Retrouvez l'analyse de la presse internationale sur le risque médical par le Professeur Amalberti. À la une ce mois-ci : réactivité et efficacité face aux complications chirurgicales, les never-events en Espagne, étude américaine sur le renoncement des patients cancéreux, efficacité des petites équipes en soins primaires…
Mesurer l’exacte fréquence et nature des erreurs de diagnostic demeure difficile. Le plus souvent, l’estimation est rétrospective avec des examens sur dossier. Les Hollandais viennent d’aborder le sujet différemment à partir des déclarations de plaintes à l’hôpital. La loi hollandaise oblige les hôpitaux à analyser sur le fond les EIG (événements indésirables graves) et à transmettre leur rapport aux autorités et inspections.
L’analyse porte sur cette base nationale SAE (Serious Adverse Events) créée pour l’analyse des EIG hospitaliers. Elle est toujours remplie par des professionnels indépendants de l’hôpital où est survenu le sinistre, formés à l’analyse des EIG. Chaque hôpital peut/doit faire appel à ce service et possède en retour les résultats des cas qui le concerne. Les dossiers analysés sont souvent enrichis d’entretiens avec des professionnels de santé directement concernés par le sinistre et la famille du patient concerné.
La base analysée recouvre les données de 71 hôpitaux, à qui on a demandé d’envoyer 4 cas analysés. Au final, l’analyse porte sur 109 cas provenant de 31 hôpitaux.
La quasi-totalité des pays occidentaux souffrent d’une pénurie de médecins généralistes. Mais, outre la question d’âge et de démographie, les motivations de l’arrêt d’activité restent souvent mal comprises.
Cette étude danoise propose un questionnaire adressé à tous les généralistes danois portant sur quatre types de motivations possibles à leur métier :
Sans surprise, les résultats montrent un mélange de ces différentes motivations, mais le degré de mélange décrit aussi cinq profils différents et inégalement répartis dans la population de généralistes :
Les auteurs soulignent ainsi que l’argent est loin d’être un facteur essentiel et que ce n’est clairement pas la solution à proposer en premier pour mieux retenir ces professionnels. Il faut en priorité améliorer les conditions d’exercice qui préservent à la fois une qualité de vie des professionnels et permettent d’être fier de leur exercice et du service rendu aux patients et à la collectivité.
Une équipe française propose une analyse randomisée du suivi des complications sur la cohorte SHEWART de patients chirurgicaux issus de 40 départements hospitaliers.
La cohorte inclut 155 362 patients de plus de 18 ans venus pour des interventions (hernie, cholécystectomie, appendicite, chirurgie bariatrique, et chirurgie lourde digestive, colorectale, hépatopancréatique, œsophage).
Le protocole est randomisé.
Après une période de référence 2014-2015, les hôpitaux ont été affectés par tirage à un groupe contrôle et à un groupe expérimental.
En 2017-2018, 20 patients chirurgicaux des hôpitaux du groupe intervention ont été suivis trimestriellement par un tableau de bord indexant par le détail tous les éléments du suivi opératoire (mort, complications, séjour en réanimation, réintervention, etc.). Sur chaque site, des pairs (un chirurgien, un anesthésiste, un infirmier) ont été entraînés à ce travail de suivi, au recueil et à l'analyse, au retour vers l’équipe médicale en charge du patient, et à l’affichage et la communication de ces résultats en ligne au service concerné.
La durée moyenne des hospitalisations postopératoires est réduite de 3,3 % (2,1 - 4,6) dans le cas du groupe d’intervention par rapport au groupe contrôle. La détection et la prise en compte précoce des complications. Le coût du parcours de l’opéré est également réduit significativement de -1,3 % (0-2,6) dans le cas du groupe contrôle. Au total, 8 910 journées d’hospitalisation ont été économisées dans ce groupe intervention avec un gain pour l’assurance maladie de 2 615 524 €.
Au total, on retient l’efficacité clairement démontrée de la mise en place d’un système de suivi par des pairs en temps réel pour mieux gérer le parcours de l’opéré et les complications chirurgicales, porter l’alerte plus vite, être plus performant et plus sûr.
La pratique de soins primaires a progressivement basculé de l’exercice individuel vers les cabinets de groupe et les pratiques plus collectives. Cet exercice plus collectif, basiquement multidisciplinaire, est supposé améliorer l’accès médical pour les patients et proposer un service à la fois plus complet et plus performant ; ces micro-équipes sont ainsi de plus en plus officiellement soutenues comme une offre de meilleure continuité médicale sur les territoires avec la maison de santé pluridisciplinaire comme modèle le plus achevé.
Ces auteurs anglais proposent une revue de littérature pour faire le point sur ces attendus. La revue a sélectionné 462 études dont 24 ont finalement satisfait aux critères de qualité et d’éligibilité de l’analyse. On y retrouve la taille et la composition de ces micro-équipes, leur fonctionnement avec ses avantages et limites, et les résultats médicaux obtenus sur leurs patients.
Les résultats montrent d’abord une évolution du concept de micro-équipes dans le temps, souvent limité à un couple médecin-infirmier ou à deux médecins jusqu‘en 2014, puis progressivement proposé à un plus grand nombre de professionnels, exigeant une communication organisée entre membres du collectif. Cette communication - et coordination - essentielle est souvent réalisée par des micro-réunions (huddles) courtes, planifiées, permettant de synchroniser et de partager les points importants de l’exercice collectif.
La flexibilité est un autre point important de cet exercice plus collectif, bénéfique pour la qualité de vie des professionnels, mais exigeant sur le rôle de chacun et pour les patients.
Onze articles parlent de la nécessité d’un changement de culture significatif des professionnels pour accompagner la mise en place d’un tel exercice flexible, entraînant un suivi des patients plus partagé. Dans l’ensemble, les patients sont plutôt très positifs sur cette évolution qui facilite leur accès aux soins, même s’ils doivent s’adapter eux-mêmes à devenir le patient d’une équipe plus que d’un professionnel donné, particulièrement dans le cadre des consultations non-programmées.
En synthèse, le modèle collectif a prouvé son efficacité, particulièrement dans ces temps de pénurie de professionnels. La clarté des rôles est essentielle à son bon fonctionnement, de même qu’une animation confiée à un membre pour organiser et faire fonctionner au mieux ce collectif (courtes réunions, etc.) et impulser les changements culturels nécessaires.
Le point le plus critique concerne la possible dilution de responsabilité dans la prise en charge des patients. Le fonctionnement financier du groupe doit aussi être l'objet d’une attention particulière pour qu'il n'y ait pas de professionnels lésés et pour préserver le service au niveau attendu.
Côté patient, c’est une solution indiscutable d’amélioration de la continuité des soins mais c’est aussi un saut assez radical vers un autre type de prise en charge que celle du classique colloque singulier avec de multiples conséquences sur le long terme, même si le choix du médecin préféré peut continuer à être respecté dans presque tous les cas pour des consultations programmées dans le cadre d’un suivi de pathologies chroniques.
Beaucoup d’hôpitaux continuent à utiliser un système de déclaration volontaire des événements indésirables (EI), sans utiliser le système manuel - et plus souvent informatique - des trigger tools, qui est pourtant souvent démontré comme plus complet.
Pour mémoire, le système des trigger tools repère sur les dossiers des patients une liste d’anomalies (résultats biologiques ou autres anormaux qui n’ont pas été suivis d’une prise en compte évidente marquée dans le dossier). Ces anomalies déclenchent un examen plus approfondi du dossier et permettent souvent la détection d’EI rarement spontanément signalés (par exemple une erreur de diagnostic).
L’étude propose une revue systématique de la littérature pour identifier et quantifier les EI détectés par chaque système (déclaration spontanée par rapport aux trigger tools), et ceux détectés par les deux. L’analyse est réalisée à partir de la base PRISMA (Preferred Reporting Items for Systematic Reviews and Meta-analysis).
Au total, 14 études publiées entre 2006 et 2022 sont incluses dans la revue, émanant de 6 pays (9 aux États-Unis). Elles sont toutes hospitalières. Toutes ces études ont fait une analyse par trigger tools de 22 589 dossiers médicaux avec, au final, un recensement de 7 166 EI.
Le pourcentage d’EI détectés par les trigger tools qui ont été aussi spontanément signalés va de 0 à 37,4 % selon les articles, avec une moyenne de 7 %. 12 des 14 études ont trouvé des chiffres de recoupement inférieurs à 10 %.
Les auteurs concluent à un résultat déjà bien connu, mais ici démontré par le caractère systématique de la revue de littérature : les systèmes de signalement volontaire sous-estiment (très) gravement les événements indésirables, encore plus qu’on ne peut l’imaginer, évidemment au détriment de la sécurité du patient.
Dans ces conditions, trop s’attarder dans les formations et les directives sur la méthode d’analyse des EI - et les suites à y donner -, comme c’est souvent le cas, peut apparaître comme une erreur en soi, si l’on n’a pas pris soin de recueillir d’abord les bonnes données. C’est une claire incitation à utiliser des méthodes comme celle des trigger tools.
Les efforts pour impliquer les médecins dans la démarche de qualité et de sécurité du patient sont trop souvent limités à des directives administratives et organisationnelles de bonnes pratiques générales et vertueuses. Leur consultation sur ce qui fait plus sens dans leur exercice particulier et leur engagement personnel ne sont que peu pris en compte. On ne sait pas très bien ce que changerait un leadership plus médical et plus local de ces questions.
Les auteurs de l’article testent une solution hospitalière construite sur l’animation et la réalisation de micro-réunions ou briefings courts dans le service entre professionnels (Medical Safety Huddle Initiative) centrés sur la qualité et la sécurité des soins des patients de chacun.
L’analyse porte sur 6 sites hospitaliers canadiens.
Les briefings/échanges proposés sont programmés hebdomadairement. Ils sont courts, peu disruptifs de l’activité de chacun, centrés sur les éléments concrets du service, particulièrement les craintes de complications ou toute question de sécurité du patient qui se pose ou s’est posée.
Les résultats présentés ont été obtenus par 29 entretiens semi-directifs des leaders et des participants à ces micro-réunions/briefings.
Ils montrent une bien meilleure prise en charge collective des problèmes de qualité et de sécurité du patient, avec des corrections plus rapides et plus efficaces des défauts identifiés. Ils révèlent aussi une appropriation et autonomisation progressive des comportements vertueux chez les participants. On crée ainsi une dynamique et un vrai espace de sécurité partagé dans le service. Les limites de cette procédure : beaucoup d’autres personnels qui restent non concernés, non informés, ce qui pourrait réclamer un leadership encore plus global à mettre en place.
L’association entre l’expérience du patient (sur ses soins) évaluée par des petits questionnaires standardisés de satisfaction et de vécu dans les PREMS (Patient Reporting Experience Measurement) et la Qualité des soins telle que mesurée par les indicateurs classiques reste controversée.
Ces auteurs hollandais ont évalué ce lien en Arabie Saoudite par une étude rétrospective, conduite dans 17 hôpitaux du pays entre 2019 et 2022 (qui utilisent tous les PREMS).
Outre les PREMS, ces hôpitaux disposent évidemment d’un tableau de bord des indicateurs Qualité des soins de leurs services (infections, mortalité, réadmissions, durée d’hospitalisation, etc.).
Les résultats montrent que le vécu des patients est effectivement inversement corrélé aux taux de réadmissions et d’infections. Il en va de même pour la durée d’hospitalisation et la mortalité.
Les hôpitaux les plus importants sont associés à ces meilleures expériences patients. Pour autant, les PREMS ne sauraient ni résumer ni remplacer une politique Qualité sur le terrain.
Une analyse de collègues espagnols sur les erreurs de patients, de sites et de procédures chirurgicales.
Les auteurs constatent que malgré tous les efforts, ces erreurs subsistent dans tous les pays, ce qui sous-tend l’idée que les contre-mesures adoptées (check-list, contrôles de tous types), apparemment simples à appliquer, sont pourtant très vulnérables aux contextes.
Les auteurs comparent les résultats français publiés récemment par le même journal et résumés dans une revue de presse précédente de février 2023, aux plaintes espagnoles de même nature recueillies dans la région de Catalogne sur la même période 2001-2017 (Professional Liability Service of the Council of Medical Associations of Catalonia - CMAC).
La région recouvre 26 000 médecins. Globalement, les chiffres sont à peu près comparables aux données françaises. Les Espagnols retrouvent dans cette base 43 plaintes dont 39 de chirurgie du mauvais côté et 4 mauvaises procédures.
Comme dans le cas français, c’est la chirurgie orthopédique et traumatologique qui est première pourvoyeuse de ces erreurs, avec particulièrement les doigts et les genoux. Les auteurs précisent aussi cependant que, pour la majorité de ces erreurs, le membre ou organe opéré à tort était lui-même altéré, facilitant la confusion. Contrairement aux 67,44 % de cas décrits en France qui sont allés au bout de la procédure judiciaire, la moitié des dossiers espagnols ont été traités en conciliation (48,28 % pour 51,72 % devant la justice) et, de plus, 10 dossiers sur 15 qui partaient sur une procédure pénale ont été finalement traités en conciliation.
Cet auteur indien nous rapporte une erreur commise en analyse biologique sanguine par un laboratoire équipé du dernier cri de la haute technologie proposant une procédure totalement automatisée. Les laborantins ont noté un peu par hasard en février 2023 une inhabituelle coloration pâle des frottis sanguins préparés par l’analyseur automatisé. L’ingénieur appelé pour un diagnostic a confirmé en première analyse l’anomalie et a aussi constaté une inhabituelle odeur fruitée. En ouvrant la machine, il a découvert plusieurs composants déconnectés par usure excessive, ou mal étanchéifiés et/ou déjà très abîmés.
Surtout, en remontant l’usage de la machine dans le laboratoire, l’enquête a mis le doigt sur une erreur humaine, le réservoir de méthanol avait été rempli par de l’acétone, expliquant par son côté érosif les problèmes constatés dans la machine. En poussant l’investigation, l’enquête a montré que les deux bouteilles de méthanol et d’acétone étaient faciles à confondre, tant elles étaient similaires.
Bref, une machine très automatisée mais forcément fragile et surtout une erreur humaine ultra classique, qui renvoie à la prévention de problèmes de facteurs humains de base, décrits depuis plus de 20 ans.
Ce cas montre deux faits importants :
L’arrêt inopiné de participation d’un patient à un protocole clinique de cancérologie peut avoir de nombreuses conséquences sur la validité de l’essai clinique (déséquilibre des groupes, calculs, allongement du temps nécessaire, etc.).
Cette étude multisites a été conduite sur une cohorte de patients engagés dans des protocoles d’essais au Minnesota par la clinique Mayo de 2013 à 2019 (Alliance for Clinical Trials in Oncology) pour essayer de comprendre les motivations de ces renoncements.
Au total, 11 993 patients ont été inclus dans la cohorte (âge médian 62 ans, 67 % de femmes). Sur une période de 2 ans d’engagement dans leur essai, 1 060 patients ont renoncé (9 %), avec une augmentation progressive du nombre de renoncements entre 2013 et 2019 (5,7 % en 2013, 8,4 % en 2017, 9,8 % en 2019). Ce sont les patients hispaniques (OR, 1.67 ; 95 % - 1.30-2.15 ; P < .001), les essais randomisés avec une modalité placébo (OR, 1.64 ; 95 % - 1.38-1.94 ; P < .001), et les patients plus âgés (OR, 1.39 ; 95 % 1.12-1.72 ; P = .003) qui donnent lieu au plus grand nombre de renoncements. La radiothérapie associée au protocole d’essai proposé était au contraire source d’une réduction des renoncements (OR, 0.68 ; 95 % CI, 0.54-0.86 ; P = .001).
Cette connaissance peut servir à mieux organiser les essais de sorte à réduire ce nombre de renoncements croissant.