En 2008, une patiente consulte son chirurgien-dentiste car elle présente un bridge vétuste. En 2020, le traitement dentaire n'était toujours pas achevé... Que s'est-il passé au cours de ces 10 années ?
En 2008, une patiente de 52 ans présente un bridge vétuste de 14 à 24 qu'elle souhaite refaire. Son praticien propose l'avulsion des six racines piliers et leur remplacement par six implants destinés à supporter un bridge céramo-métallique de 8 éléments.
Début 2009, des extractions avec implantation immédiate sont réalisées. Un bridge provisoire est mis en place. Le bridge d'usage est réalisé en juin 2009.
En juillet 2009, la patiente commence à se plaindre de douleurs dans le secteur 23-24. Le chirurgien-dentiste prescrit des antibiotiques. Les clichés radiologiques ne montrent aucune anomalie. Le praticien suspecte une origine gingivale et réalise un aménagement tissulaire. L’intervention n’aura aucun effet.
Le praticien décide donc de déposer un implant en site de 23, puis le remplace quelques mois plus tard en 2010. Les douleurs s'amendent et un nouveau bridge d'usage est réalisé.
Les douleurs réapparaissent sur le même site.
En 2011, malgré l’absence d’anomalies au scanner, le praticien reprend le travail à nouveau en remplaçant les piliers prothétiques par des piliers anatomiques espérant s’adapter au mieux à la physiologie de la patiente.
Les douleurs ressenties persistent.
La patiente bénéficie de divers scanners, I.R.M., clichés panoramiques qui ne mettent en évidence aucune anomalie osseuse ; en revanche sur le dernier travail, il est retrouvé des défauts d’ajustage prothétiques sur 24.
Entre 2012 et 2014, la patiente bénéficie de l’avis de confrères qui vont proposer pour certains la section du bridge pour déposer la couronne sur 24, pour d’autre la dépose des implants en site de 23 et 24. Finalement après section en distal de 23, pilier et couronne sur 24 sont déposés en 2015. Un nouveau pilier et une couronne provisoire sont posés.
Les douleurs diminuent mais persistent.
En 2016, la patiente est adressée en neurologie pour une douleur sous-orbitaire. L’imagerie ne retrouve aucun problème dentaire ou sinusien.
L’intensité des douleurs augmente. Des traitements à visée antalgiques sont sans succès.
En 2018, les praticiens consultés déconseillent la dépose d’implants.
En 2020, les prothèses d’usage ne sont toujours pas réalisées.
La première réalisation prothétique ne montrait aucun défaut.
Etant intervenu sur le site quelques mois plus tôt, le praticien commet une première erreur : il passe aux conclusions les plus probables en écartant les autres hypothèses.
Par la suite, il s’accroche à cette première impression et inconsciemment sélectionne les données confirmant cette idée (biais de confirmation).
Il refait à plusieurs reprises son travail qui ne montre aucun défaut pour finir avec des ajustages déficients.
Il est intéressant d’observer que le praticien qui a pris la patiente en charge ensuite, lie la douleur au défaut d’ajustage qu’il observe6.
Il dépose rapidement l’élément défectueux, mais il faudra encore trois ans avant qu’un avis médical ne soit demandé, alors que l’historique et l’absence d’effet après dépose auraient dû être pris en compte de façon plus précoce.
Souvent basé sur des probabilités de survenue, et sur une reconnaissance de schéma connus, nous arrêtons la collecte des données pour établir un diagnostic dès qu’un schéma correspond (Recognition Primed decision making – "modèle de la première reconnaissance")7, ce qui constitue potentiellement une première erreur, par sous-estimation d’indices non concordants.
Mais une deuxième erreur, peut être plus fréquemment observée est l’obstination que nous avons à maintenir cette première impression6 malgré l’apparition postérieure de signes discordants indiquant un autre schéma ou diagnostic possible.
Ceci peut s’expliquer par le coût cognitif impliqué par une remise en cause de sa décision et des conséquences qu’une telle remise en cause pourrait entraîner dans la relation avec le patient.
Finalement lorsque les réponses attendues ne se manifestent pas, il convient de savoir demander des avis en dehors de notre spécialité afin de sortir de l’impasse et éviter de s’enferrer dans une mauvaise direction.