La médecine défensive est un concept déjà ancien (années 90), né en Europe (Royaume-Uni), mais qui, sans surprise, a pris une extension particulière aux USA où la pression juridique est plus forte.
La médecine défensive se définit à la fois par la prescription d’actes inutiles à la seule fin de se couvrir vis à vis de possibles plaintes des patients et par l’évitement d’actes qui apparaîtraient à forts risques d’échecs ou de mauvais résultats (ce qui conduit à récuser ces patients).
L’ampleur du phénomène est considérable. Les enquêtes rapportent une augmentation constante du phénomène. La dernière enquête nationale aux USA a porté sur un échantillon représentatif de 1500 médecins généralistes, spécialistes médicaux et chirurgiens. 91% reconnaissent leur pratique de médecine défensive, et leur intention de continuer. Des chiffres de même ampleur sont retrouvés en Europe. 77,9% des chirurgiens italiens avoue des comportements de médecine défensive dans leur dernier mois de pratique. Ce pourcentage varie toutefois beaucoup avec l’âge, les pratiques défensives étant plus fréquentes chez les jeunes. En 2012, la Fédération hospitalière de France a rendu public les résultats d’un sondage mené auprès de plus de 800 médecins hospitaliers et libéraux sur leur opinion quant aux pratiques d’actes injustifiés. Pour 53% des médecins, les risques de mise en cause judiciaire ont modifié leur exercice en les incitant à la réalisation d'examens supplémentaires.
La médecine défensive est complètement imbriquée dans le dossier de la pertinence des actes, au point d’en être probablement difficile à distinguer. Il a une incidence considérable sur le surcoût des soins estimé à près de 20% du budget Medicare aux USA, et sans surprise est devenu un des trois dossiers prioritaires de la CNAM via le dossier pertinence des actes.
Au total, c’est une notion finalement assez fourre-tout, sommant en les mélangeant l’effet de plusieurs peurs du prescripteur (de la justice, de la norme sociale, de son image, de ses doutes, du patient, de mal faire, du regard des autres).
La médecine défensive est aussi la source d’évènements indésirables graves. La littérature attribue 0,4% des cancers aux USA aux examens d’imagerie trop nombreux, et ce chiffre daté de 2004 et serait plutôt de l’ordre de 1,5 à 2% en extrapolation 2014.
Les risques liés au sur-diagnostic sont encore plus inquiétants. Rappelons que le surdiagnostic de définit officiellement comme tout diagnostic de maladie qui s’avèrerait par la suite n’être jamais la source de symptôme redouté ou causer le raccourcissement de vie attendu par ce type de diagnostic. En langage plus usuel, il s’agit de tout ce qui recouvre la surmédicalisation. Le risque est évidemment de provoquer des EIG par le simple fait de tester et traiter pour rien un patient ; il est aussi de causer un surcoût considérable aux systèmes de santé.
Le phénomène s’est installé avec des bénéfices secondaires, notamment financiers qui finissent par pérenniser le mécanisme hors de toute logique médicale.
Une vision purement juridique de la médecine défensive et de la pertinence des actes est à l’évidence bien trop restrictive pour expliquer ces pratiques. Les articles s’accumulent pour montrer que même les pays moins concernés par le risque juridique, comme la France ou la Nouvelle-Zélande, où il existe un système national de compensation sans faute, ne sont pas moins concernés que les pays où la pression juridique est intense. Simplement, on ne parle pas -ou moins- de médecine défensive dans ces pays, mais on prescrit tout autant d’actes inutiles par précaution, particulièrement pour éviter de rater un diagnostic, une mauvaise conscience et des reproches des collègues ou des caisses de sécurité sociale. En quelque sorte le doute personnel et la pression morale du groupe social sont des moteurs aussi forts que la pression juridique pour sur-prescrire.
Presque tout a été tenté aux USA dans la décennie 2000-2010 pour freiner cette médecine défensive croissante. On a essayé la voie des arrêtés et décrets, celle des menaces de non remboursement d’actes, des mises sous l’équivalent d’entente préalable, et même des évolutions du code de justice (limitation des indemnités, réduction du niveau de gravité et des sanctions pour des fautes médicales aux urgences dans trois Etats tests : le Texas, la Géorgie et la Caroline). Rien n’a marché .
Une seule série de publications est positive.
Depuis la mise en place de nouvelles pratiques sur l’explication, la participation, la transparence et le partage des risques associés aux examens inutiles, et l’excuse précoce au patient (annonce d’un dommage, médiation), la tendance s’inverse aux USA. On constate une nette réduction du niveau des plaintes indemnisées dans plusieurs états US et un niveau stable ou en diminution des indemnisations et des coûts assurantiels de responsabilité. Les modifications du code juridique excluant les excuses comme preuve de culpabilité sont apparues plus efficaces que les modifications des sanctions citées précédemment, de même que les négociations réalisées sous la direction du juge pour éclairer le patient victime…
Un dossier qui prend de l’ampleur en France. Sans doute des leçons à retenir de la longue expérience dans ce domaine de nos amis Américains.
comment réduire le risque de médecine défensive: par une prise en charge de l'assurance du praticien en contrepartie d'une formation continue obligatoire, d'une certification; une sorte de permis d'être performant, honnête et d'assurer au patient l'excellence, avec toujours l'explication des aléas et donc un consentement véritablement éclairé!