4 patients sur 100 consultations en médecine de ville sont victimes d’incidents associés à leur prise en charge (dont 1,6 /1000 consultations s’avèrent graves), mais la mesure de ce risque et les solutions de prévention-récupération restent peu développées en regard de ce qui existe à l’hôpital.
Plusieurs revues de littérature viennent d’être publiées sur l’évolution du risque d’événements indésirables (EI) en soins primaires, sur les indicateurs pour suivre ce risque et sur les méthodes de prévention.
Bien sûr, tous les professionnels de soins primaires sont préoccupés par la sécurité de leur patient, et font de leur mieux pour assurer des soins les plus efficients. Cette préoccupation est à leur honneur, mais reste un produit collatéral de l’expérience personnelle de chacun acquise par la pratique. Peu de choses sont partagées, donc enseignées et institutionnalisées.
Pour ce qui concerne l’évaluation des chiffres du risque, 9 revues de littérature ont déjà été publiées couvrant plus de 100 articles en lien direct avec la mesure de la fréquence des EIG en soins primaires. Les résultats sont assez convergents ; les auteurs évaluent la fréquence des EIAS (événements indésirables associés aux soins) à 2 à 3 pour chaque centaine de consultation/dossier revus. 4% de ces incidents entrainent un préjudice sévère (1,6/ 1000). Les accidents en rapport avec le diagnostic et la prescription sont les plus susceptibles d’entrainer un préjudice sévère.
Pour ce qui concerne les indicateurs et mesures de sécurité du patient en soins primaires, force est de constater la faiblesse des existants. La majorité des indicateurs ont été développés pour l’hôpital, et peu sont facilement transférables au domaine des soins primaires. Par exemple, sur les 2003 mesures et indicateurs listés par l’agence de Qualité US (AHRQ), 29 seulement s’avèrent applicables aux soins primaires.
Si l’on étend l’analyse aux recherches effectuées çà et là (mais qui ne sont pas encore des standards nationaux) beaucoup d’indicateurs du risque ont été testés en soins primaires, notamment en lien avec la qualité des soins. Les revues de question les plus récentes font état de 182 indicateurs testés dans 6 domaines différents : sécurité du médicament (60%), sécurité des examens de laboratoire (19%), sécurité des lieux professionnels d’accueil des patients (7%), sécurité des prises en charges et de la pertinence (6%), alarmes et alertes diverses (4%) et coordination des soins (4%).
Dans la plupart des cas, ces indicateurs s’appuient sur le dossier électronique du patient (125 sur 182)et sans surprise sont plutôt d’origine Anglo-Saxonnes (où le dossier électronique est un standard depuis bien plus de temps que chez nous).
Autant dire en lisant ces revues de question que le résultat est plutôt décevant. Certes les indicateurs sur les risques associés aux prescription médicamenteuses et au circuit des examens secondaires sont en net progrès avec les dossiers informatisés.
Mais sur un plan quantitatif, on voit bien que ce ne sont pas vraiment les mesures qui manquent, mais leur évaluation et leur adoption à un niveau national. La plupart de ces recherches sont ponctuelles, sans lendemain, sans évaluation sérieuse de la faisabilité à grande échelle.
Et pire sur un plan qualitatif, les mesures existantes (même si elles ne sont pas assez utilisées) restent très insuffisantes en rapport au vrai risque, et trop spécifiques à tel ou tel système de dossier électronique. Il manque des mesures sur les vrais marqueurs du risque en soins primaires : retard diagnostic (première cause d’EIG dans la littérature), et sur les multiples manques de coordination entre acteurs (seconde cause de risque dans la littérature). On pourrait aussi introduire une capacité à automatiser par algorithme le signalement détection des EIG plus sophistiqués que le simple problème de CI médicamenteuse (par exemple avec l’emploi de la méthode des trigger tools).
Au-delà, c’est bien la question de la généralisation des approches qui est centrale.
Comment progresser avec des initiatives certes nombreuses, mais toutes encore dépendantes d’initiatives locales de recherches, aux budgets fragiles pour assurer une continuité, et sur des systèmes informatiques dédiés. Les conditions d’exercice encore trop souvent isolées des professionnels de soin primaires n’aide pas, mais le futur sur ce point pourrait être plus favorable avec la montée en puissance des réseaux, de la participation des patients, et des organisations multi-professionnelles dans les territoires de santé.
En résumé, sur le fond, la première étape pour progresser est sûrement d’accepter (1) que la sécurité en médecine de ville devienne une vraie priorité nationale et des collèges professionnels, pour faire face à un problème en potentielle augmentation rapide du fait de l’augmentation massive des patients complexes âgés, et co-morbides qui demandent une très forte coopération interprofessionnelle sur le moyen et long terme (ce qui est bien différent du court terme hospitalier et bien plus complexe) ; L’intuition et le bon vouloir professionnel de chacun ne suffira pas à contenir le problème, pas plus que le simple transfert de solutions sur étagères développées pour l’hôpital.
Pour aller plus loin
• Panesar S, deSilva D., Carson-Stevens A., Cresswell K., Salvilla S., Slight P., Javad S., et al. How Safe Is Primary Care? A Systematic Review . BMJ Quality & Safety, 29 décembre 2015, bmjqs 2015 004178.
• Hatoun J., Chan J., Yaksic E., Greenan M. Borzecki A., Shwartz M., Rosen A. A Systematic Review of Patient Safety Measures in Adult Primary Care, American Journal of Medical Quality 1–9 DOI: 10.1177/1062860616644328
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