Un patient âgé de 76 ans est suivi depuis 11 ans pour une maladie coronarienne diagnostiquée lors d'une coronarographie pratiquée en 2002. Le 1er juillet 2013, son cardiologue met en évidence une ischémie silencieuse pour laquelle il demande une nouvelle coronarographie pratiquée du 10 au 12 juillet lors d'une hospitalisation en clinique.
Cet examen révèle des lésions bitronculaires sévères sous la forme d'une sténose du tronc gauche supérieure à 60 % et d'une sténose de l'artère circonflexe supérieure à 60 %. Une indication opératoire était retenue.
Le 19 juillet, l'intervention consiste en une double revascularisation coronarienne. Elle se déroule sans problème. Retour du bloc en réanimation à 14h45. Extubation à 18h00.
Le 20 juillet (J1) : passage en fibrillation auriculaire réduit par l'administration de Cordarone et redons : 150ml.
Le 22 juillet (J3) : transfert en secteur de soins continus.
Le 23 juillet (J4) : patient mobilisé au fauteuil et saignement au niveau du nez et des drains (2 points de suture).
Le 24 juillet (J5) : pansement propre. Pas de saignement.
Le 25 juillet (J6) : passage en chambre dans le service de chirurgie, récidive de fibrillation auriculaire. Mise sous Cordarone et Avlocardyl.
Le 26 juillet (J7), à 11 h 45, le patient se lève pour uriner et fait un malaise lipothymique au bord de son lit. L'infirmière enregistre, alors, une PA à 8. Le cardiologue de garde est appelé. Il prescrit une échographie cardiaque. Cet examen ne montre pas d'épanchement péricardique. Aucune autre prescription n'est faite. Le cardiologue part le soir en vacances, sans avoir prévenu le chirurgien.
A 19h00, l'infirmière note : « PA 8/5. Pouls irrégulier 90-100 en fibrillation auriculaire. Apyrétique. Mis sous 2L d'O2. Saturation 97% »
A 19h15, le laboratoire téléphone pour avertir le service que le taux d'hémoglobine du patient est à 8g pour 100ml.
A 19 h 30, l'infirmière du service appelle l’anesthésiste de garde en réanimation. Celui-ci lui répond ne pas pouvoir quitter son service et ne pas être de garde pour les patients en dehors de la réanimation.
La même infirmière cherche, alors, à joindre les trois chirurgiens du service mais sans succès. Lors de l'expertise, il est signalé que c'était le premier jour de cette jeune infirmière dans le service et qu'elle avait appelé les trois chirurgiens sur leurs bips intérieurs mais qu'à cette heure, ils avaient quitté l'établissement.
En fait, c'est l'infirmière de nuit qui, à son arrivée, parvient à joindre le cardiologue de garde, dont elle connait le numéro d'appel.
Lors de l'expertise, le responsable de la clinique explique que la continuité des soins y est assurée par un médecin généraliste, un anesthésiste de garde sur place pour la réanimation (16 lits) et l'USIC (12 lits), un cardiologue de garde aux soins continus, deux chirurgiens d'astreinte et un cardiologue d'astreinte.Il ajoute que le service de chirurgie est sous la responsabilité des chirurgiens qui peuvent être appelés en passant par le standard. L'anesthésiste -réanimateur de garde ne peut quitter la réanimation qu'en cas d'appel pour une détresse vitale.
A 21h00, le cardiologue de garde note dans le dossier : « malade gris, blême, agité, voulant se lever. PA 77/55. Fibrillation auriculaire rapide 120/130. Prélèvement pour RAI en urgence+++, commande de sang, 2 culots. Ringer lactates 1500ml. Transfert en réanimation car dans un état critique »
Aux dires de l'anesthésiste de garde, le cardiologue aurait transféré le patient non pas en réanimation mais en USIC, sans le prévenir, ni laisser de consignes écrites.
A 23h00, l'anesthésiste de garde est appelé par l'infirmière de l'USIC en raison de la persistance de l'hypotension artérielle malgré le remplissage. Il note : « Patient disant être mal depuis ce matin... Légèrement marbré, sans fièvre, alternance de fibrillation rapide et de bradycardie à 50/min. Déglobulisation de 13 à 7 g/100 ml en 3 jours sans hémorragie extériorisée. TCA ce jour à 139 sec (???). Reprise du Préviscan il y a 3 jours »
Au cours de l'expertise, il est précisé que depuis J1, le patient était sous Calciparine (0,4 ml x 3 puis, à partir de J5, 0,3 ou 0,25 ml x 3) avec un TCA variant de 17,1 à 139 sec, pour un témoin à 11,6 sec. Le Préviscan (1c/j) avait été repris à partir de J5 mais l'épouse du patient affirmait lui avoir donné 1 comprimé dès J4 (avec l'ensemble du traitement délivré en chambre) malgré la consigne notée à J4 dans le dossier infirmier « ne pas donner Préviscan en raison des saignements de nez et autour des drains ». A J5, l'INR était à 1,5. Il ne sera pas recontrôlé jusqu'au matin de la réintervention.
Le 27 juillet (J8), à 00h30, le patient est transféré en réanimation après que l'anesthésiste de garde ait vérifié l'absence de tamponnade en faisant une échographie et l'absence de sang dans l'estomac en posant une sonde naso-gastrique. A noter que les chirurgiens du patient ne sont pas prévenus.
Lors de l'expertise, l'anesthésiste de garde affirme que l'auscultation thoracique était normale lors de son premier examen, mais qu'à 6h, une « anomalie auscultatoire » lui avait fait prescrire une radiographie thoracique.
A la même heure, un bilan biologique -le premier depuis l'admission en réanimation- est réalisé, montrant une hémoglobine à 11,4 g/100 ml et un INR à 5,2. (A noter que depuis minuit, le patient avait reçu 4 culots globulaires et 3 litres de soluté de remplissage vasculaire et que les anticoagulants ont été arrêtés à l'admission en réanimation).
A 7h, la radiographie thoracique est réalisée. Elle met en évidence un poumon gauche « blanc » en faveur d'un hémothorax. Une décision de réintervention pour décaillotage pleural est prise.
A 10h15, transfert au bloc, avec mise en place d'une perfusion de PPSB, compte-tenu du taux élevé d'INR. « Patient passé sur la table à 10h50, conscient, pression télésystolique 90 mmHg. Induction anesthésique avec intubation sans problème à 10h55. Mise en place d'un cathéter artériel fémoral gauche sans difficulté. Au décours bradycardie puis arrêt cardio-circulatoire 11h10. Chirurgien présent. Massage cardiaque externe puis incision et massage cardiaque interne. Aspiration d'un volumineux épanchement pleural gauche de plusieurs litres de sang ainsi que d'un hémothorax droit moins important. On constate, au terme d'1h30 de réanimation maximale, qu'il n'y a aucune activité cardiaque spontanée, ni sous stimulation. Arrêt de la réanimation. »
Saisine de la Commission de Conciliation et d'Indemnisation (CCI) en avril 2014 par les proches du patient pour obtenir l’indemnisation des préjudices qu’ils avaient subis.
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L’expert, chirurgien libéral qualifié en chirurgie thoracique et cardio-vasculaire, confirmait que l'indication opératoire était conforme aux données acquises de la science au moment des faits ainsi que la technique opératoire et le déroulement de l'intervention.
En revanche, la complication hémorragique ayant entraîné le décès du patient était : « (...) la conséquence d'un excès d'anticoagulation par absence de surveillance du traitement par antivitamine K prescrit en relais du traitement par HBPM. Il ressortait de l'analyse du dossier une parfaite incohérence et incertitude sur l'anticoagulation délivrée, notamment concernant le Préviscan. Il semblerait qu'il y ait eu interruption de ce médicament le 23 sur prescription d'un cardiologue mais délivrance du médicament les 24 et 25 alors que ce médecin avait prescrit son interruption. En outre, aucune surveillance de ce traitement n'avait été prescrite puisque c'est seulement quelques heures avant la réintervention décidée en urgence pour saignement qu'un excès d'anticoagulation avait été découvert. Il s'agissait là d'une dysfonction dans la chaîne de prescription et de délivrance des médicaments (...) »
Concernant la prise en charge du patient au décours du malaise qu'il avait présenté, l'expert estimait que : « (...) La prescription d'une échographie par le cardiologue initialement appelé était adaptée car, à cet instant, il n'y avait pas de raison d'effectuer d'autre investigation, notamment pulmonaire, puisque le relevé infirmier faisait état d'une saturation comprise entre 95 et 97 %...
En revanche, à 21h, si les prescriptions du cardiologue de garde étaient justifiées, il n'y avait aucune traçabilité d'une transmission médicale entre lui et l’anesthésiste-réanimateur de garde, ce qui avait été à l'origine d'un retard de prise en charge du patient par ce dernier.
L'anesthésiste-réanimateur de garde, outre ce retard de prise en charge (d'environ 1h30), n'avait pas prescrit de bilan biologique à l'entrée en réanimation : ni numération sanguine pour vérifier l'aggravation ou non de l'anémie constatée précédemment, ni bilan d'hémostase pour s'assurer que le traitement anticoagulant administré n'avait pas pu favoriser un éventuel saignement. Par ailleurs, la recherche d'une localisation hémorragique avait été incomplète puisqu'une radiographie thoracique n'avait pas été, d'emblée prescrite, l'anesthésiste-réanimateur affirmant que l'auscultation pulmonaire était normale lors de l'admission en réanimation. C’est seulement à 06h00 qu'une anomalie auscultatoire avait fait réaliser cet examen dont le résultat avait motivé une réintervention d'urgence. Enfin, l'anesthésiste-réanimateur n'avait pas jugé utile d'avertir les chirurgiens de garde de l'admission de leur malade en réanimation (...) »
A la clinique, l'expert reprochait une série de dysfonctionnements : « (...) En premier lieu, l'ignorance par l'infirmière dont c'était le premier jour dans le service, de la procédure d'appel du cardiologue de garde.
Le transfert du patient à l'USIC n'avait été accompagné d'aucune transmission orale ou tracée de la part du personnel infirmier du service de chirurgie.
A l'USIC, les infirmières n'avaient averti l'anesthésiste-réanimateur de garde du transfert du patient qu'environ 1h 0 après son arrivée. Lors de l'expertise, l'anesthésiste-réanimateur avait déclaré qu'il s'agissait là d'un fait récurrent, connu de la Direction de la clinique et non corrigé.
Enfin, l'absence de traçabilité du traitement anticoagulant administré au patient, qui était responsable de l'accident ayant entraîné son décès, était en rapport direct avec l'absence de protocoles de prescription et de délivrance de ce type de médicaments (...) »
En conclusion, l'expert estimait que « (...) Le décès du patient était la conséquence d'une série de dysfonctionnements administratifs et médicaux ayant pour conséquence un retard de prise en charge.
Dans l'évaluation de la perte de chance subie par le patient, la clinique était responsable à hauteur de 60 %, l'anesthésiste-réanimateur de garde à hauteur de 30 % et le cardiologue de garde à hauteur de 10% (...) »
Se fondant sur l'analyse de l'expert, la CCI retenait que la clinique, l'anesthésiste-réanimateur de garde et le cardiologue de garde étaient responsables de la perte de chance de survie du patient, à hauteur respectivement de 60, 30 et 10 %.
Tres gros problèmes d'anesthesie pour une opération d'une hernie inguinale après un triple pontage avec un patient sous hépatite et autres coagulation.