Une adolescente sans antécédent particulier, habitant dans un « désert » médical, se plaint d'une forte fièvre accompagnée d'un épisode diarrhéique. Après une première consultation, le médecin indique à la mère qu'il s'agit d'une forte grippe ou gastroentérite. L'adolescente décédera à l'hôpital quelques jours plus tard.
Le mercredi 20 novembre 2013, en fin de nuit, une adolescente de 14 ans, sans antécédent particulier, se plaint d'une forte fièvre à 38-39 °C avec un pic à 40,2 °C, accompagnée d'un épisode diarrhéique. Sa mère lui donne du paracétamol et la garde à domicile sous la surveillance de sa grand-mère.
Une amélioration semble débuter pendant le week-end où la patiente recommence à s'alimenter. Mais, dans la nuit du dimanche 24 au lundi 25 novembre, l'état de cette jeune fille s'aggrave : elle délire, a des hallucinations et dit ressentir une forte compression dans la poitrine. Sa mère reste auprès d'elle jusqu'au petit matin où sa fille finit par s'endormir.
Le lundi 25 novembre, à 09h, la mère appelle le cabinet de son médecin traitant . A noter que ce cabinet se trouve dans une commune rurale de moins de 2 000 habitants, au sein d'un « désert » médical. Il est distant de 20 km du domicile de la patiente ; c'est le remplaçant du médecin traitant qui répond et propose, comme il est en consultation, de passer entre 12 et 14h. En effet, il doit se conformer aux horaires de consultation du cabinet, fixées de 8h à 12h et de 16h à 20h, les visites à domicile devant se dérouler dans l'intervalle entre les deux périodes de consultation.
Lors de sa visite, vers 13h, ce médecin déclare au cours de l'expertise, « avoir examiné entièrement l'enfant qui se plaignait de nausées et de diarrhée mais ne pas avoir décelé d'anomalies particulières... Le ventre était sensible, la langue chargée, il n'y avait pas de souffle cardiaque... Il n'avait pas eu la notion d'hallucinations ». Se voulant rassurant, il disait avoir dit à la mère que « Ce n'était qu'une forte grippe ou une gastroentérite », d'autant qu'il venait d'en soigner deux autres cas. Il prescrivait Ibuprofène®, Dafalgan®, Smecta®, Vogalène®.
Dans la soirée, la mère le rappelle car sa fille vomit « noir » après chaque prise de médicament. Le médecin disait ultérieurement ne pas avoir eu la notion de vomissement « noir ». Il ne se déplace pas.
Le mardi 26 novembre, au matin, la mère appelle, à nouveau, le médecin. Celui-ci lui conseille, « si elle voulait être rassurée, d'amener son enfant à l'hôpital pour faire des examens ».
Vers 11h, le père, inquiet, quitte son chantier pour aller voir sa fille. Il la trouve « pas bien du tout, elle ne mangeait plus, elle parlait très doucement, avait le souffle difficile, n'avait plus de force et se plaignait d'une forte compression sur la poitrine ».
Il rappelle le médecin qui répond ne pas pouvoir se déplacer car il est en pleine consultation. Le père appelle alors le centre 15. Après avoir entendu ses explications, le régulateur lui demande d'appeler, à nouveau, le médecin. Le père lui répond que celui-ci ne veut pas venir.
Finalement le régulateur appelle directement le médecin et, lorsque le père rappelle ce dernier, celui-ci lui confirme que, conscient de la gravité de l'enfant, il arrive rapidement.
Vers 13h30, le médecin est auprès de la patiente, suivi peu après par une ambulance. Dans la lettre adressée au service des urgences, il écrit : « Contexte de sepsis mal toléré avec fièvre à 41,5 °C (ce jour) sans signe de sepsis sévère, néanmoins ; je l'ai examinée hier et ai posé le diagnostic de gastroentérite aiguë simple avec traitement symptomatique simple. Cette nuit, RAS. Ce matin, hallucinations visuelles avec rêve éveillée ++. A mon arrivée, 36,7 °C, TA 70/60, pas de marbrure, pas d'hallucination, discrète raideur de nuque, auscultation cardio-pulmonaire normale, anorexie depuis 5 jours, ventre sensible. Décision d'hospitalisation en ambulatoire pour bilan biologique et surveillance... ».
Lors de l'admission aux urgences de l'hôpital, vers 15h, l'adolescente est en coma stade 1 avec une paralysie faciale gauche. TA : 82/44 mmHg ; température 37,9 °C.
Mise sous Claforan® 2250 mg /j et Zovirax®.
A 19h00, l’aggravation des troubles de la conscience nécessite une intubation oro-trachéale. Echographie cardiaque : Masse au niveau du versant auriculaire de la grande valve mitrale de 13 mm X 13 mm avec un aspect de fistulisation dans le ventricule gauche. Epanchement péricardique circonférentiel avec début de compression au niveau de l'oreillette droite. Insuffisance mitrale modérée excentrée.
A 21h00, décision de transfert au CHU par SAMU héliporté. Durant le transport, nécessité d'administration de noradrénaline. A l'admission au CHU, en réanimation pédiatrique.
Le traitement initial est remplacé par l'association Augmentin®, Gentalline®. Une nouvelle échographie cardiaque retrouve une insuffisance mitrale massive à double jet, excentrée avec perforation du feuillet antérieur et une végétation de 20 mm X 15 mm ; épanchement péricardique compressif.
Le 27 novembre à 02h00, après avis pluridisciplinaire, une décision opératoire était prise après correction des troubles de l'hémostase : « Volumineuse végétation à cheval sur la grande et la petite valve mitrale, au niveau de la commissure septale. Cœur distendu et inflammatoire. Epanchement péricardique purulent.
Mise en place d'une valve mécanique St Jude de 25 mm de diamètre. Clampage aortique de 95 min, temps de CEC de 124 min ».
Sur le plan hémodynamique, les suites immédiates étaient satisfaisantes avec un bon fonctionnement de la prothèse.
Sur le plan infectieux, la porte d'entrée de la septicémie était vraisemblablement une ostéite chronique au niveau de la 3ème phalange du deuxième orteil du pied gauche (amputation réalisée le 2 décembre). L'évolution initiale est marquée par des pics fébriles à 39 °C. Dès le 4 décembre, un traitement par rifampicine est instauré. L'apyrexie n’est, toutefois, pas obtenue bien que les différents contrôles bactériologiques soient restés négatifs.
Sur le plan neurologique, il existe une hémiparésie gauche. Le scanner cérébral met en évidence de multiples lésions en cocarde (lobe frontal, lobe pariétal, hémisphères cérébelleux).
A la faveur d'une tentative d'extubation, la patiente apparait comme « ralentie », anxieuse mais avec, néanmoins, une compréhension semblant conservée et sans trouble phasique.
Sur le plan respiratoire, les difficultés présentes dès le début de la prise en charge évoluent vers un tableau de SDRA. Une trachéotomie est pratiquée le 18 décembre.
Le 19 décembre, se produit un arrêt cardiaque vraisemblablement en rapport avec une hypoxémie réfractaire majeure. Les manœuvres de réanimation cardio-circulatoire immédiatement entreprises permettaient une reprise cardiaque. Mais un deuxième, puis un troisième arrêt cardiaque surviennent, et ce dernier entraîne le décès de l'adolescente.
Saisine de la CCI par les parents de la patiente pour obtenir réparation des préjudices subis (janvier 2015).
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L’expert, praticien hospitalier, chirurgien cardio-vasculaire, rappelait que : « (...) La patiente avait été victime d'une septicémie à staphylocoque doré à point de départ cutané (panaris responsable d'une ostéite au niveau d'un orteil). Ce germe s'était fixé sur la valve mitrale et le péricarde. D'autres foyers infectieux avaient été retrouvés au niveau cérébral. Alors que les antibiotiques paraissaient efficaces (hémocultures stériles), les lésions pulmonaires liées à cette septicémie sont très vite devenues majeures (SDRA) avec, pour corollaire, une hypoxémie réfractaire que les traitements de réanimation n'ont pu juguler.
La virulence du germe s'est traduite par :
Concernant la conduite du généraliste, l'expert estimait qu' « (...) au vu du tableau clinique décrit par la maman et de l'évolution traînante de cette grippe, au moins une prise de sang pour bilan biologique était à faire pour affirmer ou infirmer une cause bactérienne à cette fièvre.
Surtout, le médecin généraliste n'avait pas réagi avec la célérité que la situation imposait. Malgré l'insistance des parents qui l'avaient rappelé le 25 novembre au soir et le 26, au matin, il avait refusé de se déplacer. Or l'état de la patiente s'était aggravé : elle vomissait « noir » après chaque prise de médicament et, dans la matinée du 26 novembre, elle avait le souffle difficile et se plaignait d'une forte compression dans la poitrine. Ce n'est que sur l'insistance du père de la patiente et sur l'appel du médecin régulateur du centre 15, que le médecin généraliste avait fini par se déplacer le 26 novembre à 13h30.
Compte-tenu que l'on peut estimer à environ 24 heures le retard mis à hospitaliser l'enfant, la perte de chance de survie peut être évaluée à 30 %. Car même en cas d'hospitalisation le 25 novembre, l'évolution aurait été compliquée en raison de la virulence du germe isolé. Mais un espoir est toujours permis (...) ».
Concernant la prise en charge de la patiente au centre hospitalier et au CHU, l'expert l'estimait « (...) conforme aux recommandations professionnelles... Les décisions thérapeutiques avaient été prises sans perte de temps (...) ».
Avis de la CCI (septembre 2015)
Se fondant sur les conclusions du rapport d'expertise, la CCI retenait la responsabilité du médecin généraliste dans le décès de la patiente ainsi que le taux de 30 % pour évaluer sa perte de chance de survie.
Non satisfaits du montant de l'indemnisation qui leur était proposé, les parents de la patiente décidaient de porter l'affaire devant la justice civile.
Tribunal de Grande Instance (mars 2017)
Le tribunal reprochait au médecin généraliste « (...) un manque de diligence à l'origine d'un certain retard dans la prise en charge de la patiente. Il ne pouvait se retrancher derrière le fait qu'il avait des consultations, celles-ci pouvaient être interrompues (...) ». Les magistrats reconnaissaient, toutefois, « (...) Les conditions particulièrement difficiles de l'exercice de la médecine dans certaines zones rurales (...) ».
Le tribunal décidait que la responsabilité du médecin généraliste était engagée en raison d'un manquement fautif dans la prise en charge de la patiente et fixait à 30 % sa part de responsabilité dans la réparation des préjudices en découlant.
Indemnisation de 69 000 € dont 12 200 € pour les organismes sociaux.
Il m'appelle, c'est smoldait!
Qui découvre cet article grâce à Ripp aka LA BÊTE ?
2 remarques :1/ on retrouve ces tristes histoires qu'on croyait révolues depuis qu'existent à nouveau les déserts médicaux, et ce n'est qu'un début. 2/il est très difficile de faire un diagnostic en visite à domicile (éclairage insuffisant, lit mal positionnés etc...) la perte de chance aurait été moindre si les parents s'étaient déplacés au cabinet médical, hélas!
Il y a quand même une prescription d'anti-inflammatoire non stéroïdien (Ibuprofène®), sur un état septique sévère (poussée de fièvre à 40,2° dés le premier jour), sans diagnostic, et sans traitement spécifique . Je ne prescrit jamais d' AINS sur un tableau septique non contrôlé. Si on retient que le tableau initial semblait être digestif (diarrhée, vomissement), il y a une deuxième raison de ne pas mettre d'AINS. Je pense que cette prescription est une erreur.
« A la faveur d'une tentative d'extubation, la patiente apparait comme « ralentie », anxieuse mais avec, néanmoins, une compréhension semblant conservée et sans trouble phasique.
Sur le plan respiratoire, les difficultés présentes dès le début de la prise en charge évoluent vers un tableau de SDRA. Une trachéotomie est pratiquée le 18 décembre. »
La cause immédiate est donc la tentative d’extubation !
Pourquoi à t’elle été décidée si tôt !!
L’hopItal encore mis hors de cause de façon anormale ! Il a fallu essayer de rattraper le coup par trachéotomie et l’oxygénothérapie n’a pas été suffisante ni suffisamment surveillée selon l’exposé.
La cause de la mort n’est même pas certaine . L’expert s’il avait été diplômé du dommage corporel aurait su qu’il ne devait donner qu’une évaluation certaine et pas au pif comme il y paraît. Pourquoi 30% et pas 25% ou 40%!
Delord
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L expertise est basée sur l exploitation de preuve, en l’espèce des documents médicaux. Les experts judiciaires ont résonné à rebours, ne prenant en compte que le témoignage des parents et on écrit l histoire qui leur convenait. Ils sont juste médiocres, voire incompétents non pas sur le plan médical mais sur le raisonnement médico-Legal. C est malheureusement le lot commun.
Histoire affreuse qui peut arriver à tout médecin a moins d'hospitaliser tout le monde... Je reste étonné d'une telle évolution sans pathologie sous jacente comme une valvulopathie pré existante / faire une septicémie avec endocardite puis atteinte cérébrale sur un "vulgaire" panaris (sans signe important puisque tout le monde est passé à côté) me semble impossible chez un enfant de 14 ans "normal" ...
Début des troubles le 20 Novembre, découverte du panaris le 26 Novembre, à l'hôpital , mais que personne n'avait remarqué . L'enfant ne semble pas s'être plaint du pied, un examen consciencieux dans un contexte digestif fébrile n'implique pas l'examen des pieds ! Il est facile après tous les examens complémentaires et le diagnostic de septicémie fait, de rechercher une porte d'entrée mais à domicile, en début d'évolution comment penser à une histoire pareille. Le tort du confrère est de ne pas avoir tenu compte de l'inquiétude des parents, de la mère notamment tant il est connu que les mères ont une sorte d'intuition qu'i faut toujours prendre en compte; il se serait alors déplacé et aurait proposé l'hospitalisation. Vu la virulence du germe rien ne dit que l'évolution eût été différente. Il est plus facile d'être expert que généraliste au lit du patient et on ne peut pas demander à un juge d'avoir une expérience de terrain dans le domaine médicalet au fond ce qui lui importe c'est de pouvoir trouver un coupable pour justifier l'indemnisation et tant pis pour le délabrement moral du médecin .