Madame G., 60 ans, se présente aux urgences, pour une douleur abdominale aiguë et fébrile de l’hypochondre droit. Son médecin traitant, qui l’adresse à ses collègues hospitaliers, suspecte une cholécystite lithiasique.
Le médecin urgentiste qui l’examine retrouve :
- un signe de Murphy (douleur vive au point vésiculaire à la palpation de l’hypochondre droit, inhibant l’inspiration profonde),
- une défense de l’hypochondre, laissant libre le reste de l’abdomen,
- une douleur irradiante vers le dos et l’omoplate,
- une fièvre à 39°4,
- une absence d’ictère,
- une patiente qui présente des sueurs, des frissons, une tachycardie …
L’interrogatoire met en évidence :
- des nausées, des vomissements alimentaires depuis 48 heures, puis bilieux,
- un transit ralenti depuis 3 à 4 jours.
Le bilan sanguin montre une élévation modérée des transaminases, une hyperleucocytose. Une série d’hémocultures a également été prélevée.
Le bilan d’Imagerie confirme l’examen clinique pulmonaire, à savoir une absence d’infection de la base pulmonaire droite.
L’Abdomen Sans Préparation n’objective pas la perforation d’un organe creux.
L’échographie pratiquée met en évidence un épaississement de la paroi vésiculaire, du liquide autour de la vésicule biliaire, un Murphy Radiologique et la présence de boue biliaire ; ces éléments sont en faveur d’une cholécystite aiguë.
Lors de l’anamnèse, l’urgentiste retient que la patiente partage son temps entre la France et la Grèce. Aussi, il demande un prélèvement rectal pour écarter le portage d’une Bactérie Multi Résistante (BMR), présente dans ces zones géographiques.
Le chirurgien digestif contacté pose l’indication chirurgicale d’une cholécystectomie par voie coelioscopique.
Une hydratation par voie intraveineuse est indiquée, un traitement Antibiotique est prescrit (ROCEPHINE 2g / 24h, en première intention, à réévaluer en fonction de l’antibiogramme), ainsi qu’un traitement antalgique.
L’intervention chirurgicale est programmée à 48 heures, si le tableau clinique s’améliore.
Le prélèvement rectal met en évidence finalement une Entérobactérie productrice de Bétalactamases à spectre étendu (EBLSE).
L’information est relayée immédiatement au service qui a pris en charge Mme G. ; les Précautions Complémentaires Contacts sont mises en œuvre immédiatement. Mme G. étant hospitalisée en chambre seule, elle bénéfice d’un isolement géographique et technique de fait. L’Equipe Opérationnelle d’Hygiène (EOH) se déplace dans le service afin d’accompagner les équipes soignantes dans le respect des mesures de prévention du risque de transmission croisée pour les autres patients, usagers voire des professionnels.
Le tableau clinique de la patiente évolue favorablement, et l’indication opératoire est confirmée par le chirurgien. L’intervention est programmée pour le lendemain, dans un contexte de semi-urgence.
Le jour de l’intervention, le brancardier vient prendre en charge la patiente, la transfère au Bloc Opératoire. L’intervention est réalisée sans problème particulier, la patiente est transférée en Salle de Surveillance Post-Interventionnelle. C’est au moment de sa sortie de SSPI, que l’IDE en charge de la malade, constate le portage de cette BMR en rangeant le dossier avant son retour dans le service de chirurgie.
La cadre du bloc opératoire est immédiatement prévenue, et l’EOH. également. L’absence de mise en place de Précautions Complémentaires Contact au Bloc Opératoire est alors gérée.
Cet événement a provoqué :
- une inquiétude des soignants face à la possibilité d’une transmission croisée pour les autres patients,
- une inquiétude des personnels pour le risque de transmission patient / soignant,
- une charge de travail supplémentaire pour identifier les patients contacts potentiels,
- une information délicate à donner aux patients contacts potentiels identifiés et la gestion de leurs inquiétudes,
- un surcoût dû aux examens à réaliser dans le cadre du suivi des patients contacts potentiels, surcoût à la charge exclusive de l’établissement.
Ce défaut de signalement a été déclaré comme évènement indésirable. Plusieurs acteurs intervenant auprès de la patiente ont omis de signaler le portage de BMR (Bactérie Multi Résistante) par la malade.
La cellule de Gestion des Risques de l’Etablissement décide de faire une analyse pour ce cas clinique, et de proposer d’éventuelles actions correctrices en fonction des enseignements mis en lumière.
Une analyse de risque a posteriori est donc réalisée.
Dans cette analyse, seuls les éléments contributifs à la recherche des causes conduisant à cette erreur seront recherchés. La méthode ALARM est retenue.
Facteurs liés au patient :
La patiente est âgée de 60 ans.
Séjours à l’étranger notamment Grèce dans l’année qui précède.
Elle ne présente aucun antécédent, ni médical, ni chirurgical. C’est sa première hospitalisation dans le cadre d’une pathologie, hormis les séjours en secteur maternité.
La pathologie diagnostiquée ne pose pas de problème de prise en charge, cette typologie de parcours patient étant courante dans cette structure.
La malade a accepté sans difficulté le mode de prise en charge de cette cholécystite aiguë.
La découverte de cette BMR ne semble pas générer de grosses inquiétudes chez elle. Elle a compris la nécessité des précautions mises en place.
La patiente a bénéficié d’une prémédication avant son intervention : elle s’est présentée au Bloc Opératoire somnolente, le contrôle d’identitovigilance a pu se faire, mais difficilement. Les autres questions également.
Facteurs liés aux tâches à accomplir :
Les procédures d’hygiène existent au sein de cet établissement, et notamment le process concernant les précautions standard (PS) et le process sur les Précautions Complémentaires Contact et B.M.R. (PCC). Elles sont évaluées périodiquement. Leur maîtrise par les professionnels de terrain est effective.
Ces process étaient opérationnels : Solution Hydro Alcoolique à l’entrée de la chambre, protection des tenues systématique lors d’un contact direct, chambre individuelle, matériel à usage unique ou dédié à la patiente, limitation des déplacements, information des visiteurs, signalisation du portage sur la porte de chambre, informations tracées dans le DPI… Les moyens pour la mise en œuvre de ces process étaient présents.
L’intervention était planifiée, et connue de l’équipe du jour.
La consultation d’anesthésie et la visite pré-anesthésique ont bien été réalisées, et par le même praticien. Ce dernier n’avait pas fait mention sur le dossier du portage de BMR par la malade.
Aucune mention de ce portage n’a été précisée sur le logiciel de gestion du programme opératoire. La prise en compte de cette donnée dans la planification n’a pas été prise en compte.
Facteurs liés à l’individu (professionnels impliqués) :
Le brancardier qui est venu prendre en charge Mme G. n’avait pas encore totalement acquis tous les réflexes, puisqu’il était présent dans l’établissement depuis un mois. Mais il possédait un bon niveau d’informations et de formation concernant cette problématique, puisque le cadre Hygiéniste de la structure organise des sessions de formation pour les nouveaux arrivants. De plus, un contrôle sur le terrain avait été réalisé, concernant les prérequis de la fonction, avant une autonomisation de ce jeune professionnel.
Il a expliqué qu’il n’avait pas fait attention au signalement affiché sur la porte, et de plus, l’infirmière en charge de la patiente n’avait elle même pas pensé à le signaler, car occupée avec un autre patient. Le dossier était prêt dans le poste de soins du service : le brancardier a pris les documents et n’a pas fait attention à la signalétique sur la porte de la chambre.
Facteurs liés à l’équipe :
Les éléments recueillis lors des entretiens ne mettent pas en évidence des problèmes répétés de communication au sein de l’équipe. Le défaut de communication entre infirmière et brancardier est surtout dû à une charge de travail importante pour les deux soignants, et surtout un moment dans la journée de travail inadéquat pour favoriser une communication optimale.
La cadre de santé du service n’a pas le souci, dans son mode opératoire, de vérifier la présence de ce type d’informations sur la planification opératoire (via progiciel).
Il faut également préciser l’absence de signalement de ce portage B.M.R. sur la pochette du dossier (oubli).
Facteurs liés à l’environnement de travail :
L’ensemble des procédures d’hygiène hospitalière est connu de toute l‘équipe. Leurs évaluations sont pratiquées de façon répétée, et les réajustements ad’hoc sont réalisés chaque fois que nécessaire.
Les locaux ne posent pas de problème quant à la prise en charge de cette typologie de patient.
Le contexte de semi-urgence ne peut être retenu pour expliquer ce déficit de communication entre professionnels de santé.
Le statut bactériologique du patient n’est pas un champ obligatoire à renseigner lors de la création de la fiche d’annonce d’intervention. Le logiciel de gestion du programme opératoire est un produit ancien qui n’a pas bénéficié de mise à jour récente, au motif de son remplacement futur (proche ?).
Les effectifs paramédicaux du service de chirurgie étaient conformes au schéma d’organisation du secteur, mais la charge de travail était importante, puisque pour cette journée en question, 7 sorties et 8 entrées étaient planifiées.
Facteurs liés à l’organisation et au management :
Le programme opératoire a été validé la veille au vu des informations présentes dans le logiciel. Le signalement du portage B.M.R. aurait permis de repositionner cette patiente en fin de programme, et anticiper un parcours patient spécifique cohérent avec cette problématique, et notamment en Salle de Surveillance Post-Interventionnelle avec la mise en œuvre des P.C.C.
La période d’adaptation et d’intégration des nouveaux arrivants est évaluée avant toute autonomie. Cette séquence d’évaluation sera à analyser.
Aucun manque de moyens matériels n’est à signaler.
Facteurs liés au contexte institutionnel :
Cette structure de soins ne présente aucun élément qui pourrait avoir contribué à ce dysfonctionnement.
- Des process de Précautions Complémentaires Contact mis en œuvre de façon rigoureuse.
- Un défaut de signalement du portage par le médecin anesthésiste dans le dossier d’anesthésie, aussi bien lors de la consultation que lors de la visite pré-anesthésique. Il faut préciser que le dossier d’anesthésie est encore sous un format papier.
- Un défaut de signalement de la part du chirurgien lors de l’inscription de la patiente sur le programme opératoire.
- Un défaut de prise en compte d’une signalétique par le brancardier.
- Un défaut de transmissions orales de l’infirmière vers son collègue brancardier.
- L’absence de signalétique sur le dossier de la patiente concernant ce portage BMR.
- L’absence de vérification du cadre de santé (ou autres soignants) du service concernant ce signalement dans le logiciel de planification du Bloc, pourtant accessible par tous.
- Une charge de travail très importante, pour des effectifs habituels.
Pour cet Evénement Indésirable, les procédures existent, et sont le plus souvent appliquées. Pourtant, les patients porteurs d’une Entérobactérie productrice de Bétalactamases à spectre étendu (EBLSE) ne sont pas légions, et devraient générer une attention particulière spontanée (au même titre que les patients avec un statut sérologique).
Lorsque l’on reprend le fil de cette situation clinique, il s’avère que c’est surtout l’addition de trop nombreux défauts individuels qui génère le dysfonctionnement.
C’est pourquoi, le coordinateur de gestion des risques de cet établissement a proposé de présenter l’analyse de cet événement lors d’une Revue de Morbi Mortalité. Les responsables du service ont accepté.
Dans le cadre de cette restitution, le collectif a pris les décisions suivantes :
- le déploiement du Dossier Patient Informatisé étant imminent, les praticiens (chirurgiens et anesthésistes) ont décidé de mettre le statut bactériologique du malade en champ obligatoire dans le paramétrage du dossier,
- le déploiement du progiciel de gestion des programmes opératoires étant également imminent, le lien sera fait entre dossier d’anesthésie et programmation de manière automatique pour une meilleure prise en compte de cette particularité dans l’ordonnancement des patients.
Il n’y a pas eu de conséquence pour la patiente et aucun prélèvement réalisé sur les patients identifiés à risque n’est revenu positif.
Mais avec la virulence de certaines bactéries, le risque de transmissions croisées existe : de patient à patient, de patient à soignant, de soignant à patient, de service à service, d’établissement à établissement, …
Sachant que leur traitement devient difficile, voire impossible... il convient d’être particulièrement vigilant, et finalement, ce sont les précautions en hygiène hospitalière - le strict respect des Précautions « Standard » et la mise en œuvre adaptée des Précautions Complémentaires Contact - qui sont à ce jour plus efficaces que certains traitements coûteux.
Il convient à chaque soignant de le prendre en compte.