Une paralysie du plexus brachial de la patiente causée par une erreur de diagnostic : quelle est la part de responsabilité du chirurgien, de l'anesthésiste et du médecin traitant ?
En août 2015, une patiente âgée de 75 ans est adressée par son médecin traitant à un neurologue pour des troubles sensitifs de la main droite. Celui-ci répondait :"(...) Syndrome du canal carpien droit, intervention chirurgicale le plus rapidement possible. Le pronostic à droite semble être entamé, surtout du côté sensitif (...)". La patiente est orientée vers un chirurgien orthopédiste, auquel le médecin traitant indique que, depuis 8 ans, la patiente est sous Préviscan (alternativement, 3/4 de comprimé un jour et 1/2 comprimé le jour suivant) au décours d'un accident vasculaire cérébral ischémique sur fibrillation auriculaire, ayant laissé pour séquelle, une diplopie.
Le 21 septembre, le chirurgien confirme le bien-fondé de l'intervention chirurgicale.
Le 6 octobre, la patiente signe un consentement à la chirurgie mentionnant qu'elle a reçu des explications sur les avantages et les risques de l'intervention.
Le 12 octobre, lors de la consultation de pré-anesthésie les modalités du relais préopératoire du Préviscan par le Lovenox sont prévues.
Le 19 octobre, la patiente est admise à la clinique. La dernière prise de Préviscan date du 13 octobre.
Le 14 octobre est un jour sans traitement anticoagulant. Le Lovenox ((0,8 ml x 2 /jour) (86 kg pour 1,65 m) en SC est débuté le 15 octobre et la dernière injection est faite le 19 octobre au matin.
Le 20 octobre l'intervention (neurolyse du nerf médian au canal carpien) se déroule sans problème (15 min). Un bloc du plexus brachial sous neurostimulation est réalisé pour l'anesthésie (INR : 1,28). Il n'y a pas de douleur rapportée par l'anesthésiste (affirmation contestée ultérieurement par la patiente) et le test d'aspiration est négatif.
Le 21 octobre (J1), la patiente quitte la clinique avec deux lettres pour son médecin traitant, l'une du chirurgien et l'autre de l'anesthésiste prévoyant une reprise du Préviscan (aux doses préopératoires) à compter du 23 octobre avec un arrêt du Lovenox quand le Préviscan serait, de nouveau, efficace.
Le 23 octobre (J3), le Préviscan est repris aux doses préopératoires (alternativement 3/4 de comprimé un jour et 1/2 comprimé le jour suivant).
Le 26 octobre (J 6), INR : 1,16
Le 28 octobre (J 8), INR :1,37
Le 30 octobre (J 10), INR : 1,86. La patiente téléphone à son médecin traitant pour lui communiquer ce résultat. Celui-ci lui prescrit d'augmenter les doses de Préviscan (alternativement 1 comprimé un jour et 3/4 de comprimé le jour suivant).
Le 1er novembre (dimanche de la Toussaint) (J12), dans la soirée, la patiente se plaint de violentes douleurs du bras droit.
Dans la nuit du 1er au 2 novembre, un hématome apparait au niveau de la face interne du 1/3 supérieur du bras avec majoration importante des douleurs. La patiente téléphone à sa fille (médecin urgentiste) qui, exerçant à plus de 200 km, lui conseille d'appeler le 15. Le médecin régulateur ne juge pas utile un transport hospitalier et conseille des pansements alcoolisés.
Le 2 novembre (J13), toujours sur les conseils de sa fille, la patiente reconsulte le chirurgien. Ce dernier constate : "(...) Au niveau du site opératoire, cicatrice parfaite, bonne mobilité de l'ensemble des doigts (donnée contestée par la patiente) et absence de troubles sensitifs...Au niveau du bras, volumineux hématome de la loge antéro-externe, non circonférentiel avec des loges musculaires douloureuses à la palpation mais souples. L'état cutané, mauvais, n'incite pas à une évacuation et il n'existe pas de signes de gravité, notamment absence de troubles sensitivo-moteurs (...)".
Prenant connaissance du résultat de l'INR du jour, à 3,09, il conseille d'arrêter le Lovenox, d'augmenter les antalgiques en ajoutant des médicaments de palier 2 (Tramadol, Néfopam) et de revoir le médecin traitant dans 48 heures.
Le 3 novembre (J14), en raison de l'augmentation de volume de l'hématome du bras qui atteint le coude et l'avant-bras, la patiente consulte son médecin traitant. Celui-ci constate que la patiente ne peut plus bouger les doigts, ni serrer la main. Il diminue le Préviscan à 3/4 de c/j.
Le 4 novembre (J15), d'après la patiente :"l'hématome était impressionnant, et sa main était insensible et immobile avec un poignet qui tombait".
Le 5 novembre (J16), consultation par téléphone du médecin traitant qui conseille des pansements alcoolisés et propose de rédiger une ordonnance de Néfopam et de Paracétamol. Dans l'après-midi, le laboratoire communique à la patiente, son taux de l'INR prélevé le matin :5,2.
Le 6 novembre (J17), le mari de la patiente se rend au cabinet du médecin pour chercher l'ordonnance d'antalgiques. Informé du taux d'INR, le généraliste conseille de revenir aux doses préopératoires (3/4c/j, 1/2c/j). Par ailleurs, il écrit au chirurgien :" Il faut penser qu'il existe une compression neurologique qui expliquerait les crises douloureuses".
Le 7 novembre (J18), sur les conseils de sa fille et en raison de douleurs intolérables dans la nuit, la patiente se rend à la clinique pour voir le chirurgien. Elle y apprend qu’avec tous ses collègues, il est parti à un congrès. L'anesthésiste qui avait pratiqué le bloc axillaire et qui était d'astreinte à son domicile, refuse, toutefois, de se déplacer. Il aurait demandé d'orienter la patiente vers un chirurgien. Le taux de l'INR réalisé à la clinique était à 4,59.
Conseillée par les infirmières, la patiente se rend aux urgences de l'hôpital voisin. La douleur est chiffrée à 7/10. L'examen montre une paralysie des nerfs radial, médian et ulnaire droits. Le chirurgien de garde évoque un "syndrome de Volkmann" et téléphone au service de neurologie du CHU pour avis thérapeutique. Il lui est répondu qu'il n'y a pas d'indication chirurgicale compte-tenu que, dans le cas d'un syndrome de Volkmann, il s'agit d'une "compression nerveuse hors délai". L’hospitalisation de la patiente est décidée.
Le 9 novembre (J 20), une IRM (cervicale et du plexus brachial) est faite. Le radiologue constate des signes évocateurs d'un hématome mais "en limite du champ d'examen".
Le 10 novembre (J 21), une échographie est réalisée avec comme motif "gonflement total du bras et de l'avant-bras avec paralysie de la main droite".
Le compte-rendu conclue: "Pas d'hématome musculaire visible, œdème sous-cutané important de l'ensemble du membre supérieur droit". Un nouvel avis neurologique est sollicité mais ne peut être obtenu.
Le 11 novembre (J 22), la fille de la patiente contacte un spécialiste d'un centre de chirurgie de la main, proche de son lieu d'exercice. Celui-ci évoque un hématome compressif du plexus brachial.
Le 12 novembre (J 23), la patiente est transférée dans un autre établissement pour un avis neurologique. Il est diagnostiqué une paralysie totale du membre supérieur droit. L'écho-doppler objective "un hématome, de 4 cm de diamètre, à 3 cm de profondeur, sur 5 à 6 cm à la partie supérieure du bras". Le scanner confirme "un hématome de la partie proximale de la métaphyse humérale proximale jusqu'au tiers moyen du bras, sur 13 cm de hauteur". Il est constaté, a posteriori, que l'IRM du 9 novembre et l'échographie du 10 novembre n'a pas exploré le creux axillaire.
Le 13 novembre (J 24), la patiente est admise dans un centre spécialisé en chirurgie de la main (INR : 2,5).
Le 14 novembre (J25), après "stabilisation" de l'INR, évacuation de l'hématome avec lame de drainage laissée en place. Les douleurs disparaissaient mais persiste une paralysie tri-tronculaire totale.
Le 17 novembre (J 28), retour à domicile sous Lovenox. Le 3 décembre 2015, arrêt du Lovenox après reprise des AVK.
Lors de l'expertise (décembre 2016), La patiente se plaint d'une lourdeur du bras et de l'avant-bras avec une "sensation de pierre de la main". Des douleurs sont toujours présentes, plus ou moins bien calmées par le Lyrica. Elle ne peut s'habiller, ni prendre une douche seule. Elle ne peut plus écrire, ni conduire, ni faire le ménage (elle est droitière). Jusqu’en mars 2016, elle est traitée par antidépresseurs. A l'examen, il existe une atteinte motrice et sensitive du plexus brachial droit avec un début de récupération de flexion et d'extension de l'avant-bras sur le bras, très incomplète. Absence de mouvement au niveau de la main et des doigts.
Saisine de la Commission de Conciliation et d'Indemnisation (CCI) (février 2016) par la patiente pour obtenir réparation du préjudice subi.
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1. Lisez en détail le cas clinique.
2. Oubliez quelques instants cette observation et rapportez-vous au tableau des barrières, identifiez les barrières de Qualité et sécurité que vous croyez importantes pour gérer, au plus prudent, ce type de situation clinique. Le nombre de barrières n’est pas limité.
3. Interrogez le cas clinique avec les barrières que vous avez identifiées en 2 ; ont-elles tenu ?
4. Analysez les causes profondes avec la méthode ALARM.
Les experts, l'un anesthésiste-réanimateur et l'autre chirurgien orthopédique, tous deux exerçant en secteur libéral, rappelaient que "(...) La patiente, sous AVK au long cours avait subi une neurolyse du nerf médian au canal carpien droit sous anesthésie locorégionale par bloc plexique axillaire .Un relais AVK-HBPM avait été instauré en préopératoire Après une chirurgie sans problème, un hématome du creux axillaire après reprise du traitement anticoagulant par l'association HBPM-AVK, était survenu à J11 avec des douleurs de plus en plus violentes, puis secondairement installation d'un syndrome neurologique déficitaire du membre supérieur droit. Le diagnostic d'hématome compressif du creux axillaire avait été fait avec retard. Malgré son évacuation chirurgicale, il subsistait un lourd déficit sensitivo-moteur du membre supérieur droit (...)".
Dans l'analyse des responsabilités, les experts estimaient que : "(...)
L'indication chirurgicale et l'intervention s'étaient déroulées suivant les règles. Concernant l'anesthésie, le bloc axillaire était le gold standard pour la chirurgie du canal carpien. Le non-recours à l'échographie ne constituait pas une mauvaise pratique médicale, la neurostimulation reste une technique de repérage validée. Le relais préopératoire AVK-HBPM a été réalisé selon les recommandations de la HAS avec un INR peropératoire compatible, car inférieur à 1,5. Aucun manquement, imprudence ou faute ne sauraient être retenus dans la réalisation de l'anesthésie locorégionale par bloc axillaire droit.
La prise en charge de l'anticoagulation pendant les 5 premiers jours postopératoires avait été conforme. Le relais avait été confié au médecin traitant par un courrier documenté.
L'hématome est apparu à la suite d'un surdosage qui s'est constitué à partir du 30 octobre, date à laquelle le médecin traitant a augmenté les doses d'AVK par rapport à celles prises en préopératoire. Le 31 octobre, l’hématome était cliniquement évident. A partir du 2 novembre, il s'est progressivement aggravé (douleurs rebelles, syndrome neurologique) après consultation du chirurgien qui s'était contenté d'arrêter l'HBPM sans modifier la dose d'AVK, sans se méfier d'un accident des anticoagulants, sans proposer un suivi rapproché et continu de la patiente et en adressant une lettre rassurante (absence d'indication chirurgicale) au médecin traitant.
La prise en charge initiale du relais Lovenox-AVK par le médecin traitant avait été conforme mais elle est devenue incohérente à partir de la survenue de l'hématome (1er novembre). Le médecin n'a pas tenu compte ni des INR, ni de la cinétique des AVK (ceux-ci ont été poursuivis alors que l’INR était à 5,2), ni surtout de la clinique (hématome cutané, douleurs rebelles, syndrome neurologique). La gestion de ce traitement a été faite le plus souvent par téléphone. La suspicion d'un problème neurologique n'était venue au médecin traitant qu'avec retard.
L'anesthésiste aurait dû se déplacer quand la patiente est revenue consulter à la clinique et qu'il n'y avait pas de chirurgien présent. L'accident, même s'il n'en est pas responsable était, quand même lié au bloc axillaire.
Le chirurgien hospitalier avait évoqué un syndrome de Volkmann, rétraction ischémique des fléchisseurs avec les doigts en griffe. Le tableau de la patiente était celui d'une paralysie des 3 nerfs de la main avec les doigts en extension, dont l'origine ne pouvait se situer qu'au niveau du creux axillaire ou de la partie proximale du bras. Cette erreur de diagnostic avait conduit à une information téléphonique inexacte du service de neurologie du CHU et à une demande non ciblée des explorations (échographie, IRM) expliquant qu'elles n'avaient pas exploré le creux axillaire (...)".
Au total, les experts imputaient la responsabilité du préjudice subi par la patiente pour 20% au chirurgien qui l'avait opérée 35% au médecin traitant 10% à l'anesthésiste 35% au chirurgien du centre hospitalier. Ils évaluaient le déficit fonctionnel permanent à 40%.
Se fondant sur l'analyse des experts, la CCI retenait la responsabilité du chirurgien opérateur, de l'anesthésiste, du médecin traitant et du chirurgien du centre hospitalier, dans la survenue du préjudice subi par la patiente mais, en attribuant à chacun d'entre eux la même part de responsabilité, soit 25%.
Cette observation pose le problème des informations à fournir par le chirurgien et l'anesthésiste, au médecin traitant qui assure la surveillance des opérés, notamment en cas de sortie précoce après l'intervention (référence 3). Ces informations ont, entre autres, pour objectif de signaler, en fonction des techniques utilisées et des actes pratiqués, les complications qui peuvent survenir, en postopératoire, leurs signes précurseurs et la conduite à tenir.
Dans le cas présenté, l'anesthésiste n'avait pas informé le médecin traitant du risque d'hématome profond après bloc plexique axillaire, certes exceptionnel, mais surtout à craindre en cas d'anticoagulation efficace ce qui était le cas de la patiente. Les informations fournies pour le relais HBPM-AVK étaient plus explicites, quoiqu'incomplètes par rapport aux recommandations publiées "les AVK sont repris après l'intervention dès que possible, aux posologies habituelles et sans dose de charge. Le traitement par héparine est interrompu après 2 INR successifs en zone thérapeutique à 24 heures d’intervalle". (Référence 1)
-Le 30 octobre, l'augmentation de la dose du Préviscan était injustifiée et responsable du surdosage ultérieur. En effet, à cette date, l'INR était à 1,86 tout proche de la plage de valeurs souhaitées (entre 2 et 3). Il aurait fallu continuer le Préviscan aux mêmes doses que les jours précédents, en pratiquant un dosage quotidien d'INR. Le Lovenox aurait été arrêté, dès le premier INR compris entre 2 et 3. Avec ce schéma, le traitement anticoagulant serait redevenu strictement identique au traitement préopératoire.
Il faut remarquer que le 2 novembre, l'INR était à 3,09 traduisant déjà un excès d'anticoagulation (données AMM) et ce, avant même que l'effet de l'augmentation de la posologie ne se soit pleinement manifesté, compte-tenu de la longue demi-vie du Préviscan (31 heures). Cette augmentation de posologie était, en outre, excessive (passage d'emblée de 1/2 et 3/4 de comprimé/jour alternativement, à 3/4 et 1 comprimé/jour), l'ajustement de posologie devant se faire par palier de 5 mg (soit 1/4 de comprimé), en évitant toute dose de charge.
1) Godier A, Pernod G, Sie P. Gestion péri-opératoire des AVK. Recommandations 2008. MAPAR 2009, pp 331-9
2) Recommandations pour la pratique clinique : Les blocs périphériques des membres chez l'adulte. Annales Françaises d'Anesthésie et de Réanimation 2003; 22 :567-81
3) Amalberti. R. Sortie rapide en péri-opératoire: quelles suites pour la médecine générale. Le Concours Médical, 14 avril 2014, pp 319-21
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Sur le site Exercice Professionnel : Les nouveaux anticoagulants : un risque émergent ou l’impérieuse nécessité d’un ajustement des pratiques ?
l'expérience montre que la prescription de traitement anticoagulant n'est pas bien comprise par de nombreux confrères tant généralistes que spécialistes.Le mieux serait de s'adresser à celui ou celle qui a prescrit le traitement initial, à mon avis le cardiologue ou le chirurgien vasculaire. Les accidents, je crois,souvent bénins me paraissent très fréquents, trop fréquents.