active des patients. Mais force est de constater que le chemin est particulièrement difficile pour changer la donne, du fait de multiples résistances qu’il faut analyser et bien comprendre. L’exposé analyse ces différents défis. La présentation s’organise sous deux entrées principales :
- la participation du patient à sa propre sécurité,
- la participation du patient à son parcours de soins.
Le signalement des évènements indésirables par les patients ou vers les patients
Le signalement préventif par les patients (ou leur entourage) du risque d’évènement indésirable au moment des soins reste peu écouté, controversé, et très difficile à mettre en œuvre. Les patients sont bien placés pour détecter une « bizarrerie » dans leur parcours de soins (Weingart, 2005), mais savent rarement l’exprimer en termes médicaux. Leur écoute par les professionnels reste marginale. Le signalement après coup par les patients et leur entourage est également limité, mais mieux reconnu comme un vrai problème à améliorer par les différentes parties.
L’explication (la révélation) par les professionnels de santé des évènements indésirables aux patients victimes reste en jachère et mérite une urgence d’action prioritaire.
Cette communication renvoie à une obligation légale (loi du 4 mars 2002). La mise en application est très difficile, les obstacles multiples : freins culturels, sentiment de culpabilité, peur juridique, temps disponible insuffisant, et encore plus absence de savoir-faire, etc. Un nouveau guide vient de paraître sous le label HAS pour faire progresser ce domaine.
La participation des patients à l’analyse des événements est pour le moment marginale.
Une partie de l’exposition au risque d’évènements indésirables reste conditionnée par le milieu social de même que la qualité de l’écoute par les professionnels.
Thème récurrent de la littérature américaine. Même en France, les études récentes confirment que les inégalités en matière d’exposition au risque d’évènements indésirables (à travers l’accès, l’écoute, la prise en charge) sont manifestes. Plusieurs travaux montrent l’existence de bénéfices perdus plus fréquents pour certaines catégories d’usagers du système de soins du fait de l’inertie du fonctionnement de ce dernier, aveugle à la stratification sociale de ce risque. Les recommandations de pratique elles-mêmes exposent à ce risque d’inefficacité différentielle : une sous-évaluation du risque (notamment cardio-vasculaire absolu) liée à l’absence de prise en compte de ses composantes psychosociales amène à traiter avec retard certains malades avec une perte de chance résultante.
L’information sur le choix de l’établissement en fonction du risque associé à un futur parcours de soins reste difficile à obtenir par les patients français, même s’il s’est amélioré.
La participation active du patient/entourage dans le processus de décision médicale.
La problématique de la prise de décision partagée (PDP) et plus largement du poids des préférences du patient dans la décision médicale fait l’objet d’une forte littérature internationale depuis les années 80.
Les bénéfices potentiels de la participation apparaissent multiples dans la littérature : amélioration de la sécurité, motivation renforcée des patients (prise en charge personnelle), diminution des litiges, amélioration des résultats objectifs de santé, amélioration du ratio coût/efficacité.
L’évolution est inéluctable, même si ses modalités restent à définir. Le poids de la participation dans nos sociétés modernes ne cesse de croître.
Le terme même de décision partagée recouvre un continuum de postures d’information et de prise en compte des préférences du patient par le médecin. Même si le terme de prise de décision partagée est le plus utilisé, la réalité de la clinique est donc plutôt celle d’un processus de décision plus ou moins négocié. Une égalité d’information entre médecin et patient sur le diagnostic et ses conséquences médicales est souvent considérée comme une condition préalable à l’installation d’une discussion équilibrée sur l’objectif du soin et de ses modalités.
Les préférences du patient peuvent amener à prendre en compte dans la décision finale - en complément de la logique académique - le poids social de la maladie, les aspirations de la vie professionnelle à court et moyen terme, les conséquences pour la famille, ou tout autre aspect privé.
Le modèle culturel français privilégie largement une relation assez asymétrique entre médecins et patients, laissant peu de place au choix hors des meilleures solutions académiques, même si le patient est évidemment pris en compte pour sa personne et sa souffrance. L’éducation thérapeutique du patient est intégrée dans cette vision comme une nécessité moderne de mieux lui faire comprendre le choix proposé et en faire un allié dans cette solution.
Le monde anglo-saxon offre un rapport à la mort différent, une émergence des débats publics sur les thèmes de la maladie beaucoup plus forte, une priorisation des accès aux soins, des libres arbitres de chacun et des impositions du collectif. Ces attitudes culturelles favorisent une relation médecin/malade moins située dans le registre paternaliste, avec une plus grande recherche d’un vrai partage préalable du diagnostic et de ses conséquences médicales et sociales, de ce fait plus ouvert à la prise en compte des aspects personnels du patient. Il n’est pas étonnant dans ces conditions que la plupart de la littérature sur ce thème soit anglo-saxonne.
Mais quel que soit le modèle, les questions difficiles et non résolues ne manquent pas en France comme à l’étranger : quid d’un refus total par le patient d’une proposition académiquement indiscutable du médecin, quid d’une proposition de solution alternative par le patient inacceptable déontologiquement par le médecin (perte de chance massive), ou encore quid d’une offre alternative proposée par le médecin qui serait offerte bien que non prise en charge par l’Etat ?
Partout, l’enjeu du thème est clairement de rechercher un réglage et une posture acceptables par tous, médecins, et patients, sans doute inspirés des particularismes nationaux et culturels, sachant que, comme il a été dit précédemment, le choix n’est plus au rejet total de l’idée mais en sa mise en jeu raisonnée.
Dans la pratique, le thème recouvre 3 entrées principales :
Le moteur et l’intérêt premier de la participation de patients à la sécurité des soins tiennent à 3 valeurs ajoutées :
Plusieurs points clés émergent plus particulièrement comme suggestions :
• King A., Daniels J., Lim J., et al, Time to listen : a review of methods to solicit patients’ report of adverse events, Qual Saf Health Care 2010 19: 148-157
• Enwistle V., MCCaughan D., Watt I et al, Speaking up about safety concerns: multisetting qualitative studies of patients’views and experiences, Qual Saf Health Care 2010 19: 1-7
• Longtin Y., Sax H., Leape L., Sheridan S., Donaldon L., Pitet D. Patient Participation: Current Knowledge and Applicability to Patient Safety, Mayo Clin Proc. 2010;85(1):53-62
• Weingart, S., Pagovitch, O., Sands, D., Li, J., Aronson, M., Davis, R., Bates, D., Phillips, R., What Can Hospitalized Patients Tell Us About Adverse Events? Learning from Patient-Reported Incidents, J Gen Int Med, 2005, 20: 830-36