Lors des soins vétérinaires, trois acteurs sont impliqués : le vétérinaire, l’animal et le maître de l'animal. Il est donc important de trouver le bon équilibre dans la relation de ce "trio" qui va jouer un rôle crucial dans les soins et leur suivi.
En médecine humaine, notamment à l’hôpital, on tend aujourd'hui à rompre avec un passé, considéré comme révolu, où le patient, ignorant et passif par essence, était prié sinon sommé de recevoir et d’accepter les soins qui lui étaient prodigués par les médecins et les équipes de soignants, des "sachants" par excellence, cela pour son bien en quelque sorte défini et décidé pour lui par le corps médical.
Depuis notamment la loi sur les droits des malades, on cherche à rompre avec une relation asymétrique entre celui qui donne les soins et celui qui en bénéficie. On vise à l’inverse un vrai partenariat.
La médecine vétérinaire connaissait une situation assez proche. Dans les campagnes, le vétérinaire rural était un notable qui faisait autorité et exerçait, parfois sans grand respect ni ménagement, un ascendant sur le détenteur de l’animal, paysan considéré comme inculte et ignare.
Cela remonte en réalité à loin, très loin. Dans ce domaine, où l’économie s’est souvent imposée comme primant sur la sensibilité et le bien-être des animaux, les choses ont paradoxalement évolué plus vite que dans la médecine vétérinaire de ville et sans aucun doute antérieurement et de façon beaucoup plus marquée encore qu’en médecine des humains. Un nécessaire partenariat entre le vétérinaire et l’éleveur s’est institué.
Si en médecine humaine, il existe des associations de patients, en médecine vétérinaire rurale il existe un environnement para-agricole très structuré, avec des organismes à vocation sanitaire bien établis, sans doute mieux organisés et disposant davantage de ressources humaines que les associations de patients.
En médecine vétérinaire des animaux de compagnie, outre l’évolution de la jurisprudence en matière de responsabilité civile consacrant, par un parallèle étroit avec celle établie en médecine humaine, la part attribuée à l’information donnée au maître de l’animal, c’est sans doute l’accès généralisé et facilité à la connaissance par internet qui a contribué et contribue encore, voire de façon parfois convulsive, à faire évoluer la nature de la relation entre le maître de l’animal et son vétérinaire.
Dans tous les cas, il est clair aujourd’hui en médecine vétérinaire que le praticien doit savoir impliquer, dans les soins qu’il donne, le maître de l’animal ; que ce maître, propriétaire ou non de l’animal (animal de compagnie ou de rente) soit un éleveur professionnel ou un particulier.
C’est le lieu de rappeler ici la spécificité vétérinaire du contrat de soins.
En médecine humaine le contrat de soins, tacite ou écrit, est établi entre le médecin (ou une équipe de professionnels de santé) et le patient.
En médecine vétérinaire, les soins concernent directement l’animal ou les animaux mais le contrat, même s’il est simplement tacite, est établi avec le client du vétérinaire, c’est-à-dire celui qui détient et lui présente le ou les animaux à prendre en charge.
C’est avec lui qu’un vrai partenariat doit tendre à s’établir pour des soins de qualité et sûrs.
Le statut civil de l’animal, même s’il est un être vivant doué de sensibilité, demeure particulier en effet puisque le régime des biens lui est applicable (il a un propriétaire dès lors qu’il est domestique ou tenu en captivité ; on l’achète, on le vend).
Le détenteur de l’animal est le plus souvent le propriétaire mais pas dans tous les cas. La situation peut être ainsi compliquée, elle l’est souvent dans le monde du cheval.
Pour autant, il peut être intéressant, au risque d’étonner, d’aller plus loin dans cette conception du contrat tripartite.
L’idée d’impliquer l’animal lui-même dans les soins qu’on lui apporte serait-elle saugrenue ? Loin s’en faut ! Dans les parcs zoologiques, les vétérinaires ont compris tout le bénéfice qu’il pouvait y avoir, intervenant sur des animaux sauvages élevés en captivité, à les éduquer (les conditionner) à recevoir des soins (par exemple des prises de sang, des examens échographiques…), leur évitant ainsi des anesthésies générales à seule visée contentive.
Cela a été également perçu depuis longtemps par les éleveurs d’animaux de rente, de bovins par exemple, qui sélectionnent les animaux sur leur docilité, leur capacité à accepter des interventions humaines sur leur corps (traite mécanique pour les vaches laitières mais aussi indirectement les interventions du vétérinaire…).
C’est une affaire de management et de relation quotidienne à l’animal. Avec les animaux de compagnie, on aime bien parler de "medical training", cela semble faire plus chic. En tout cas, cette voie de l’entraînement de l’animal à recevoir des soins est une voie à valoriser auprès du maître. Par exemple, pour un chien, l’acceptation de soins dans ses oreilles est un élément de l’efficacité et aussi de la sécurité des soins.
Certains vétérinaires organisent dans leur établissement de soins, avec et pour leurs clients, des séances d’entraînement des animaux aux soins médicaux. De façon plus large, les méthodes d’éducation de l’animal à une relation "amicale" avec l’humain vont dans le sens de soins facilités, donc de soins plus efficaces et moins dangereux. Sur ce registre de l’efficacité et de la sécurité des soins, tout le monde y gagne : l’animal d’abord, son maître mais aussi le vétérinaire.
En tout cas, c’est vis-à-vis du maître, son véritable donneur d’ordre, que le vétérinaire doit chercher à rendre sa pratique plus collaborative.
Il est bien à cet égard sa cible directe, y compris lorsque son implication personnelle a pour but d’agir sur son propre animal afin d’en faire un partenaire des soins.
La première des choses à faire est de bien l’informer avant de décider et d’agir.
C’est ce que les juristes appellent l’information précontractuelle, celle qui permet d’obtenir du maître son consentement sur la base de son bon éclairage sur les enjeux, c’est-à-dire sur les bénéfices et les risques qu’on peut attendre des moyens mis en œuvre pour le diagnostic et surtout, quand celui-ci est établi, du traitement.
Le maître, bien éclairé, et consentant dans de telles conditions, se trouve ainsi associé à la décision, au choix thérapeutique par exemple. Et il doit en avoir pleinement le sentiment. C’est une sécurité pour tout le monde, à commencer par l’animal et aussi, en dernier lieu, pour le praticien en termes de sécurité juridique.
Mais la démarche d’information ne saurait s’arrêter au stade initial, avant la décision thérapeutique et le choix de la méthode. Elle doit se poursuivre au cours de toutes les phases de soins, c’est-à-dire pendant toute la durée du contrat (information alors contractuelle et non plus précontractuelle).
Il faut donc informer. D’abord par oral, nécessairement, dans le cadre du colloque singulier bien conduit avec le maître de l’animal, cela au cours d’un examen clinique réalisé calmement, patiemment et sereinement dans la durée. Mais aussi par écrit, grâce aux documents laissés (ordonnances, fiches explicatives, recommandations écrites, si possible illustrées) ou conseillés (tous documents et tous moyens d’information, livres, brochures, sites internet) qui gardent la mémoire de l’information orale primitivement donnée et qui permettent ainsi une action prolongée dans le temps.
Il peut même s’agir aussi d’un vrai contrat de soins écrit et signé des parties.
Ce contrat de soins est toujours utile mais il apparaît moins nécessaire si le praticien, dans son établissement, a pris le pli de mettre en avant de façon explicite et détaillée les conditions générales de fonctionnement de son établissement et de s’assurer que son client a pu en prendre connaissance. C’est du reste, aujourd’hui, une obligation déontologique pour le vétérinaire. Obligation très protectrice. Mais surtout obligation génératrice de qualité et de sécurité des soins.
En tout cas, il faut informer, expliquer et vérifier dans tous les cas que les explications ont été bien comprises.
Informer, c’est bien mais cela apparaît comme un flux de messages unidirectionnel, allant du praticien vers le maître. Ce n’est pas suffisant.
Il convient pour le praticien d’avoir la démarche de consulter le maître.
Cela peut apparaître comme une sorte de paradoxe, en tout cas de renversement de situation, pour ce maître qui était venu précisément consulter le vétérinaire !
C’est une démarche qui va en effet au-delà de la nécessaire écoute attentive du maître, laquelle constitue, soit dit en passant, une exigence minimale pourtant trop souvent mise à mal.
Elle implique de le questionner et aussi de lui demander explicitement son avis.
Le flux de messages devient alors bidirectionnel. La relation se renforce. La confiance surtout. Le maître se sent dès lors davantage associé aux soins. L’impact psychologique est de taille.
Il faut aller plus loin encore ! Nous l’avons dit, l’éducation que le maître donne à son animal, son chien par exemple, est la première prévention de l’agressivité dangereuse (morsures) mais surtout, de façon plus générale, de sa capacité à se laisser examiner convenablement et donc efficacement, de sa capacité, notamment s’il y a été entraîné, à accepter des examens et des soins, et même à y collaborer réellement.
La présence du maître auprès de l’animal, au cours de la consultation ou même de certaines petites interventions n’est pas profitable dans tous les cas, certes, mais elle l’est quand même souvent et il faut savoir l’exploiter, voire la cultiver chaque fois qu’elle est possible.
Le maître est aussi celui qui, en médecine vétérinaire, cumule généralement les fonctions d’infirmier et d’aide-soignant à la maison.
Il devra donc être non seulement informé mais réellement formé par le praticien et ses équipes à l’administration des médicaments, à la réalisation de soins simples mais tellement importants pour la réussite globale du traitement ou de la prophylaxie. Il devra observer tels et tels indicateurs énoncés par le praticien, savoir détecter tel ou tel signe, selon les informations et consignes reçues, mais aussi noter, consigner ses observations. Il lui faudra signaler au besoin telle ou telle anomalie, dans le cadre d’un dialogue prolongé (les moyens de télécommunication ne manquent plus).
Le suivi de l’animal et l’observance du traitement, si importants, dépendent bien de sa collaboration effective aux soins dont il doit se sentir totalement partie prenante et responsable.
Amener son client à participer de manière collaborative aux soins de son animal est une façon de le rendre co-acteur de la qualité et de la sécurité des soins et donc en partie responsable de ce qui va se passer.
Aujourd’hui le vétérinaire exerce principalement en groupe, au sein d’équipes, dans des établissements de soins vétérinaires (cabinets, cliniques, centres hospitaliers, centres de spécialistes).
Cette culture de l’information et surtout de la pratique vétérinaire collaborative et partenariale ne concerne plus seulement chacun des vétérinaires. Elle concerne aussi les auxiliaires spécialisés vétérinaires.
Dans tous les cas, ce n’est plus une affaire d’individus, c’est une affaire d’équipes.
Cela suppose des formations adaptées de tous les intervenants dans le cadre d’un management professionnalisé.
La communication interne, orale (briefings) et écrite (fiches, documents de liaison), aura pour objet la cohérence des messages transmis au maître de l’animal.
C’est un point devenu fondamental.
Savoir impliquer le maître dans les soins médicaux à son animal et y arriver de façon effective, c'est se mettre en situation d'offrir des soins de qualité, avec la meilleure sécurité :
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